Au début, le brouhaha. Trop fort.
Il vaudrait mieux parler d’un bruit de fond.
Un poste de radio, dans une cuisine,
qu’on allume au petit-déjeuner,
pour contrer un certain vide.
Une absence que l’habitude juge insupportable.
Le bruit de fond :
présence contre présence de l’absence.
Il faut toujours une frontière pour sentir les limites.
Ensuite, à chacun de choisir de les franchir.
On pourrait aussi rejeter l’ensemble.
Ni bruit. Ni silence. Ni tout. Ni rien.
Une entreprise de moine.
Parvenir déjà à ce premier pas de côté…
le reste n’est qu’anecdote.
Il y a ce poste, posé sur la table.
Dans la tête aussi, il y a une cuisine.
Une table. Un mug de café noir.
Tout ça, reconstruit par la cervelle.
Par habitude.
Il y a des années, j’avais brisé mon cochon.
Avec ça, j’avais commandé *A Course in Miracles*.
Traduction de Sylvain du Boullay.
Mais trop dubitatif, je me suis arrêté au cinquième exercice.
(Le livret de l’élève.)
Il fallait prendre quelques minutes par jour,
et dire :
je ne sais rien de cette pièce,
de cette table,
de ce vase,
de cette chaise.
Rien qu’en y pensant,
le bruit de fond s’amenuise.
Comme alors.
On revient à son propre battement de cœur.
Sa respiration.
Et rien d’autre.
Un peu effrayant au début.
Comme un interrupteur.
On éteint le monde en disant : je ne sais rien.
Peut-être que l’écriture procède de la même tentative.
Non pas d’affrontement.
Mais d’approche.
Il faut fatiguer la viande.
Que toute résistance s’évanouisse.
Alors le miracle surgit.
Ça s’écrit seul.
Ni l’un, ni l’autre.
Mais un avec l’un comme l’autre.
sous-conversation
Ça grésille.
Pas trop fort. Juste assez pour masquer.
Masquer quoi ?
On ne sait plus très bien. Un vide ? Une peur ?
Un silence trop franc, trop dur ?
C’est là, le poste.
Sur la table.
Le café fume encore.
Mais ce n’est pas le café.
C’est… le cadre.
La cervelle qui reconstruit.
Toujours.
Et puis : rien.
Plus de mots.
“Je ne sais pas ce que c’est.”
Un vertige doux.
Comme si l’objet reculait.
Comme si le monde faisait un pas en arrière.
Écrire ?
Peut-être juste ça :
dire “je ne sais pas” d’une autre manière.
Fatiguer la viande.
Qu’elle lâche.
Et que ça passe.
À travers.
note de travail
Texte de seuil. Texte de vacillement.
Ce que l’auteur explore ici n’est pas l’opposition entre bruit et silence, mais l’intuition d’un troisième terme, plus instable, plus insaisissable : l’état entre.
Tout commence avec la radio. La cuisine. Le bruit domestique.
Mais très vite, on bascule.
La table devient mentale. Le mug devient reconstruit.
La radio devient un seuil vers l’inconnu.
Ce texte est traversé par une tentative de défamiliarisation du monde, par le biais d’un exercice spirituel : dire je ne sais rien.
Le paradoxe est beau :
plus on renonce au savoir,
plus on entre dans un rapport vrai au réel.
L’écriture ici est vécue comme une pratique proche de la méditation ou de la transe légère. Il faut fatiguer la matière. Fatiguer la viande, dit-il. C’est fort, c’est brutal, mais juste.
Et puis… “ça s’écrit seul.”
Ce n’est pas la grâce. Ce n’est pas la technique.
C’est l’effacement du moi qui résiste.
La dernière phrase fonctionne comme un koan :
ni l’un ni l’autre, mais un avec l’un comme l’autre.
On n’est plus dans la syntaxe.
On est dans l’expérience.
Ce texte n’est pas seulement pensé.
Il est traversé.