Autofiction et Introspection
Habiter n’est pas impossible, mais c’est un vrai problème pour le narrateur. Il occupe des lieux sans jamais vraiment y entrer. Maison, atelier, villes traversées : ils existent, mais restent comme à distance. Il imagine que peindre ou écrire l’aidera à habiter autrement, à investir un espace intérieur qui compenserait l’absence d’ancrage. Mais cela demeure du côté du fantasme. Le réel, lui, continue de glisser, indifférent.
C’est de ce décalage que naissent ces fragments. Écrire pour traverser l’évidence, pour examiner ce qui ne s’examine pas. Écrire comme tentative d’habiter, sans garantie d’y parvenir.
articles associés
Carnets | février 2025
8 février 2025
Des fois, j’ai honte, des fois non. Ça dépend de la résonance du monde. Si j’ouvre la fenêtre et que j’entends les oiseaux, oui. Si j’entends le camion-poubelle, non. La honte ne dépend pas que de moi. C’est la résultante d’une mise en scène, à la fois côté cour et côté jardin. Il est assez rare d’avoir honte assis dans une salle de cinéma. Cela ne m’est arrivé que trois fois, au collège, lorsqu’on m’infligea la vision d’Auschwitz, le père Kolbe se sacrifiant à la place d’un autre. Mais honte pour nous tous. Pour l’espèce. Ensuite, la honte est une prémisse. Je reste rarement figé de honte, empêtré dans la honte. Honteux n’est pas un état stable, mais volatile. Ou du moins, une fois la honte bue, il reste ce dépôt crasseux au fond du verre, sur lequel on ne se gênera pas pour resservir du rouge à son voisin. Si tant est qu’un voisin, dans les environs, soit assez cinglé ou ignorant pour venir boire un coup à la maison. Bien sûr, il y a de la honte, mais elle se transforme généralement assez vite en rage, en haine. C’est la pente naturelle de la chose. Il faut attendre parfois des mois pour que certaines hontes se transforment en trésor. Toujours la vieille histoire de dragon et de meurtre. Tout cela est imaginaire, virtuel évidemment. Mais, quand même, à chaque fois, on y laisse un petit bout de cœur ou de cerveau bien réel. J’aurais du mal à être ami avec quelqu’un qui ne montrerait aucune réticence à table. Qui engloutirait de bon cœur du bifteck, des choux-fleurs, tout en parlant d’autre chose que de la tendreté de la viande, de l’onctuosité des crèmes. Je veux dire, dans le fond, que j’ai simplement bien du mal désormais à vouloir être ami avec qui que ce soit. À la fois parce que ma honte naturelle m’en empêche, et d’autre part parce que la sienne, au bout d’un temps, de même. Voilà où va l’humanité, dans ce lieu où l’on n’ose plus être ami parce qu’on ne veut jamais le croupion, toujours la cuisse. Passé une sale journée comme prévu. Maux de gorge, nez coulant, du coup, parlé au minimum. Même mis de la musique pour meubler. Travail à l’encre de Chine le matin, collages l’après-midi. Et toujours ces phrases : **ça ne ressemble à rien, je ne sais pas où je vais.** Il faisait un vent à décorner les cocus l’après-midi. **Ça ne ressemble à rien, je ne sais pas où je vais.** Bruits de voiture passant dans la rue. Train qui fonce sur la voie ferrée. Porte qui claque dans la profondeur du bâtiment. **Ça ne ressemble à rien, je ne sais pas où je vais.** Peut-être que chaque texte que j’écris dans ce journal est un *çaneresemblarien*, un *jenesaipasouj’vais.* La honte vient aussi du fait de se rendre compte que l’on n’est pas seul à éprouver les mêmes hontes. C’est un réflexe étonnant. De même qu’il est aussi étonnant de voir que les amis qui disparaissent le plus vite sont ceux qu’on a le plus aidés. Comme si la honte et une forme d’ingratitude étaient étroitement liées. La honte, en fait, peut désormais surgir de toute part, et je ne peux pas croire que ce n’est pas voulu. À nous tenir ainsi dans la honte perpétuelle de qui l’on est, on nous gouverne certainement bien plus efficacement. On ne partage que très peu ses hontes, on les conserve comme des têtes réduites accrochées au sombre réduit de la maison. Nos hontes sont nos mânes, nos lares, nos lémures, nos génies tout autant. — **« Voilà, gars, appelle-moi génie »**, me dit le dibbouk en conservant les yeux fermés quand il fait semblant de lire par-dessus mon épaule. Cette fois-ci je n'y fais pas attention. Je ne réplique même pas. je sais à présent que le dibbouk peut être aussi con que moi, aussi honteux parfois, encore que de le savoir me fait une belle jambe.|couper{180}
Carnets | février 2025
6 février 2025
