Codicille
Pourquoi 162 ?
Certains diront que c’est un hasard ancien, la longueur d’un rouleau, la patience d’un copiste ou l’inspiration d’une nuit.
Mais moi je pense qu’il fallait bien finir quelque part. Et que finir, c’est toujours recommencer.
162, c’est 1 + 6 + 2 = 9. Et après 9 ? On recommence : 0.
C’est une boucle. Un retour. Le moment exact où ce qu’on a nommé disparaît de nouveau.
C’est pour cela que je n’en propose que 16.
Parce que 1 + 6 = 7.
Et que 7, c’est le nombre de mondes, de cieux, de nains, de notes, de jours.
C’est le juste excès. Le seuil du visible.
À quoi bon pousser au-delà si l’infini est déjà là, dans le nombre impair qui rassemble ?
Chaque phrase ici est une poignée de sable — mais si on les jette ensemble, elles dessinent peut-être un passage.
Un verso. Ou un silence.
Verso
- Le souvenir est éreintant mais pas son parfum
- Si la jeunesse pense à mourir, c’est qu’elle n’a pas encore trop vécu
- La vieillesse peut être très triste si on n’a pas de petite joie pour compagnie
- On dit que Jimmy Hendrix était un garçon timide et on dit aussi que John est resté à contempler sa dent carriée un bon moment
- On dit que on dit qu’il ou elle
- Trouver le vivant dans le mort et son contraire
- Pourquoi s’arrêter à 162 sinon parce qu’après 9 tout repart à 0
- Sans un plan qui tombe à l’eau, on ne sait rien de la dureté des sols
- L’inconscient sait d’avance ce que tu n’as pas encore imaginé
- Si j’avais le temps j’aimerais bien m’arrêter un peu pour le voir passer
- Que laisse-t-on derrière soi de précieux, se demande-t-il en plein été sur la route
- Si l’on sort du spectacle, on ne trouve que des vêtements au sol
- Pourquoi un extraterrestre voudrait s’intéresser à toi
- Il faudra être mort pour se déplacer plus vite que la lumière
- Si je n’existe plus, je ne suis plus seul
- Tout parle, mais peu écoute
Recto
Soie. Doux, odorant, s’échappe. Cruauté aussi. Mais une cruauté qui ne fait pas mal à autrui. Une déchirure de l’air. Est-ce cruel pour soi, pour l’air, difficile de le dire. Et d’ailleurs pourquoi faudrait-il le dire.
Un bol intact, dans une lumière du matin. Un sourire qui n’a pas besoin de public. Le fait de ne pas répondre immédiatement, et de n’en éprouver aucune culpabilité. Une fenêtre entrouverte sur un champ qui n’appartient à personne, mais qu’on regarde comme s’il nous reconnaissait. Être à l’abri d’un désir qui ne nous concerne pas, entendre quelqu’un parler, et rien vouloir ajouter. Se tenir là, dans le retrait, et pourtant sentir que l’on pèse dans le réel.
Un ballon rouge s’envole. Il y a un grand ciel et un point rouge. Il y a des toits en dessous, mais ce ne sont pas les mêmes toits au départ et à l’arrivée. C’est dans un film. C’est drôle parce que c’est paradoxal. Des images en noir et blanc sauf ce rouge. Cette espoir dans un ballon rouge qui flotte dans le ciel, pour rien. C’est un espoir sans but, c’est pour ça qu’il est beau, qu’il me plaît.
Luxembourg. Le mot lumière ici c’est bassin. Au milieu du bassin le jet d’eau. L’eau en retombant sur l’eau crée un mouvement. Il est remarquable si l’on prend le temps de l’étudier que les déchets se regroupent par affinité. Ainsi les bâtonnets plats se rangent à côté des bâtonnets plats, les emballages de chupa chups font une ronde, les balles de ping-pong jouent à s’entrechoquer ensemble. Chaque jeu n’inclut que les membres appartenant au jeu et ignore tout des autres jeux.