On se dit : c’est pour moi. Puis un peu pour les autres aussi.
Et puis on ne se dit plus rien.
On écrit. Ça s’écrit.
Besoin naturel.

Atelier sur l’enfance. F.B. dit :
« Il n’en faut pas beaucoup pour se perdre quand on est enfant. »
Je l’écris aussitôt : terreurs, perditions.
Mais aussi les cailloux, les fils, les arbres, les cabanes.
La route.

Sans les mots, que reste-t-il ?
L’effroi, la nuit, l’abrutissement.

Se perdre, c’était surtout oublier cet enfant-là.
Et puis un clou chasse l’autre.
Attention.

Les mots : amour, torture, fidélité, trahison.
Les articles : le, la, les.
Mon cerisier. Ton abricotier. Leur poirier.
Leurs grillages.
Les genoux qu’on s’écorche.
Le vent, la pluie.

Un arbre, une haie, un jour.
Une maison. Un homme. Un chien. Un coup de feu.
Je. Tu. Il.
Nous. Vous. Ils.

Le pronom n’est pas un nom. Il ne l’a jamais été.

Se perdre dans les livres.
Se trouver autrement.
Peut-être.

*

Aujourd’hui : les impôts.
Un bâtiment en travaux. Une autre adresse.
Il y va. Il attend. Il se trompe. On le renvoie.
Ses épaules tombent. Mais il tient bon.
Et soudain, miracle : un fonctionnaire souriant.

Sortir. Sentir que quelque chose s’est réglée.
Alors qu’il y a une heure, on était au fond du trou.

*

Peinture l’après-midi. Tête farcie. Rien préparé.
Chercher le sens d’un exercice en le pratiquant.
Confus, mais ça travaille.

Une boîte à livres dans un coin.
Un Chamoiseau. *Texaco.*
Pas lu celui-là.
Je le prends.
Je devrai le remplacer après les vacances.
Boucher le trou.

sous-conversation

Il écrit. Mais pour quoi ? pour qui ?
Ça sort, comme ça. Naturel. Ou pas.
Ça serre un peu, là.
Comme s’il fallait se justifier d’écrire. Encore. Toujours.

L’enfance. Encore.
Se perdre… mais quoi, qui, exactement ?
S’éloigner. De quoi ? De qui ?
De cet enfant. Celui-là. Surtout celui-là.
Mais pas trop loin non plus. Sinon tout s’efface.

Il s’égare.
Dans les mots. Dans les arbres. Dans les pronoms.
“Je” flotte. “Tu” accuse. “Ils” menacent.

L’administration. Le labyrinthe. Le bon guichet.
Sourire ou mépris.
Il ne faut pas exploser. Il ne faut pas.

Et puis : un livre.
Texaco.
Une dette née d’un livre gratuit.
Le trou qu’on ne veut pas laisser.

Notes de travail

Le texte est un terrain. Une forêt mentale. Il y a là-dedans : un enfant effrayé, un homme fatigué, un écrivain débordé, un corps traversé par mille signaux. Et la tentative d’un fil. D’une ligne de fuite.

Ce qui m’intrigue, c’est l’usage de la perte comme stratégie. On ne cherche pas à se retrouver, mais à se perdre. Et dans cette perte, se sauver d’une autre menace, plus ancienne. Plus ancrée.

L’enfant revient. Mais jamais en face. Il rôde, flotte, s’infiltre dans les mots, les pronoms, les scènes d’école ou de forêt. Il ne veut pas être dit frontalement. Alors il devient grammaire.

L’administration arrive comme un bloc brutal de réel. Le cauchemar bureaucratique qui révèle le moi quotidien, l’homme lambda face à l’absurde. Mais ici, même ça, on le traverse. On en sort vivant.

Et puis, le retour au livre. À Chamoiseau. À la dette symbolique. Car même la gratuité devient source d’angoisse.

Le texte, au fond, parle de la charge de devoir vivre, penser, écrire, transmettre. Et du gouffre laissé si l’on échoue.
Il écrit pour ne pas tomber. Et dans le trou du don gratuit, il sent l’obligation d’un retour.
Même les livres libres ne le sont pas vraiment.