© Florie Cotenceau Le mot articule, quand il s'agit d'un impératif, me fait encore pouffer sitôt que je l'entends. Puis le mot abattis s'amène avec sa tête de comptable. Et derrière lui, toute une armée d'abrutis. Numérote tes abattis, disent-ils tous en chœur. Je ne me souviens pas avoir regardé ces mots dans un dictionnaire. Leur rencontre frontale m'a enseigné un sens figuré et personnel. Voilà comment je me figure (si tu te figures qu'ça va qu'ça) le borborygme incessant du monde qui m'environne et cherche par tous moyens possibles, imaginables, à me phagocyter. Mais revenons à articule, je voulais dire quelque chose et ça m'a tellement vite échappé. Réticules serait un sac à main rempli de bruits de clefs, de cartilages en décomposition, d'osselets blancs. Quant à pédoncule, il n'indique qu' un filet baveux laissé par les limaces traversant les champs de batavia. Je dis tout ça de bonne heure pour ne pas l'oublier. Parce que j'ai lu encore qu'un homme de mon âge s'était présenté à l'hôpital pour des maux de tête et qu'on lui a diagnostiqué un océan d'eau dans le crâne. Je ne m'intéresse plus guère qu'aux événements arrivant aux femmes et aux hommes de mon âge. Il faut bien faire un choix. Parfois, je m'accorde un peu de distraction pour aller voir ce qui peut bien se passer chez les septuagénaires, voire quelques octogénaires, mais c'est tellement déprimant que je reviens vite au temps présent. À tout ce qui a l’heur d'être de mon âge. C'est de son âge, disait-on au café après avoir englouti la poire et le fromage. Sous-entendu, ça lui passera. L'âge et ses inconvénients, je suis bien désolé de le dire, ne passent jamais : ils filent, ils emportent tout sur leur passage. L'âge, le nôtre, indubitablement, nous conduit vers la pourriture, la décomposition à la fois psychologique et physique. Du coup, je me serais laissé emporter, je ne sais plus très bien où j'en suis. Un océan liquide dans le crâne, voilà. Savez-vous que ce ne serait pas pour me déplaire ? Et même, ça me botterait. Moi qui ai toujours eu des velléités de pêcheur au harpon ou de baleine blanche. Dans un crâne, certainement, les contradictions, les paradoxes s'abordent-ils copieusement, se sabrent. Hier, vers 17h30, j'ai soulevé un loup. J'étais en train de relire ce bon vieux Horla quand, tout à coup, j'ai repensé à ces impressions étranges que j'avais traversées adolescent en parvenant sur le seuil de La Ville sans nom. Comme il était l'heure du thé, j'ai laissé en plan, non sans faire un nœud à mon mouchoir afin d'y repenser vers 19h, heure à laquelle je suis suffisamment tranquille pour penser à des choses absconses, idiotes, affreusement inutiles. Figure-toi, me suis-je dit, que L. ait lu Le Horla, qu'il ne l'ait dit à personne et s'en soit inspiré. Et à partir de là, trois petits articles que l'on pourra trouver dans la rubrique lectures. Quand ils seront prêts évidemment, il faut encore les relire, sait-on jamais qu'on voie encore des pans entiers de mystère se lever, numéroter leurs abattis et, quelque part, au-dessus de cette masse grouillante et gluante, une espèce de bouffon en guenilles hurlant : — ARTICULE ! ARTICULE ! L’empereur impérial, impérativement. Le dibbouk a sorti un vieux mouchoir sale de la poche de sa redingote et l'a agité devant lui. --Adieu raison, vaches et cochons ! a t'il ajouté en se moquant bien sûr. De mon côté je me suis demandé si je n'allais pas me raser c'est jeudi, l'heure d'aller enseigner arrive à grand pas.|couper{180}
Carnets | janvier 2025
26 janvier 2025
Réveil à 11h. Passé la nuit à retravailler des textes, à m'arracher quelques poils du nez ou des oreilles pour tenter de comprendre ce que je voulais dire. Des voix venues d'un tréfonds insondable, abscons. Mais qu'il faut respecter malgré cela. Il faut tout respecter, même ce qui se présente comme l'irrespectuosité flagrante. Non pas dans cette sorte de servilité abominable qu'affichent les collabos malgré eux, encore qu'elle soit respectable aussi, si l'on veut. À condition de le vouloir, d'être en suffisamment bonne forme, d'avoir bu un café fort et sans sucre, amer, et d'être prêt à affronter le vaste ciel bleu qui s'étend au-dessus de la ville. Il y a dans l'auto-sabotage une forme de joie sauvage qui peut prendre la place de la mélancolie pathologique. Ce que permet le réseau social, cette mise en scène de l'auto-sabotage, est-elle un acte purement narcissique ou un acte de résistance, de révolte ? Pas à toi de le dire. Il faut sans doute ne pas vouloir le savoir pour poursuivre. L'algorithme en perd son latin et toi, tu apprends la déclinaison.|couper{180}
Carnets | janvier 2025
25 janvier 2025
