Le vrai nom : ce que les mots font (True Name : What Words Do)

On appellera « vrai nom » une forme d’énoncé qui produit des effets réels : pas un titre, pas une louange, pas un surnom, mais un énoncé opératoire capable d’ouvrir, de lier ou de délier. La différence est concrète : quand une parole ne fait que raconter, rien ne change ; quand une parole est correctement adressée, formée et conditionnée, le monde bouge — une guérison advient, un contrat tombe, une porte s’ouvre, une machine s’arrête. Pour s’orienter, trois régimes : le nom habilitant (confié dans une relation, il autorise et engage), le nom d’emprise (obtenu par ruse ou négociation, il donne prise et déplace la souveraineté sans forcément renverser l’ordre), le nom résolutoire (énoncé exact qui révoque sans violence ce que d’autres paroles ont lié). Le point commun n’est pas la solennité mais la justesse de la forme et la bonne adresse : dire juste, au bon destinataire, sous les bonnes conditions, fait effet. Deux pièges à éviter : la métaphysique paresseuse du « mot secret qui surplombe tout » — un nom n’est vrai que par usage, s’il agit dans un cadre donné — et la réduction au papier administratif ou au handle en ligne — utile mais insuffisant si l’on n’explicite pas quand et comment ces noms produisent des effets. Ici, le vrai nom n’est ni relique ni formulaire : c’est un opérateur enchâssé dans des protocoles (rituels, sociaux, techniques, juridiques) qui cadrent sa puissance. Cela éclaire l’obsession du golem : EMET → MET, une lettre effacée qui change l’état de la créature. Le détail formel — la lettre, l’ordre des signes, la condition d’énonciation — gouverne l’exécution. Mythes (Isis et le nom secret de Rê), contes (Rumpelstiltskin), fictions spéculatives (Le Guin, Vinge) et ingénierie des identités (triangle de Zooko, DIDs) rejouent la même chose : la puissance d’un nom tient moins à sa beauté qu’à sa capacité à faire quelque chose quelque part, pour quelqu’un, contre quelque chose. La publicité d’un nom n’est jamais neutre : un nom habilitant perd sa charge s’il fuit hors de la relation ; un nom d’emprise cesse d’être opératoire s’il est anticipé et encadré ; un nom résolutoire doit être proféré en face et à temps pour produire sa révocation. Le secret n’est pas fétichisme, c’est mesure de sécurité ; inversement, la publicisation ciblée est une stratégie de désarmement. Méthode pratique : à chaque « vrai nom », poser trois questions — qui nomme, sur quoi agit l’énoncé, comment s’arrête-t-il — et y répondre sans lyrisme : allié ou adversaire, corps ou contrat ou capacité de système, rétractation ou révocation ou expiration ou contre-énoncé. Cette discipline évite de croire que tous les noms se valent ou qu’un nom vrai serait irrévocable. Elle redistribue aussi titre et nom : le titre expose, le nom agit. Les épithètes de Rê ne soignent rien ; l’inventaire des prénoms plausibles ne délie rien ; l’Old Speech interdit le mensonge et donne un prix à la justesse ; chez Vinge, découvrir le nom civil derrière l’avatar reconfigure les risques hors ligne ; dans les réseaux, un identifiant robuste peut porter des preuves révoquables sans confondre personne vécue et personne de papier. Littérature et ingénierie s’éclairent : la première montre ce qu’est un nom exact, la seconde rappelle qu’un nom opératoire doit pouvoir être retiré et journalisé. Ambition modeste mais tenace : préférer le possible bien dessiné à la grandiloquence, et garder des règles claires sur la façon dont les noms fonctionnent et cessent de fonctionner. En somme, ce mot-clé rassemble les matériaux où le vrai nom lie quand il faut, soigne sans remplacer, délie sans casser — et laisse, après usage, un monde un peu plus habitable.

Sommaire de la série

 1. Nommer pour habiliter — Le Guin (Earthsea — Terremer)
 2. Nommer pour prendre — Isis & Rê (Papyrus de Turin)
 3. Nommer pour délier — Rumpelstiltskin (ATU 500)
 4. Noms à l’ère réseau — Vernor Vinge
 5.Argile et algorithmes — à Propos du Golem

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