fictions brèves

Ici se rassemblent des fragments narratifs à la frontière du rêve, du souvenir, de la fable. Chaque texte est une tentative condensée, parfois minimale, parfois traversée de dialogues ou de silences qui en disent plus qu’un récit achevé. Ce ne sont pas des nouvelles classiques : souvent sans chute ni intrigue, mais des scènes mentales, des instants volés à l’indicible. Certaines relèvent de la microfiction, d’autres adoptent une voix théâtrale ou introspective, flirtant avec l’absurde. Ce sont des éclats de fiction, des condensations de mondes possibles, où reviennent des figures spectrales, des alter ego, des voix qui se dérobent. La fiction n’est pas un décor : elle est le moyen de percer la réalité autrement, de faire vaciller le quotidien.

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fictions

tant mieux

Il a dit une chose neuve : Tant mieux si le prix du chocolat augmente, personne n'en achètera et ça leur restera sur les bras. Puis un autre a dit : T'as raison et ça leur rapportera moins de TVA. Puis tout le monde a rebu un coup et c'était comme avant.|couper{180}

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fictions

tous des chiens

Enfin, celui-là est arrivé avec son gros bonnet sur le crâne et il a dit que nous étions tous devenus des chiens. tous, des chiens sans âme ! L'autre à cet instant a voulu la ramener. Genre : ah oui ? et comment sais-tu que les chiens n'ont pas d'âme ? Mais le gros avec son bonnet avait un regard si féroce que la conversation s'est tout de suite arrétée là. Il manquait quelque chose à la scène et je ne savais pas dire quoi.|couper{180}

fictions brèves

fictions

de soi

Le présentateur avait dit cette phrase bizarre : écrire de soi ou quelque chose comme ça. Il ne se souvenait plus de la phrase exacte et il n'avait pas non plus envie de la retrouver. Il était resté un moment à chercher la signification de ce de soi puis il avait laissé tomber. Et maintenant il y repensait, ça revenait d'une manière pressante, impérieuse, comme une vague.|couper{180}

fictions brèves

fictions

Sortir du spectacle

La salle de théâtre était pleine. Il s'était installé en bout de rangée, près de la sortie. Dès les premières répliques, il sut que la pièce était mauvaise. Il se leva et sortit. La rue dehors était vide. Il préféra marcher plutôt que de prendre le métro. Il faisait froid et il aperçut la lumière d'un café au coin de la rue Custine. Il poussa la porte et alla s'installer au fond de la salle. La serveuse arriva et prit sa commande, mais quelque chose clochait dans le dialogue qu'ils échangèrent. Tout compte fait, ce n'étaient pas exactement les mots qui se ressemblaient, mais l'intonation fatiguée de la serveuse, qui rejoignait la fatigue des acteurs, ou la sienne, il ne savait plus.|couper{180}

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fictions

le flagorneur

En dix secondes chrono, j’avais capté le personnage. En un mot : flagorneur. Il suait la complaisance, l’huile de coude linguistique, cette manière de sourire non pas à vous, mais à son propre reflet qu’il vous tendait. En était-il seulement conscient ? J’en doutais. L’habitude avait dû fossiliser la posture en nature. Aussi, pour être charitable – ou par une perversion plus profonde encore –, j’endossai moi-même le costume. Je devins son thuriféraire officieux, le héraut bénévole de sa gloire supposée. Du matin au soir, je semais son nom dans les rues de la ville. « Comment, demandais-je à un inconnu devant l’étal du boucher, vous ne connaissez pas X ? » Et à la boulangère elle-même, sur un ton de confidence douloureuse : « Ah bon, vous n’avez pas lu trucbidulechouettte ? Quelle tristesse… » Je me composais alors ma meilleure mine de componction, un masque de gravité qui devait faire sentir l’ampleur du manque, l’abîme de leur inculture. Mon jeu était subtil : il ne s’agissait pas de vanter X, mais de vanter mon propre bon goût de le vanter. Je tentais, par la bande, de faire naître un désir – le désir de ce que j’étais censé posséder, moi, l’initié. Un désir auquel, bien sûr, je resterais associé dans l’esprit de ces inconnus. J’étais le prêtre d’un dieu dont je doutais, espérant qu’on vénérerait ma foi plus que la divinité elle-même. Illustration : : Les ambassadeurs. Hans Holbein le Jeune 1553|couper{180}