La saturation prend à la gorge dès l'ouverture d'un fil d'actualité. Cinq milliards qu'ils sont maintenant, tous là, à scroller sans fin dans le fil des catastrophes. Le doigt qui glisse et l'œil qui suit, mécanique bien huilée de notre temps. Deux heures vingt-trois en moyenne qu'on y passe, à s'intoxiquer de ces fragments de monde qui nous explosent à la figure. Le cerveau est comme ça. Plus on lui balance du négatif, plus il en redemande. Circuit de la récompense qu'ils appellent ça, les scientifiques. On cherche la menace, on fouille dans les recoins sombres de l'actualité. Comme si ça pouvait nous préparer au pire. Illusion de contrôle, qu'ils disent. L'algorithme, lui, il connaît la chanson. Il te sert ce qui fait mal, ce qui choque, ce qui indigne. Plus tu cliques, plus il t'en donne. Huit personnes sur dix qui ne lisent que les titres, alors il faut que ça saigne dès la première ligne. Dans les têtes, ça travaille. La fatigue informationnelle, nouveau mal du siècle. Le stress monte, l'anxiété s'installe, la dépression guette. On appelle ça le « doomscrolling » maintenant - ce besoin compulsif de plonger toujours plus profond dans les mauvaises nouvelles. Les chiffres sont là pour témoigner. Huit minutes de moins cette année , sur ces réseaux. Comme si le corps, quelque part, commençait à dire non. Mais c'est pas si simple de décrocher quand la peur de rater quelque chose te tient par les tripes - la FOMO qu'ils appellent ça, ces spécialistes en acronymes. Et pendant ce temps-là, la machine tourne à plein régime. Des millions de textes, de vidéos, d'images qui déferlent chaque jour. L'attention, denrée rare dans cet océan de stimuli. Tous se battent pour un bout de cerveau disponible, pour un clic, pour un like. La surcharge fait son œuvre. Cognitive qu'ils disent, les experts. Modification de la mémoire à long terme, altération du jugement, indécision. Le cerveau qui sature, qui dit stop, mais la main qui continue de scroller. Alors certains, ils commencent à lever le pied. La JOMO - la joie de rater des trucs - nouveau mantra de ceux qui veulent reprendre leur souffle. Dix, vingt minutes par jour, pas plus. Se fixer des limites, comme un sevrage. Le paradoxe est là : plus on est connecté, plus on se sent seul. Plus on consomme d'infos, moins on comprend le monde. La saturation qui mène à la paralysie, à l'impuissance. Mais peut-être que c'est ça, la vraie résistance : réapprendre à respirer entre les nouvelles. Laisser le temps au temps, comme on disait avant. Quand les écrans n'avaient pas encore avalé nos vies. La saturation, elle nous guette tous. Mais peut-être qu'il suffit parfois de lever les yeux, de regarder ailleurs. — Le monde continue de tourner même quand je ne scrolle pas- dites-le 20 fois le matin, comme un avé Maria.|couper{180}
Carnets | janvier 2025
24 janvier 2025
Le simple fait du vivant impose de lui-même le respect, qui est une forme de responsabilité. Ce que Lévinas nomme la responsabilité éthique envers autrui, mais étendu à la totalité du monde vivant.|couper{180}
Carnets | janvier 2025
23 janvier 2025
Rouge. Encore. Toujours. L’écran reflète la lumière comme une alerte. Atelier en attente. Les doigts sur le clavier. Rien. Trop. Le gras, dit le dibbouk. Mais lequel ? L’image ? Le bruit ? Les plateformes, villes flottantes. On y entre comme en exil. Mastodon. Seenthis. Bluesky. “On vient de X.” Ça marque. Ça trahit. On part, on reste. Pas pour la technique. Pour l’image qu’on donne. Qu’on perd. Reprendre le contrôle. Peut-être. Savoir se taire. Penser aux caves de l’Occupation. Machines à écrire qu’on étouffait. Papiers qu’on faisait circuler. L’urgence de dire sans se montrer. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Tout se montre. Rien ne tient. Le bruit monte. Scroll. Stop. Scroll. Stop. Prière muette. Geste nerveux. La planète brûle. On regarde. On continue. Trier. Filtrer. Laisser des traces dans la boue numérique. Mais qui regarde ? Qui suit ? Le désert gagne. Mais j’écris. Encore.|couper{180}
Carnets | janvier 2025
21 janvier 2025
