Rosa Luxemburg, de mémoire, disait que le socialisme était la seule vraie forme de démocratie.

Elle croyait à l’internationalisme. Elle estimait que la souveraineté et le nationalisme n’étaient que des erreurs de raisonnement. Elle critiquait Marx, Lénine, et d’autres encore. Sans mâcher ses mots.

C’était une femme forte.

« Quiconque souhaite le renforcement de la démocratie devra souhaiter également le renforcement du mouvement socialiste… »

Des mots comme ça, on les paie.

Elle se mit à dos beaucoup de monde. Et pourtant, elle avançait. Boitant depuis l’enfance. Mais avançant quand même.

Elle savait que le chemin du socialisme était pavé de défaites.

Les canuts de Lyon. Les chartistes anglais. Juin 1848. La Commune. Toutes écrasées.

Et pourtant, elle disait :
*“Où en serions-nous aujourd’hui sans toutes ces défaites ?”*

Elle écrivait, elle croyait, elle affrontait.

Elle disait :
*“Votre ordre est bâti sur le sable. Dès demain la révolution se dressera de nouveau… J’étais, je suis, je serai !”*

Elle lisait Adam Mickiewicz. Elle croyait à la poésie.

On l’a souvent prise pour une naïve. Une chieuse. Une emmerdeuse.

Mais elle a marché dans son rêve.

Jusqu’à ce qu’il la tue.

Assassinée en 1919, jetée dans l’eau comme une pierre sale.

La rumeur dit qu’un soldat, en la jetant, a murmuré :
“Voilà la vieille salope qui nage maintenant.”

Mais savait-il que Rosa avait écrit :
*“Sur la pierre de mon tombeau, on ne lira que deux syllabes : tsvi-tsvi.”*

Le chant des mésanges charbonnières.

Elle les imitait si bien qu’elles venaient aussitôt.

Et peut-être, quelque part, elles chantent encore.

sous-conversation

— Tu dis qu’elle était forte.

— Oui. Mais pas comme on croit.

— Elle avançait en boitant.

— Et elle disait la vérité.

— Tu crois qu’on peut encore écrire ça ?

— “J’étais, je suis, je serai” ? Oui. Il le faut.

— Et la mésange ? Ce tsvi-tsvi ?

— C’est ce qui reste. Ce qui échappe.

— Alors même morte…

— Elle trouble encore les eaux.

note de travail

Le sujet ne décrit pas seulement Rosa Luxemburg. Il s’y associe. Il y projette son propre rapport au courage, à la parole, à l’histoire, à la désobéissance.

Il y a dans ce texte une profonde empathie, mais pas d’idéalisation. Rosa n’est pas un monument. Elle est une voix, une marche, une boiterie, une vibration d’oiseau.

La structure du texte suit un mouvement de tension : **de l’intellect à l’utopie**, **de la conviction à la persécution**, **de la citation à la souillure**, puis **du meurtre au chant**.

Le chant final — tsvi-tsvi — est bouleversant. Il renverse tout. C’est un retour du vivant là où la violence a voulu imposer la disparition.

Ce texte est un hommage, mais aussi un autoportrait en creux : celui de l’auteur qui, lui aussi, continue de croire malgré tout, et d’écrire contre l’effacement.