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L’instituteur

rêves

Les nuits où je rêvais de Charles Brunet ne se ressemblaient pas. Il y eut d'abord, vers mes dix ans, les nuits de la leçon. Sa main, qui sentait l'encre et le bois des pupitres, m'attrapait par l'oreille. « Tu as encore menti, petit farceur. » Son haleine avait le parfum mentholé des pastilles Vichy qui crépitaient contre son palais. Il ne traçait pas au tableau, mais sur le plancher de ma chambre – avec sa canne, il gravait en pointillé : Menteur picoteur, les grenouilles t'attraperont. « Écris-le cent fois, me disait-il à travers le bois, sa voix provenant de sous le plancher. Apprends à écrire tes mensonges, au moins ils serviront à quelque chose. » Je me réveillais avec la paume cramoisie, comme si j'avais vraiment écrit. La frontière était poreuse : le rêve, le mensonge, l'écriture. Tout se confondait. Charles Brunet, mort depuis des années, poursuivait son enseignement nocturne, et dans ma bouche persistait le goût des pastilles Vichy auxquelles je n'avais plus jamais voulu toucher depuis son enterrement. Puis vint la nuit d'Osny, au pensionnat Saint-Stanislas, alors que j'avais douze ans. Cette nuit-là, pour la première fois, je sus voler. Non pas cette ascension laborieuse des rêves d'enfance, mais un envol absolu, souverain, comme une évidence. Le rêve était saturé à mille pour cent – les couleurs hurlaient, l'air avait la consistance du miel. Je fendais la nuit de la région parisienne, survolais Pontoise endormie, lorsque la nostalgie me transperça. Une force irrésistible m'aspira vers le sud, vers la maison de La Grave. Je le vis alors : Charles Brunet, debout devant la maison, les deux mains appuyées sur sa canne. Il leva la main – non pas le geste théâtral de l'instituteur, mais un petit signe amical, complice, comme s'il m'attendait. Ses yeux riaient. Le réveil m'arracha. Je retrouvai ma cellule de pensionnaire, les draps rêche, l'odeur de cire et de soupière. Les sanglots montèrent, non de tristesse, mais de colère. On ne devrait jamais se réveiller d'un tel rêve.|couper{180}

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Carnets | Ateliers d’écriture