Photo de Geri Forsaith sur Unsplash Nouvelle proposition d’écriture reçue hier. Lue en diagonale. Pas visionné encore la vidéo. Le mot qui me vient par rapport à ma participation : décousu. Ce qui renvoie à effiloché, termes empruntés au vocabulaire de la couture. Le rapiècement n’est pas loin. Et toujours se tenir à ce rocher comme une moule : je n’écris jamais que des brouillons, l’œuvre sera pour plus tard. C’est pathétique à mon âge. Cette rébellion qui ne me quitte pas depuis mes premières tâches d’encre violette, mes tous premiers pâtés, mes débordements dans la marge. Que sais-je du point-virgule qui ne soit pas seulement un théâtre ? Pas grand-chose. Ça ressemble à une parole de Normand : pt’ête ben que oui, pt’ête ben que non. Plus longue la pause que la virgule, pas autant que le point. Marque la séparation entre deux propositions indépendantes. Hier donc, j’ai reçu une proposition d’écriture ; bien content que ce ne soit pas une énième publicité ; tout en épluchant des carottes. Il était d’ailleurs temps : elles commencent à devenir molles. Je suis revenu sur le bouquin de Tiago Forte. L’histoire de la chorégraphe qui, lorsqu’elle commence un nouveau projet, inscrit le nom du projet en caractères gras et noirs sur une étiquette, puis la colle sur une boîte. Voilà une phrase difficile à dire d’un jet. La longueur des phrases est une préoccupation : longues ou courtes, avec ou sans ponctuation ? Et s’il y en a, s’il en faut, laquelle ? Virgule, parenthèses, tirets en tout genre… Il faut que je le dise : je n’en sais rien. Je n’ai jamais vraiment voulu le savoir. Pas plus que la patate chaude. Mais à un moment — et c’est peut-être le bon désormais — il faut quand même s’y intéresser ; ça peut même créer un semblant de motivation. La prise de notes est un poème. Du moins cela peut s’en approcher. Ce que l’on conserve comme substantifique moelle d’une lecture, d’une conversation, d’une balade au bord du Rhône, d’une nuit de sommeil, d’un repas, d’une partie de jambes en l’air… Se contraindre à tendre vers un essentiel, à cerner une sensation, un embryon d’idée. C’est aussi à cela que ce petit carnet de L. doit lui servir : pour compresser au maximum toute l’information qu’il juge importante dans une journée. Ensuite il s’en sert pour écrire ses longues lettres à ses tantes. Et la combinaison des deux certainement n’est pas innocente : c’est de l’écriture ; ce n’est pas que de la correspondance ; pas seulement de la chronique ; c’est du boulot. Les longues phrases de L., en voit-il le bout quand il les commence ? Peut-être à la fois la peur et le désir de parvenir au bout ; une phrase est une vie miniature ; on écrit sa phrase comme on respire — ou bien l’inverse. Donc ces textes quotidiens, les miens, sont une sorte de mélange entre une volonté de laconisme et le refus du laconisme. La question est de savoir si je suis du genre saproxilique ou lacédémonien. Le chemin le plus court prenant souvent l’aspect rebutant d’une autoroute, possible que je préfère le papier qui — si l’on réfléchit bien — se rapproche assez bien du bois mort, de la putrescibilité : quelque chose proche d’un essentiel, de ce qui reste du rêve d’une graine voulant atteindre le ciel ; de la stupeur de celle-ci voyant autant d’encre versée sur elle en fin de partie. Donc j’en étais à cette chorégraphe, à son étiquette, à sa boîte. Elle fourre tout ce qui peut avoir le moindre lien avec son projet. Pêle-mêle : des photos, des audios, des textes… absolument tout. Et aussi sur deux fiches bristol sur lesquelles elle résume en une phrase le pourquoi de son projet. Deux fiches parce qu’on peut avoir des motivations personnelles et altruistes. L’erreur serait donc d’avoir trente-six boîtes pour se faire croire qu’on a trente-six projets et dans aucune les deux fiches bristol qu’on verrait peu à peu s’enfoncer comme des graines dans le terreau de la matière accumulée.|couper{180}
Carnets | janvier 2025
17 janvier 2025
Il n’y a rien. Pas d’idée, pas de phrase. Juste le vide. Je regarde l’écran, la fenêtre. Il fait nuit. J’attends. Rien ne bouge. Les mots ne viennent pas. Je cherche, je force un peu, mais tout reste bloqué. Chaque fois que je commence une phrase dans ma tête, elle s’efface. Ce n’est pas la première fois que ça arrive. Ce ne sera pas la dernière. Et chaque fois, le doute revient. Stupeur et tremblements. Je me demande si ça reviendra, si je vais pouvoir continuer. Aller, un peu de drama, histoire d’exalter mes globules sanguins slaves. Mais je reste. Je connais la musique. J’attends encore un peu. Je pose une phrase. « Il n’y a rien. » Voilà la phrase. Elle flotte. Elle baigne comme un vieux mégôt dans une flaque de café froid. Je la regarde. Elle ne s’enfonce pas sous la surface. Elle surnage. Ça pourrait être une île. Une autre arrive. Elles ne se répondent pas vraiment. Ce sont des îles isolées, le début d’un archipel, ou ce qu’il reste d’un continent englouti. Je les observe. D’autres affleurent de ce prétendu néant. Elles s’accrochent l’une à l’autre. Le vide recule un peu. Tout commence comme ça. Pas avec des idées claires. Pas avec des mots précis. Seulement avec un geste. Celui d’écrire une phrase, même si elle vacille. Puis une autre. C’est tout. Le rien, on le fuit. On le prend pour une