Les saisons arrivent, repartent, reviennent.
À peu près semblables, d’année en année.
L’enfant apprend ce rythme par le corps.
Il hume l’air, sent l’automne, devine l’hiver.
Et pourtant… ni de la ville, ni des champs.
Étranger au monde qu’il traverse.
Un passager du temps.
Quand il fait beau, il se réjouit. Quand il pleut, il tend les paumes.
Il aurait voulu vivre ainsi — porté par le temps,
comme autrefois dans un ventre.
Mais l’histoire n’est pas d’accord.
Né trop tôt. Un mois en avance.
Privé du sas, du langage invisible de l’attente.
Il entre dans le monde par la peur.
Tubes. Verre. Urgence.
Plus tard, même scénario.
Il part du primaire avant la fin.
Perd la maison, le jardin, les collines,
et son accent.
Il parle pointu.
Il s’ajuste.
Il observe la neige, les merles.
Suit les pattes noires dans le blanc.
Il cherche la trace de l’envol —
mais l’envol ne laisse pas de trace.
Il appartient à un autre temps.
Apprendre à lire l’heure ? Il ne sait pas.
Les chiffres romains ne disent rien.
Il apprend le temps sans montre,
par le soleil, même absent.
Le seul bien ici, c’est le sens commun.
Ceux qui le perdent parlent trop,
ou parlent pour ne rien dire.
On dit : “mets la table, fais ton lit, range le bois.”
Mais il y a dans ces phrases-là
quelque chose d’étrangement triste.
Un jour, l’arbre n’est plus là.
Coupé pour cause d’ombre.
Un autre jour : un fusil.
Un merle. Une traînée de sang.
On suit les gouttes.
Au bout, un oiseau mort.
C’est quand il perd goût aux choses usuelles
que l’homme retrouve l’odeur de l’enfance.
L’humus. Le silence. Le balancement lent des arbres.
Il essaie de prononcer leurs noms.
Mais la gorge se serre.
Il est presque là.
Il y est.
Il n’est plus un homme.
Plus un enfant.
Seulement le vent.
sous-conversation
Il voulait s’adosser au rythme.
Ne pas résister. Juste… suivre.
Mais tout est venu trop tôt.
Trop fort. Trop vite.
Pas le temps d’apprendre.
Il ne parle pas la langue du monde.
Il a dû la copier, l’imiter, l’apprendre à rebours.
Il regarde les merles.
Mais ce qu’il cherche,
c’est pas l’oiseau.
C’est ce qui l’a fait partir.
Ce qu’il n’a pas vu.
Le temps n’est pas un fil.
C’est une béance.
Il s’approche. Il dit presque.
Mais le mot ne vient pas.
Alors il devient…
autre chose.
Moins que corps.
Plus que voix.
Il devient ce qui traverse.
note de travail
Ce texte est une tentative d’habiter le temps. Pas de le décrire, ni même de le penser — mais de s’y couler. Comme on tente d’habiter un corps qu’on n’a pas choisi.
Tout y est marqué par la prématurité. Une entrée brutale dans le monde : avant les mots, avant les rythmes, avant la chaleur. La naissance est ici un accident de temporalité.
Ce qui m’émeut, c’est l’effort que fait ce sujet pour recoller à la cadence des autres. Il observe les saisons, il regarde les horloges, il essaie de comprendre ce qu’il a manqué. Mais il reste… en décalage. Non pas marginal : flottant.
Les arbres, les merles, les chiffres romains, les rites d’école… sont autant de tentatives d’ancrage. Mais le sol reste fuyant. Même la langue — l’accent, la syntaxe — semble toujours “pointue”, apprise pour être socialement conforme.
La dernière image — devenir le vent — n’est pas une disparition. C’est une transformation poétique du sujet.
Il ne parle plus le langage du temps. Il est ce qui le traverse.
Une forme de sublimation discrète, mais puissante.
Je ne sais pas si c’est un cri, une prière ou un aveu.
Mais ce fragment est un seuil.