Tout aurait commencé ainsi : compter. Peser. Soustraire.
Ce fut le début de la fin — la violence douce, quotidienne.
Désormais, on n’échange plus que rubis sur l’ongle.
Naissent alors les tares, les soupçons, le scrupule.
Le monde penche : pour ou contre, gain ou perte.
On ne vit plus : on calcule.
Gagner sa vie a pris la place de la vivre.
Non plus humainement. Encore moins fraternellement.
sous-conversation
Compter… oui, voilà, c’est là que ça commence, peut-être.
Un chiffre, un premier… et tout bascule.
Ce frottement… cette crispation au moment d’échanger,
comme un cliquetis de pièces invisibles.
On ne s’aime plus, on s’évalue.
Un pas de côté, vite. Non, trop tard. C’est entré.
Le poison lent du calcul.
Même entre nous. Surtout entre nous.
Tu me donnes quoi ? Tu me dois quoi ?
Et moi… combien je vaux ?
Notes de travail
Ce texte évoque, sans détour, un moment fondateur : le passage à l’arithmétique du monde. Ce moment où la valeur remplace le lien. “Tout aurait commencé par compter” — c’est-à-dire : tout aurait cessé d’avoir lieu dans la gratuité.
Il ne dit pas “l’argent”, il dit “compter” : un verbe plus primitif, presque enfantin. Le trauma n’est pas seulement économique, il est existentiel. Le monde se désaxe dès qu’on en quantifie les flux.
Je note aussi cette “violence” insérée très tôt, comme si cette bascule avait été vécue sur un mode traumatique. On passe d’un monde fluide à un monde où l’on pèse, soupèse, suspecte. Le “scrupule” arrive comme un symptôme : ce n’est pas la conscience morale, c’est la pesanteur de l’obligation, du soupçon généralisé.
Le dernier versant (“gagner sa vie au lieu de la vivre…”) est une plainte déguisée. Un regret enfoui. Il y avait un avant, peut-être rêvé, où la vie se vivait fraternellement. Maintenant, elle s’achète.
Il faudra revenir à ce point : qui a demandé qu’on commence à compter ?