impasse. Mais ce n’est pas ça. C’est un espace. Un endroit où quelque chose peut naître. Il ne faut pas le forcer. Juste rester. Laisser les mots venir. Je pense à Beckett. « Fail again. Fail better. » Ce n’est pas une leçon. C’est une méthode. Recommencer. Accepter que rien ne soit parfait. Écrire mal. Écrire quand même. Perec fait ça aussi. Il regarde les objets, les gestes simples, ce qui ne semble pas compter. Il commence par rien. Et ce rien devient quelque chose. Les jours comme aujourd’hui, je fais pareil. Je n’attends pas l’inspiration. Je ne cherche pas la phrase juste. J’avance dans le brouillard. Je pose des mots. Ils ne me paraissent pas bons. Tant pis. Ce n’est pas important. Ce qui compte, c’est qu’ils soient là. Qu’un acte soit posé. Au bout d’un moment, ça change. Rien de spectaculaire. Ce n’est pas rapide. Ce n’est pas extraordinaire. Il faut évacuer cette idée d’extraordinaire, je crois. La chasser, plisser un peu les yeux. Quelque chose bouge. Les phrases s’alignent. Comme les déchets que l’on voit flotter dans un bassin. Ce n’est pas pour rien qu’on dit que les choses qui se ressemblent s’assemblent. Il faut des heures à ne rien faire, des jours, des années, peut-être une vie entière pour voir ça. Les choses s’assemblent par nature. Les phrases aussi. Elles trouvent leur rythme. Elles poussent. Je ne sais pas comment ça arrive. Ça vient juste parce que je décide de résister à la résistance. Je regarde le texte. Il tient debout. Pas comme je l’aurais voulu. Pas comme je l’avais imaginé. Mais il est là. Je pose une phrase. Il n’y a rien. Et cette fois, je sais que c’est faux.|couper{180}
Carnets | janvier 2025
6 janvier 2025
Peinture : Gérard Garouste Le savoir, c’est très bien. Mais désormais, il semble accessible à profusion, partout, tout le temps. Ce qui ne change pas, ce sont les rivalités qu’il suscite. Les vénérations absurdes. Les jalousies. C’est aussi pour ça que je recule devant des expressions comme : « Tu sais », « Moi, je sais », « Comment ? Mais tu ne sais pas ça ? ». Elles m’agacent. Elles me fatiguent. F.B., lui, avance. Il s’est lancé dans une entreprise folle : décrypter les carnets de Lovecraft, ces deux lignes quotidiennes, sèches et laconiques autour de quoi il recrée toute une vie et toute une époque en parallèle de la notre 1925-2025. Je regarde ses vidéos, hypnotisé. Lovecraft écrivait peu à chaque fois, mais chaque jour dans ces commonplace books. Deux lignes par jour la plupart du temps. Moi, j’écris beaucoup, souvent pour rien. Je ne dispose pas de la faculté de concision, qui nécessite celle du tri, du rangement, propre à une certaine rigidité d'esprit. Ce qui n'empèche pas le « vouloir écrire » l'aspect obsessif ( j'ai vu qu'on pouvait désormais remplacer obsessionnel par obsessif ) Je repense à ce que disait Daniel Oster, à propos de la façon dont Apollinaire a inventé son nom. Un nom comme un Non. Un refus craché au monde. Combien de fois ai-je rêvé de m’allonger sous un chêne, attendre que les choses invisibles m’appellent par mon vrai nom ? Mais rien n’est venu. Juste quelques cacas d’oiseau. Alors je me fabrique un couvre-chef de brindilles, la tête haute. Lefol, Lepitre tu portes bien ton nom ! crient encore les gamins en riant. Mais moi, je continue d'avancer je suis César, Jésus, ou Saint Jean-Baptiste transpercé de flèches. PORC-ÉPIQUE ensanglanté. Peut-être que c’est ça, écrire : une navigation entre les brindilles et les livres, les épines , la candeur, la lucidité, le silence et le trop-plein. Peut-être que c’est dire non, à chaque fois, tout en cherchant dans ce chaos la vérité d’une seule ligne. Quelque chose qui tienne, donne l'illusion de l'unité, jusqu’au lendemain. À la fin de la journée, au début d’une autre, j’ai toujours l’impression de sortir d’un rêve. Comme d’une vidéo, d’une lecture, d’une séance d’écriture. Un tout petit moment de lucidité, extrêmement douloureux. Comme une agrafe plantée dans le pouce. Ça ne dure pas. Presque aussitôt, après être remonté à la surface, je m’enfonce à nouveau : un somnambulisme obligé pour supporter la déliquescence générale de l’époque.|couper{180}
Carnets | décembre 2024
24 décembre 2024