Boost 02 #08 | Revenir à la langue

Revenir à la langue ce n’est pas rebrousser chemin. C’est ( espérons-le ) régler la tension d’une phrase jusqu’à ce qu’elle ne sonne plus faux. J’étais repris par cette vieille obsession d’apparaître sans me trahir quand les livres soudain du haut de la bibliothèque sont tombés sur mes pieds. La connaissance entre encore par la douleur, soit. Je jette un regard vers la fenêtre : c’est bien l’automne, vieux cliché ; il y a, évidemment, une feuille restée collée à la vitre, immobile. Je me penche, je ramasse : Bloy, Bernanos, Boutang, Rebatet. Que de souvenirs. Un vertige fait de désir et de honte m’a poussé vers la fatigue puis dans le fauteuil. Les pieds endoloris, le corps et l’esprit engourdis je feuillette celui dont la reliure a cédé d’elle-même. Ce qui surgit d’abord, ce sont ces voix singulières qui m’ont jadis tant tenu en respect : moins leur fatras, leurs histoires que leur son, cette façon d’accoler, d’accoupler des mots que je ne me serais, à l’époque, jamais permis. En ce temps il me fallait un dictionnaire sous la main ; parfois je ne cherchais pas ; je ne cherchais plus, toujours cette même fatigue , et alors : je prononçais à voix haute et la compréhension venait par le grain. Leurs certitudes me glissaient dessus ; j’étais mon propre tamis de chercheur d’or. Je m’inventais des Klondike, des tombereaux de neige, des dents en or. À propos de mots, un nom passe : Rabelais, suivi de près par Villon comme une ombre. Des énigmes, un koan pour la cervelle de mes vingt ans. « Que voulaient-ils dire ? » C’était la grande question, il suffisait seulement de la poser. Elle restait sans réponse et, très vite, la question reculait dans l’ombre elle aussi : le langage lui-même m’emportait. J’ai gardé cette habitude de lire la tenue d’une phrase avant le récit qu’elle impose. J’ai voyagé, je me suis dispersé : le sucre d’une orange pelée dans un train vers Karachi m’a collé aux doigts plus longtemps que leurs idées ; un râle de chien crevant dans un fossé lyonnais a expulsé tous les poncifs autrefois anônnés en matière de ponctuation ; j’ai désappris ma langue pour une grammaire de gestes, d’ouies sanglantes et de fumée. J’ai feuilleté. le temps a passé, la culpabilité est revenue. Je cherche Rabelais sur les rayons : rien. Je reviens à la table de travail , à l’éditeur , à la page à peine noircie, au grand ouvert. Dans mon crâne une mécanique de bielles : garder-effacer. Un bruit régulier au loin — pendule ou ventilation, je parie pour la pendule. J’ouvre au hasard une page soulignée : je ne comprends rien du tout. La musicalité seule m’emporte ou me recrache. Je reviens à l’écran, à l’envie de trouver la jointure entre ces instants, de me tailler une peau qui tienne ( sans couture visible ). Ce que je cherche n’est pas un retour en arrière, une remise à zéro, mais un réglage : couper ce qui ne sert à rien dans le rien , tenir dans l’instable même. Ma main avance, hésite. Les livres sont restés par terre, une dorsale au bord du tapis ; la feuille contre la vitre ne bouge toujours pas. Un vide sur le rayon à la taille exacte d’un tome. Si j’efface maintenant, quelle question me tombera dessus de l’autre côté ? Est-ce que je veux vraiment garder mon secret ? En ai-je encore seulement les moyens ? Je n’en sais rien. Puis encore comme on s’enfuit : stop assez d’effort c’est assez : revenir à la langue, et reprendre.|couper{180}

Ateliers d’écriture depuis quelle place écris-tu ? fictions brèves

fictions

ça ne ressemble à rien

L’eau bout. Il est 7 h. Dehors, le jour se lève. Une usine a été bombardée cette nuit. Il faut que j’aille acheter du beurre. Je n’aimerais pas souffrir au moment de mourir ; j’aimerais partir d’un coup, comme on prend une sortie d’autoroute au dernier moment. Il faut faire réparer le clignotant arrière droit. Noël approche : quoi offrir aux enfants ? Un chèque fera peut-être l’affaire. Des oignons aussi. Il y a quelque chose d’épuisant à devoir sans cesse faire des courses, se nourrir. Il faudrait que je recrée un rythme pour mes journées. Papa disait : commence par ce que tu n’aimes pas, le reste suivra. Papa disait un tas de choses qu’il ne faisait pas. Le nazisme existe toujours, tapi ; l’Europe serait gouvernée par les petits-enfants de nazis ; le management viendrait de théories nazies. Tu dois cacher que tu es juif sans l’être. Surtout ne pas aborder le sionisme. Penser aux fins de race, à la consanguinité. Les rejetons des milliardaires ont-ils une chance de devenir de plus en plus cons par multiplication du même ? Quoi manger à midi. Quelle fatigue. Heidegger est vraiment chiant à lire. En ce moment, tout est devenu un peu chiant à lire. Est-ce bientôt la fin du monde, et viendra-t-elle d’un seul coup, sans bavure, ou verra-t-on disparaître les gens qu’on aime, l’un après l’autre ? Y a-t-il une façon de rester seul face au désastre. On annonce 25 °C en novembre, du jamais vu. L’air de contentement de F. à la COB est insoutenable. L’imbécillité est la chose la mieux partagée du monde. Je suis tellement vieux que Mathusalem est un gamin. Est-ce que je ne pourrais pas faire du riz le lundi et tenir jusqu’à mercredi, sans plus me soucier de la bouffe ? Du riz avec des oignons. Et ne pas oublier le beurre. Le gruyère, non : je me suis mis à détester le fromage sans savoir pourquoi. Hier, une femme a dit tout haut : « Ça ne ressemble à rien. » Qu’est-ce que ça peut bien faire ? C’était presque une bouffée d’espoir, une éclaircie ; d’ailleurs, il s’est mis à faire beau. « Ça ne ressemble à rien », et paf, dans la rue, la renaissance du monde est arrivée d’un coup, sans prévenir. Ensuite, paraît-il qu’on peut sortir de son corps si l’on s’astreint à une certaine vacuité cérébrale. J’aimerais bien voir ça. Je ne sais pas ce que ça m’apportera — peut-être que ça ne ressemblera à rien, aussi. Chercher ce qui ne ressemble à rien pourrait être une saine occupation.|couper{180}

