Que dire des jardins qui soit à moi — vraiment à moi.
Et pourquoi ce besoin de posséder un dire, de déclarer quelque chose comme sien.
Le premier jardin était déjà une division.
Un monde découpé : le carré des simples, celui des légumes, les parterres de fleurs, les rangées d’haricots beurre, de pois, de poiriers, de pommiers, de prunus.
Au centre, un bassin circulaire.
Un monde en miniature. Une image d’absolu. Du temps, aussi. De ses saisons, de ses métamorphoses, dans une structure stable — dans la division elle-même.
Et ce tapis, sous la table de la salle à manger parisienne, sur lequel j’ai passé tant de temps enfant, était lui aussi un jardin.
Divisé en motifs vifs sur fond rouge sombre.
Jardin. Tapis. Tapis volant.
Et grimper aux arbres, bien sûr.
Chercher le point de vue surélevé. Voir le jardin s’étendre. Le suivre du regard, le jeudi.
Et la reine de Saba, apportant un présent à Salomon. Et le palais tout entier s’élevant dans les airs — par ce seul présent : un tapis volant.
S’écorcher les genoux en grimpant, en descendant du grand cerisier. La peine, toujours. Comme il se doit.
Et puis en mars, l’éblouissement.
L’éclat des petites fleurs blanches, partout. Le ravissement.
Et dans ce tremblement, la visitation des esprits.
Des fantômes. Du samouraï.
sous-conversation
— Ce jardin… tu le découpes encore ?
— Il était déjà découpé. Je n’ai rien fait.
— Et ce tapis… sous la table ?
— Un jardin, lui aussi. Couché. Compact.
— Et tu grimpes ?
— Pour voir plus loin. Pour voir en haut. Pour voir autrement.
— Tu t’écorches ?
— Toujours. Rien ne se donne sans la brûlure.
— Et cette histoire… Salomon, Saba ?
— Une offrande. Un envol. Un souvenir inventé.
— Et les fleurs blanches ?
— Elles reviennent. Tous les mars. Comme des fantômes qui ne font pas peur.
note de travail
Ce texte est un jardin. Mais pas un jardin sauvage. Un jardin dessiné, arpenté, ordonné dans la mémoire.
Le sujet ne revendique pas un savoir, mais un droit au fragment. Il interroge son besoin de dire — et ce besoin même devient matière.
Le jardin est d’abord perçu comme **structure** : ordre, centre, subdivision. Mais très vite, ce découpage ouvre sur autre chose : le tapis. L’enfance. Le jeu. L’envol.
Et surtout : la **douleur initiatique**. Monter, tomber, s’écorcher. La beauté ne vient qu’après la peine. C’est une vérité intime, mais aussi mystique.
Le texte est traversé par des figures **de passage** : Salomon, Saba, le samouraï, les esprits. Tous portent en eux **une charge de sagesse étrangère**, de savoir lointain.
À la fin, les fleurs blanches — symboles de l’éveil, ou peut-être du deuil.
Ce texte est une chambre d’enfance dans laquelle le souvenir et le mythe se croisent doucement, en silence.
Une méditation sur la division. Et sur ce qui la relie.