La seule peine, c’est celle qu’on ne peut dire.
Celle qui s’accumule.
Qui nous gonfle d’encore plus de peine.
Une fontaine de chagrin —
mais sans débordement.
On la garde. On l’amasse.
Pas un mot. Pas un soupir.
Dehors :
le concert des jappements,
des klaxons dans les bouchons.
Bruits, cris, alertes.
« N’en rajoute pas », dis-tu.
« Pas de peine sur la peine. »
Courage et lâcheté :
deux mains qui applaudissent
en sourdine.
Et entre les lèvres,
droit comme une lame,
l’horizon.
sous-conversation
C’est trop…
ça ne passe pas,
ça s’amasse, ça pèse — mais en dedans.
Ça pourrait jaillir, mais non.
Rien. Même pas un cri.
Il faut tenir. Ne pas troubler.
Ne pas se répandre.
Et l’autre qui dit : n’en rajoute pas.
Comme si…
comme si c’était toi, la surcharge.
Alors tu tais.
Tu te tais.
Mais ça applaudit en toi.
Oui. Un bruit sourd.
Un bruit de mains,
dans le vide.
Et la bouche fermée,
c’est pas un silence.
C’est une ligne.
Une ligne d’exil.
note de travail
Ici, tout tourne autour du non-dit. Non pas ce qu’on cache aux autres, mais ce qu’on n’arrive même pas à formuler pour soi.
La peine est nommée, mais aussitôt retenue, tenue, contenue. Elle se transforme : de sentiment, elle devient chose. Accumulation. Poids. Fontaine dont rien ne sort.
Le corps est présent — par effraction : les bouchons, les klaxons, les mains. Il y a cette opposition entre le vacarme du monde et le silence du sujet. Comme si l’extérieur hurlait pendant que l’intérieur se recroquevillait.
Le vers “courage et lâcheté, deux mains qui applaudissent en sourdine” est magistral. Il résume la tension morale du texte : tenir bon, mais à quel prix ? et pourquoi ce besoin de s’absoudre par le silence ?
Enfin, “un horizon droit entre les lèvres” évoque une sorte de ligne de fuite contenue dans le visage même. Ce n’est pas seulement ne pas parler, c’est s’aligner, se contracter, se figer pour ne pas disloquer. Un surmoi de pierre.
Peut-être que ce texte est une tentative de dire enfin cette peine qu’on ne peut dire.
Et c’est déjà beaucoup.