brouillons depuis quelle place écris-tu ? fictions brèves Narration et Expérimentation

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Dans mon rêve, la sonnette a retenti : on venait m’arrêter.

Dans mon rêve, la sonnette a retenti : on venait m’arrêter. Pourquoi, au juste ? Aucune raison valable. Quelques jours plus tôt, en plein jour, elle avait déjà sonné ; j’avais traversé la maison, ouvert : personne à gauche ni à droite. J’ai lu qu’on peut être arrêté arbitrairement, sans raison : on vient, on vous prend, on vous enferme. Je ne sais pas si j’en ai peur ou si, au fond, je l’espère. Se retrouver face à face avec un arbitraire authentique, c’est autre chose. Si tu veux, je te raconte. J’ai commencé à en parler par petites touches. Au café, derrière les vitres, le monde était flou. P. m’a demandé : « Alors, comment tu vas ? » J’ai dit qu’en ce moment je n’allais pas très bien. Comme introduction, c’était commode, ça expliquait le reste. Quand je lui ai raconté l’histoire de la sonnette et de l’arbitraire, il n’a même pas cillé. « C’est drôle que tu me racontes ça, a-t-il dit, c’est justement la même histoire que je m’apprêtais à te raconter. »|couper{180}

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Ce matin, en ouvrant la fenêtre, l’odeur de merde m’a sauté au nez.

Ce matin, en ouvrant la fenêtre, l’odeur de merde m’a sauté au nez. Rien que d’y repenser, ça pique encore. Je me suis dit : tu voudrais que ça sente la rose, ou au moins ce mélange habituel — gazole, sang, pralines — ; dès que ça dévie un peu, tu paniques. De là à me traiter d’andouille, copieusement, puis à retourner à la fenêtre, l’ouvrir, renifler encore. Tu devrais peut-être remettre en cause tes habitudes. T’habituer à ce que ça sente la merde, ai-je pensé. Alors je me suis appuyé à la rambarde du balcon et j’ai respiré à pleins poumons.|couper{180}

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Le coin de la rue

Quand il y a trop de mystères, l’alarme se déclenche. Ce que je refusais de voir ni d’entendre, c’était précisément ça : un trop-plein de mystère. Et, bien sûr, moins je voulais l’entendre, plus le son montait ; certains jours, c’était intenable. Alors je partais marcher dans la ville. Dans ces moments-là, j’étais comme en état second, avec la démarche d’un ivrogne assommé par l’évidence. Marcher me permettait de mâcher et de remâcher cette évidence puis, revenu à mon point de départ, dès que j’atteignais le coin de notre rue, survenait le reflux. Je prenais tout sur moi, m’en faisais l’unique responsable ; je persistais à vouloir voir le monde déformé — ce que tous nomment un mauvais œil. C’était ça, l’évidence. Au coin de la rue, je pénétrais de plain-pied dans l’idiotie et j’essayais de m’y habituer, quelques jours encore, avant que l’insupportable ne revienne m’emporter.|couper{180}

