Le pouvoir de transposition, quand il agit à l’insu de celui qui crée, passe comme une ombre : un souvenir glisse dans une phrase, une odeur se déplace dans une scène, sans que le geste soit nommé. Linda Hutcheon y voit une « pratique culturelle mobile », ce mouvement naturel qui fait voyager les formes et les motifs.

Mais lorsque la transposition devient consciente, tout change. On sait qu’on déplace. On choisit de transposer, comme Kamilla Elliott le décrit à propos des passages entre roman et film : non pas masquer, mais exhiber le transfert. C’est le risque du figé, mais aussi la chance d’un trouble nouveau.

Henry Whittlesey l’a montré en réécrivant Gogol aux États-Unis : les décors changent, la structure demeure. La fidélité n’est plus l’absence de déplacement, mais la continuité à travers l’écart. Ce frottement crée l’étrangeté.

La transposition consciente, c’est la cicatrice. Elle ne lisse pas la peau, elle montre la marque. Le lecteur voit à la fois l’original et sa transformation, comme dans Madame Bovary filmée par Chabrol : les gestes restent, mais le cadre provincial est transposé en cinéma des années 1970. Ce n’est pas le glissement secret de l’inconscient, mais l’exposition volontaire du passage.

Le critère de réussite n’est plus la fluidité invisible, mais l’intensité du visible. La cicatrice rappelle qu’il y a eu coupure, déplacement, et c’est dans cette trace que surgit l’inattendu.