Louvre, la galerie des expositions temporaires D'abord, il y avait ce mot. **Exposition**. Rien de spectaculaire à première vue, juste un mot comme un autre. Mais les mots, parfois, sont des pièges. On croit les saisir, et c’est eux qui vous attrapent. Alors, à partir de ce mot, on décide de chercher, d’explorer, de faire tourner un moteur de recherche pour déterrer tout ce qu’il a pu produire, inspirer, contaminer. Résultat : une centaine de pages. Des fragments, des éclats, des débuts et des fins tronquées. Le tout copié-collé sur un document Word. C’était un début. Le document, lui, est soumis à une machine. Une intelligence artificielle. On lui demande d’organiser ces morceaux : numéroter, découper, agencer, tout ce que nous, humains, avons la flemme de faire. La machine obéit, docile. En quelques secondes, tout est classé, numéroté, prêt à servir. Alors, pourquoi ne pas aller plus loin ? Pourquoi ne pas demander à cette même machine d’imaginer des combinaisons, de tisser des liens ? C’est là que ça devient intéressant. On confie à la machine des tâches barbantes, elle les exécute ; ensuite, elle propose des axes, elle éclaire des pistes. Son travail est précis, mais sa logique nous échappe. Et c’est justement ce qui compte. Exposition. Le mot revient, tourne, insiste. La machine en décline les variations, les interprétations, les sens possibles. Exposition comme révélation : Ce qui est offert au regard, montré, parfois malgré soi. Exposition comme vulnérabilité : Se mettre à nu, s’exposer au danger, au jugement. Exposition comme espace : Les lieux, les frontières, les passages entre intérieur et extérieur. Exposition comme processus : Comment expose-t-on une idée, une œuvre, ou soi-même ? Tout cela pourrait sembler théorique, mais non. L’exercice a réveillé une vieille scène. Une conversation, en apparence anodine. Avec « F. ». Une mise en garde lancée comme ça, un soir, au détour d’un échange : « Tu ne trouves pas que tu prends des risques à t’exposer comme ça ? » Une phrase. Une réplique. À l’époque, on la balaie d’un geste, d’une pirouette. Pfff. Les risques, quelle blague. Moi, bien au-dessus de ça, confortablement assis sur le trône bancal de ma toute-puissance imaginaire. Mais aujourd’hui, avec le recul, la scène s’éclaire différemment. On n’est plus acteur, on devient spectateur. On regarde le moment, détaché, comme un spectateur devant une pièce de théâtre. Deux personnages, deux rôles. Le premier croit émettre une vérité ; le second, dans son rôle de roi déchu, esquive sans réfléchir. Sauf qu’en réalité, ces rôles nous dépassent. Ce qu’on dit, ce qu’on fait, ce qu’on balaye d’un revers de la main, tout cela s’inscrit dans quelque chose de plus vaste, de plus opaque. F. lui-même n’était peut-être pas maître de cette phrase, qui a jailli de sa bouche comme une réplique dictée par une force extérieure. Peut-être qu’une fois dite, il en a été effaré, se demandant d’où elle venait. Mais elle était là, la réplique. Et moi, je l’ai ignorée. Tout cela revient, bien sûr, parce qu’au fond, c’est ça, l’exposition : ce qui nous échappe. Ce qui est montré, livré, parfois contre notre gré. Les mots qu’on dit, les textes qu’on écrit, les pensées qu’on partage. Une fois exposés, ils ne nous appartiennent plus tout à fait. Ils s’évadent, trouvent leur chemin, rebondissent sur des lecteurs, sur des critiques, sur des malentendus. Et nous ? Nous restons là, figés, à regarder ce qui était à nous devenir quelque chose d’autre. Alors, ces fragments numérotés par la machine, ces éclats d’écriture, qu’en faire ? Comment les relier ? La méthode, aussi froide et impersonnelle soit-elle, laisse émerger des motifs : des récurrences, des oppositions, des échos. On commence à voir des lignes, des structures. On pourrait croire qu’on contrôle tout cela. Mais c’est faux. On s’imagine maître de l’organisation, mais ce sont les fragments eux-mêmes qui décident. On leur donne une direction, vaguement, et ensuite ils nous échappent. Et c’est peut-être là tout l’enjeu de l’écriture. Accepter cette perte de contrôle. Accepter qu’en s’exposant, on se livre à l’inconnu. Tout comme ces fragments exposés à la machine. Tout comme cette conversation avec F. Tout comme cette réflexion qui, à l’instant, m’échappe encore une fois, et je perds le fil. ça m'a échappé. C'est très bien que ça m'échappe. Je ne vais pas m'en plaindre, au contraire. Puisque ça m'échappe ça peut se transformer, rien ne se perd rien ne se crée tout se transforme. ça pourrait se transformer en du Duras : « L’exposition. Oui, le mot. Toujours le même. Exposition, c’est ce que ça veut dire : être là, dehors. Être vu. Même quand on ne veut pas. Quand on veut rester. À l’intérieur. Ça traverse, malgré tout. C’est dans l’air. La machine organise, c’est son rôle, sa fonction, mais elle ne sent pas. Pas comme nous. Nous, on sait. Que l’exposition blesse. Et que l’exposition crée aussi. On le sait. Même si on n’en parle pas. » ça pourrait se transformer en du Perec : "On commence par un mot. Exposition. Ce mot se répète. On l’imprime, on le classe, on l’ordonne. Mais on s’aperçoit qu’il n’a pas qu’un seul sens. Il en a quatre, cinq, dix peut-être. Et si l’on multipliait les sens à l’infini ? Exposer, c’est montrer. Ou se montrer. Montrer, c’est risquer. Risquer, c’est perdre. Mais perdre, c’est gagner. Non ?