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oscar

Elle a décroché le squelette de la potence, puis elle a réglé les lumières. Je n'arrive plus à me souvenir si elle était nue au moment où elle s'est allongée près de ce pantin désarticulé. Ça aurait pu être moi j'ai tout de suite pensé. J'ai essayé de chasser cette idée de mon esprit , mais ça revenait par bouffées. Ensuite ce fut un enchaînement de gestes techniques : regarder dans le viseur, régler la mise au point, appuyer sur le déclencheur. Des gestes anodins. Mais depuis, quelque chose ne pourra jamais plus être comme avant. Il fallait que je parte. J'ai commencé à y penser par petites bribes. C'était difficile parce que j'avais pris des habitudes, peut-être m'étais-je habitué à un certain confort. Si je partais, j'allais perdre quelque chose dont je ne parvenais pas à définir vraiment le nom. Et plus je m'acharnais à tenter de trouver ce mot, plus d'autres mots parasites s'amenaient comme pour m'empécher de plus en plus de le trouver. Ridicule, comme d'habitude fut le mot auquel je décidai de m'accrocher. Grotesque était aussi assez présent. J'aurais aussi pu me laisser aller au chagrin si ce chagrin ne m'était pas aussitôt apparu ridicule et grotesque. Si le ridicule et le grotesque n'avaient pas immédiatement dévoré mon chagrin. Maintenant, elle était là, dans le viseur allongée nue, le corps emmếlé avec ce squelette. On devait l'appeler Oscar comme tous les squelettes que j'avais un jour connus. D'une certaine manière, elle baisait avec Oscar sur l'écran de l'appareil. Elle baisait avec la mort, elle me baisait aussi d'une autre façon. J'ai embrasser toute la scène d'un seul regard puis j'ai appuyé sur le déclencheur. En fait cette version "combat de sorciers "est probablement enfantine, c'est une manière de botter en touche probablement encore. Transformer cette femme en sorcière est une facilité tout comme dire que je suis capable à cet instant d'être moi aussi aussi "malin" et renvoyer un contre-sort, c'est puéril. La vérité est que cette femme s'est sentie rejetée, nous ne faisions plus l'amour depuis plusieurs semaines, alors que notre histoire était assez récente. Mais j'avais tellement de soucis en tête à cette époque de ma vie, parmi ceux-ci l'écriture déjà, le fait surtout que je ne parvienne pas à écrire réellement, mon impuissance à écrire débordait sur ma vie toute entière. je ne pensais plus qu'à cela il n'y avait plus de place pour rien d'autre.... Elle a décroché Oscar. Pas comme une sorcière, mais comme une femme qui cherche désespérément un langage que je comprendrais peut-être. Quand elle s'est allongée nue contre les os, ce n'était pas un rituel magique. C'était la seule chose qui lui restait pour me dire : « Regarde-moi. Je suis encore là. » Mais moi, j'étais déjà parti. Pas dans la mort, mais dans l'écriture. Mes angoisses formaient une chape de plomb entre sa peau et mes yeux. Dans le viseur, j'ai vu une scène étrange. Je n'ai pas vu une femme qui criait que mon silence la tuait à petit feu. Le déclic de l'appareil a couvert le bruit de quelque chose qui se brisait. Le ridicule, le grotesque – des mots commodes pour ne pas nommer l'indicible : « Je préfère mes phrases à ton corps. » Je n'écrivais pas. Je fuyais. Mes personnages n'étaient pas des compagnons, mais des cachettes. Quand elle s'est allongée avec Oscar, elle ne savait pas qu'elle posait avec le vrai squelette : celui de ma capacité à être présent. Mon appareil photo était une machine à mettre de la distance entre le monde et moi. Chaque clic était un clou dans le cercueil de quelque chose que je n'arrivais plus à nommer. L'écriture n'était pas mon exigence - elle était mon bouclier contre l'exigence de vivre. Le ridicule, le grotesque ? Des noms polis pour nommer l'impuissance. Maintenant, vingt ans après, je dois l'admettre : je préférais écrire sur l'amour que d'aimer. Je préférais décrire la vie que la vivre. Cette femme ne demandait pas que je l'aime. Elle demandait que j'existe en face d'elle. Et ça, ça me terrifiait plus que la mort.|couper{180}

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