En littérature, la notion d’ailleurs renvoie à un ensemble d’usages qui viennent de plusieurs héritages à la fois linguistiques, rhétoriques et philosophiques. Le mot ailleurs vient du latin médiéval aliorsum (alius = autre + orsum = direction), signifiant « vers un autre lieu ». Le d’ contracté devant marque une provenance (de ailleurs → d’ailleurs) ou une transition logique. Dès l’Ancien Français (XIIᵉ siècle), d’ailleurs peut désigner à la fois :un changement de point de vue (par ailleurs) ; une référence à une autre origine (provenant d’un autre lieu).

En rhétorique
À partir du XVIIᵉ siècle, notamment dans les lettres et essais, d’ailleurs devient une particule de transition : elle introduit une remarque incidente qui enrichit ou nuance ce qui précède. Chez Madame de Sévigné, par exemple, c’est une manière élégante de glisser une précision ou un contrepoint, presque comme un aparté oral.

Exemple typique :

« Il est très aimable. D’ailleurs, il m’a rendu service. »
→ On se déplace mentalement « vers un autre plan » du discours.

Dans la littérature moderne
À partir du XIXᵉ siècle, d’ailleurs prend aussi une dimension poétique et spatiale. Les romantiques et symbolistes l’emploient pour marquer un ailleurs imaginaire, un déplacement hors du cadre immédiat.
Chez Baudelaire, Rimbaud ou Segalen, cet ailleurs est autant géographique (voyage, exotisme) que intérieur (paysage mental).

Valeur contemporaine
Au XXᵉ siècle, dans la prose contemporaine, d’ailleurs garde cette double force : discursive (enchaînement, nuance, contradiction douce) ; évocatrice (ouverture sur un autre lieu, réel ou fictif).

Dans l’écriture diaristique ou narrative minimaliste, il peut presque servir de coupure rythmique, une respiration qui crée un effet de confidence ou de glissement de sens, comme chez Annie Ernaux ou Georges Perec.

En résumé : d’ailleurs n’est pas seulement un mot de liaison, c’est un pivot mental. Il relie un présent du texte à un hors-champ — que ce hors-champ soit un argument, un souvenir, ou un ailleurs au sens littéral.


En littérature moderne, surtout minimaliste ou fragmentaire, on observe plusieurs procédés pour effacer d’ailleurs tout en conservant ou en transformant son effet.

La juxtaposition sèche (méthode minimaliste)
On supprime d’ailleurs et on colle les deux segments, parfois en les séparant par un point ou un point-virgule.

Avant : Il ne viendra pas. D’ailleurs, il ne m’avait rien promis.

Après : Il ne viendra pas. Il ne m’avait rien promis.
→ Effet : plus abrupt, plus Beckett ou Ernaux, moins conciliateur.

Le glissement par asyndète
On laisse les phrases se suivre sans lien logique explicite (asyndète = absence de connecteur).

Avant : J’aime cette ville. D’ailleurs, je m’y sens chez moi.

Après : J’aime cette ville. Je m’y sens chez moi.
→ Effet : impression de constat neutre, mais le lien subsiste dans l’esprit du lecteur.

L’intégration dans le verbe
Au lieu de marquer la transition par un mot, on transforme le verbe ou le sujet pour incorporer l’idée.

Avant : Elle connaît bien l’histoire. D’ailleurs, elle y a participé.

Après : Elle connaît bien l’histoire : elle y a participé.
→ Effet : la cause ou l’explication devient structure interne.

Le déplacement vers l’ellipse
On conserve le sous-entendu, mais on le rend implicite, souvent par une coupe.

Avant : Il aime l’hiver. D’ailleurs, il vit dans le nord.

Après : Il aime l’hiver. Il vit dans le nord.
→ Effet : le lecteur fabrique le lien tout seul, ce qui donne plus de densité.

La substitution poétique ou imagée
Pour conserver la fonction évocatrice sans garder d’ailleurs, on remplace par une image ou un micro-saut narratif.

Avant : Il ne parle jamais. D’ailleurs, on dirait qu’il écoute.

Après : Il ne parle jamais. On dirait qu’il écoute.
→ Effet : le lien devient plus organique, presque cinématographique.

📌 Règle implicite chez les modernes :

Si d’ailleurs est logique → supprimer ou remplacer par ponctuation forte (point, deux-points).

Si d’ailleurs est évocateur → le traduire en changement de plan narratif ou en détail concret.