« Ou encore si ça passe par Annie Ernaux : »J’ai toujours écrit pour m’exposer. Même quand je disais que non, que ce n’était pas pour ça. L’exposition, c’était la peur et le désir en même temps. La peur qu’on me voie, qu’on me juge. Le désir qu’on me voie, qu’on me comprenne. Quand F. m’a dit cette phrase – « Tu prends des risques à t’exposer » – c’était une phrase comme une autre, banale, mais elle est restée. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce qu’elle disait quelque chose que je savais déjà mais que je ne voulais pas entendre. Aujourd’hui encore, je l’entends.« On peut aussi essayer de passer la patate chaude à Laurent Mauvignier : »Et puis il y a F., un soir, qui dit ça, comme ça, sur un ton presque neutre, presque rien, une phrase lâchée au milieu d’un autre sujet, comme une flèche qu’on ne voit pas venir mais qui frappe quand même, et il dit : « Tu prends des risques à t’exposer comme ça. » Et je me vois, à ce moment-là, sourire – oui, sourire –, comme si c’était rien, rien du tout, un conseil qu’on balaye parce qu’on n’a pas envie de s’arrêter, pas envie d’écouter, pas envie de sentir ce qu’il y a derrière, la vérité peut-être, ou la peur qu’il a pour moi, ou la peur que j’ai pour moi mais que je ne veux pas admettre.« il ne faudrait pas oublier non plus Nathalie Sarraute : »« Exposition… » Voilà, c’est dit. Le mot revient, s’installe, s’étale. Il ne devrait pas peser autant, mais il pèse. Trop lourd, ce mot, il déborde. Et pourtant on le garde. On veut le comprendre. On veut le disséquer. Comme si c’était possible. Mais non, il reste là, opaque, glissant, insaisissable. Et puis F. qui parle, qui dit ça, une phrase, une question, comme un coup, pas violent, pas brutal, non, mais là, juste là où ça fait mal. Et tout de suite, cette pirouette, cette façon d’éviter, de détourner, d’échapper… Pourquoi ? Pourquoi cette peur de répondre ?« Et, pour finir, en tout bien tout honneur par »F« lui-même : »Expositio, dis-je, ce mot latin, plein de savante résonnance et d’exquisité, combien est-il fertile en sens et en subtilitez ! Certes, il vient du noble verbe exponere, qui vault à dire « mettre dehors », « exposer au jour », mais aussi « expliquer », « découvrir et monstrer ». Ce mot est de nature à contenir tant de faces diverses qu’on le prendroit pour ung diamant facetté, chascune de ses parois refletant une lumière nouvelle. Premièrement, voyez l’expositio comme revelation. C’est ung geste solennel et majestueux, le lever de rideaux, le monstrer d’une chose jadis taincte (cachée) et occulte. Tel estoit le labeur des bons doctes, tant ès scolastiques qu’en saincte théologie, lorsqu’ils exposoient par sermons, gloses et exégèses les obscurs passages des sacrez livres. Mais sçachez bien que ce geste noble est aussi dangereux ! Car voici venir le second sens de l’expositio : c’est la mise en danger, la vulnérabilité. Qui s’expose, ô mon amy, se met en adventure. Estre exposé, c’est se tenir nud devant les yeux curieux et parfois méchans. C’est offrir son flanc au glaive, au brocart et au venin des langues jalouses. Rappelez-vous des enfans qu’on exposoit aux champs ou sur les degrés des églises, laissés au sort du hasard et du vent. Ainsi, expositio est toujours pleine de péril. Mais ce n’est mie tout. L’expositio se fait aussi lieu, espace, frontière. C’est ung seuil où le dedans rencontre le dehors, où l’ombre fait courtiz à la lumière. C’est l’entrée d’ung chasteau, la grand’salle où tout se passe. C’est la plaine où viennent se rencogner les errans et se rencontrer les esprits curieux. Bref, c’est ung lieu d’entre-deux, où rien n’est clos ni certain. Et finalement, voyez le dernier sens de l’expositio : c’est la création. Car exposer une idée, une œuvre, c’est la faire naistre, la tirer hors du ventre de la pensée et la mettre au monde. Mais ici encore, tout enfantement est douleur, tout geste est perte. Car ce qui est exposé ne demeure plus nostre. Les mots s’envolent comme oysillons, et jamais plus ne reviennent. L’expositio est une offrande et une séparation. Or, que penser de ce mot, mes amis ? Est-il bonté ou malechance ? Don ou dépouillement ? Sachez-le : il est tout cela à la fois. Et plus encore, il est une énigme, ung jeu où le hasard, la hardiesse et le génie se rencontrent. Et si vous le craignez, c’est que vous ne comprenez pas qu’au fond, tout est expositio en ce monde"|couper{180}
