(À l’heure où l’auteur, saturé de titres, demeure muet. Les témoins parlent pour eux-mêmes, chacun dans sa solitude. La somme fait la scène.)

[La Carte]

Je suis une carte. On me consulte pour trouver un chemin. J’indique des distances, des pentes, des courbes. J’ai été conçue pour ça. Mais on m’utilise pour autre chose : on me surcharge d’histoires, de titres. Je ne reconnais plus mes lignes. Je reste fidèle à ma fonction, orienter, mesurer. Pourtant je deviens illisible.

[L’Inventaire]

Un. Deux. Trois. Dix. Vingt. Ça ne s’arrête pas. J’ai été ouvert pour compter, pour ranger. Mais je gonfle, je m’étire, je n’ai plus de bornes. Chaque nouveau titre est un poids. Je ne sais plus si je contiens ou si je me vide. J’étais censé aider, je me perds moi-même.

[Le Lecteur}

Je tombe sur cette liste. Trop longue, trop pleine. J’essaie de suivre, mais je ne sais pas si ces histoires existent. Sont-elles inventées pour moi ? Sont-elles réelles ? Je doute. Peut-être qu’on se moque. Peut-être qu’il n’y a rien derrière les titres. Je ferme le carnet, je reste inquiet.

[L’Archiviste]

J’aligne. Je numérote. Je classe par rubriques, par années, par lieux. Mon rôle est clair : tenir l’ordre. Mais l’ordre se défait dès que j’écris. La liste enfle, se dédouble. Je rature, je recopie. Je voudrais contenir, mais je ne fais que rappeler qu’il y a trop. Je ne suis pas sûr d’être utile.

[Le Silence]

Je n’ai rien à dire. Je suis là autour. Je gonfle dans les blancs. On m’a laissé la place du principal, le mutique. On croit que je soutiens, mais je ne soutiens rien. Je suis le vide au centre. J’attends que quelqu’un me traverse. J’attends, et rien ne vient.