La politique rend sourd.
La télé, la radio, la presse, rendent idiot.

Il resterait les forêts, peut-être,
si on était sûr de ne pas s’y faire trouer la peau.

Les livres alors ?
Lire.
Écrire.

Pas besoin de scénario Matrix.
La stase est réelle.
Les tuyaux nous branchent à la fabrique à caca mondiale.

Le pour. Le contre.
Et ses variants.
Vaccination bisannuelle.
Attestée par experts pépères.

Le mot concitoyen
coince à la glotte
entre deux bouchées
de tartines pas beurrées.

On ne nous prend même plus pour des cons.
C’est au-delà.
On n’existe plus.

Signes. Chiffres. Cibles. Données.

Être une donneuse ne sauve rien.
Tu lèches des culs à vide.
La salive ne vaut plus un pet.

Se pendre — haut et court —
expression toujours trouvée étrange.

Cours dans un rêve.
Sur place.
Affolé.

Et si tu ouvres les yeux :
l’anomalie te saute au visage.

Pièce blanche.
Savants fous sous cachou.
Carton plume tailladé au scalpel.
Extensions de labyrinthe.

Quelqu’un hennit.
Un miroir de poche surgit d’une blouse.
Et ce rat blanc…
tremble dans ton regard.
Tu te souviens.

*

Ce dimanche
a filé comme un pet
sur une toile cirée.

(La toile cirée. Encore elle.)

Cire. Messire. Messe. Ire. Lire.

On peut vivre avec quelqu’un
et ne pas lire le même livre.
Même titre.
Livre différent.

Alors se parler.
Se toucher le front.
Joue contre joue.
Danser.
Mais pas la Carmagnole.

Toucher > Opinion.

L’amour est compliqué
parce que se taire est compliqué.

Trop dire.
Trop faire passer l’orage mental.
La vomissure primordiale.

L’amour déformé
par l’excès d’informations
qui n’informent que d’un ennui crasse.

Un avachissement.

S’avachir comme une bête dans l’herbe haute.
Toucher terre.

Peser.
Se laisser peser.

Ne plus ramer.
Face à la falaise.

*

Une certaine atmosphère revient.
Un parfum d’être.
“C’est moi. Ce n’est que moi.”
En aparté.

Lampe de chevet.
Corps horizontal.
Pieds contre pieds.
Main sur le livre.
Pages qu’on tourne.
Buée sur les carreaux.

*

Et puis, ouvrir un réseau.
Regarder.
Comme une prise de sang.
Relever la manche.
Garrot.

Observer dans quelle glue
tout se déforme et se reforme.

Résister.
Mithridatisation quotidienne.

S’interroger.
Pourquoi ?
Réflexe animal.

Effroi antérieur.
Antilope dans le sang.
Courir.

Courir pour fuir l’inéluctable.
C’est ça :
définir le mot inéluctable.

*

S’entraîner.
Chaque jour.
Tenir la bête en joue.

Et, peut-être, à la fin,
ouvrir en grand les bras.

L’accueil.

sous-conversation

— Tu fais quoi, là ?
— J’essaie de tenir.
— Avec des mots ?
— Avec ce qui reste.
— Ce rat, ce miroir…
— C’est l’image. C’est l’anomalie.
— Tu trembles ?
— Pas encore. Mais je sais que ça vient.
— Et l’amour ?
— Il est déformé. Mais il bat encore.
— Tu veux quoi ?
— Rester un corps. Pas un chiffre.
— Et à la fin ?
— Juste.
— Les bras.
— Ouverts.

note de travail

Le sujet alterne saturation et fuite. Il tente de survivre dans un monde désarticulé, où les repères symboliques sont anéantis, où le langage institutionnel ne vaut plus rien.

Tout le début du texte décrit une **dissolution du social**, une perte du sens collectif, de la citoyenneté, du langage partagé. L’humour y est acide, désespéré.

Mais très vite, surgissent des îlots de résistance :
 Le corps.
 Le toucher.
 La lecture.
 L’attention à l’autre.

La position horizontale, la lampe de chevet, les pieds frottés l’un contre l’autre — ce sont des gestes de réinvention douce de soi.

L’image la plus forte, peut-être : “une antilope court dans le sang”.
Le sujet sait que la bête qu’il est court pour fuir une mort déjà contenue dans le langage même.

Mais il court. Il s’entraîne. Il résiste.
Et il se prépare, peut-être, à ouvrir les bras.

Pas pour capituler.
Pour accueillir.

Le monde, la chute, ou autre chose.
Une lucidité nue, non défaite.