Carnets | décembre 2024
21 décembre 2024
Ce matin, je me sens vide. Si plein de rien. Un trop-plein de rien. Débordant d'absence. Pourtant, je n’en éprouve plus de honte. C'est presque obscène d'y apercevoir comme une jouissance. Je goûte pleinement cette sensation. C’est un acte de résistance. Je refuse de croire que le vide est une faute. Ce vide, c’est mon luxe personnel. L’opposé de cette opulence qu’on m’a toujours vantée, celle qui cache les manques sous des artifices inutiles. Me voici à la source du désir. Là où rien n’est nommé, où tout peut commencer. J’entends les voix qui murmurent : comme c’est enfantin. Mais qu’importe. Ce vide est un espace creux, mais habité. L’enfant que j’étais, l’adolescent révolté, le jeune homme arrogant, le vieillard larmoyant – tous continuent d’y exister, à leur manière. Je ne les fuis pas. Je sais ce que je dois au monde pour avoir la force de dire « je ». Mais je sais aussi ce que je dois à ce « je » pour m’extraire du poids du monde. Ce vide n’est ni une fuite ni une faiblesse. C’est un point de départ qui se confond avec l'arrivée. Un lieu où je peux être, simplement. C'est comme prendre le temps de s'asseoir au bord de la rivière et regarder passer les nuages se reflétant à la surface. Puis l'injonction de se relever, de revenir de nouveau dans le mouvement, le brouhaha, ressurgira tôt ou tard, elle revient toujours, pour tenter d'imposer silence à jamais.|couper{180}
Carnets | décembre 2024
10 décembre 2024
H.P. Lovecraft Retour de la permanence à Saint-Donat en écoutant des textes de H.P Lovecraft lus sur la chaine Youtube Tindalos. Plus que l'histoire en elle-même, mon attention est sur la prononciation de chaque phrase. Je me suis amusé à repéré l'accent tonique, à compter le nombre d'adverbes, d'adjectifs destinés à inspirer l'horreur. Il en résulte à la fin une sorte de gaité, de bonne humeur, une euphorie. Notamment cette histoire du Temple, cet Allemand qui reste seul dans son sous-marin après que tout son équipage a perdu la raison et c'est enfui ou noyé, sans doute les deux. Cette rigidité qui revient dans un rythme lancinant en parallèle du récit— Ma volonté allemande, mon intelligence prussienne, ma volonté teutonne, le tout primant sur le simple péquin vivant par hasard au bord du Rhin au bout d'un moment fait rire . Ce mélange d'humour, d'adverbes et d'adjectifs sensés installer la peur tout au contraire me met en joie. C'est que c'est le style justement l'important dans toute cette histoire, un style exagérément gonflé, superfétatoire, dont on ne prend pas la mesure exacte lors des lectures adolescentes de HP Lovecraft. Il faut que je note sur nom J. B, cette peintre qui vit à Bourg de Péage et qui est restée un long moment à me montrer ses tableaux sur son smartphone. J'ai eu peur au début, elle parlait de Notre Dame, que Notre Dame l'avait inspirée. Qu'elle avait commencé à peindre cette série de tableaux ( 12 ) depuis l'incendie de Notre Dame. Heureusement dans ces cas là on attend que ça passe poliment, que ça s'arrète tout seul si on ne relance pas. Et puis je ne sais pas est-ce que l'on se présente aux gens en disant dans les années 77 j'ai beaucoup vendu, c'est tout à fait grossier, c'est même carrément vulgaire. Puis j'apprends qu'elle a traversé toute une cohorte de malheurs, je m'attendris, je compatis. Je n'irais pas mettre un cierge pour autant. Lui ai laissé mon adresse mail au cas ou elle veuille m'inviter à son exposition prochaine. Une demie- heure après mon arrivée à la maison coup de fil de S. qui me hurle dans l'oreille qu'elle est perdue que son GPS ne marche pas qu'elle ne sait pas où elle est. Qu'est-ce que j'y peux ? je monte voir la carte sur l'ordinateur Eysin Pinet tu as le choix entre revenir en arrière vers Pont l'Eveque, ensuite Vienne ou bien te diriger vers cours et Buis et il y aura une route sur ta droite directe pour Vienne. Elle me hurle à nouveau dans l'oreille Je suis perdue , je suis perdue. J'en ai marre —qu'est-ce que j'y peux ? ... on raccroche . Elle me rappelle je suis perdue j'en ai marre etc. Calme toi tu conduis. Je répète. On raccroche encore. Du coup suis énervé aussi maintenant Je suis redescendu pour aller visiter le frigo. Pas grand chose. Je vais faire des pâtes. Il reste un peu de fromage rapé et du beurre. Tout va bien. Je me demande ce que ça pourrait donner si je racontais ça dans le style de Lovecraft. Et tiens bizarre, pas beaucoup de personnages féminins dans ses histoires maintenant que j'y pense.|couper{180}