Elle a décroché le squelette de la potence, puis elle a réglé les lumières. Je n’arrive plus à me souvenir si elle était nue au moment où elle s’est allongée près de ce pantin désarticulé. Ça aurait pu être moi j’ai tout de suite pensé. J’ai essayé de chasser cette idée de mon esprit , mais ça revenait par bouffées. Ensuite ce fut un enchaînement de gestes techniques : regarder dans le viseur, régler la mise au point, appuyer sur le déclencheur. Des gestes anodins. Mais depuis, quelque chose ne pourra jamais plus être comme avant. Il fallait que je parte. J’ai commencé à y penser par petites bribes. C’était difficile parce que j’avais pris des habitudes, peut-être m’étais-je habitué à un certain confort. Si je partais, j’allais perdre quelque chose dont je ne parvenais pas à définir vraiment le nom. Et plus je m’acharnais à tenter de trouver ce mot, plus d’autres mots parasites s’amenaient comme pour m’empécher de plus en plus de le trouver. Ridicule, comme d’habitude fut le mot auquel je décidai de m’accrocher. Grotesque était aussi assez présent. J’aurais aussi pu me laisser aller au chagrin si ce chagrin ne m’était pas aussitôt apparu ridicule et grotesque. Si le ridicule et le grotesque n’avaient pas immédiatement dévoré mon chagrin. Maintenant, elle était là, dans le viseur allongée nue, le corps emmếlé avec ce squelette. On devait l’appeler Oscar comme tous les squelettes que j’avais un jour connus. D’une certaine manière, elle baisait avec Oscar sur l’écran de l’appareil. Elle baisait avec la mort, elle me baisait aussi d’une autre façon. J’ai embrasser toute la scène d’un seul regard puis j’ai appuyé sur le déclencheur.
Elle a décroché le squelette de la potence, puis elle a réglé les lumières....
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fictions
nom remis en relation
Une fable sèche sur l’adresse, la tenue, et ce que coûte un nom.|couper{180}
fictions
bouffées de clarté
Toujours en éveil, le mot bouffée revient tout à coup, probablement accroché encore à la journée d'hier où sortant dans la cour je levai les yeux au ciel qui venait d'être comme nettoyé de neuf par le vent. Une bouffée de clarté, j'ai alors pensé, comme un éclair de lucidité. Et tout de suite se sont enchaînés les instants semblables où j'avais ainsi levé la tête, éprouvé une sensation semblable. Il ne saurait y avoir de classement chronologique. ce n'est pas ça, c'est plus une idée de fil conducteur de l'éblouissement, un éblouissement du à un trop plein de clarté. Il serait sans doute utile de retrouver les contextes, les lieux, les êtres, les phrases prononcées et qui je n'en doute pas participent tous de la convergence d'un tel moment taxé de spectaculaire par la limpidité que j'y retrouve. Mais cela non plus serait probablement stérile, ce serait raconter des histoires. Une bien meilleure hypothèse serait celle d'un narrateur, un personnage renonçant systématiquement à décrire ou à vouloir expliquer ces infimes moments de grâce. Une forme d'avarice se mélangeant avec une pudeur augmentant au fil des années.|couper{180}
fictions
fait divers
La chaise a dû heurter le carrelage, bruit bref, net. Dans l’évier, deux tasses, marc collé au fond. Courbevoie, cinquième, fenêtre entrouverte, rideau qui remue à peine. Je dis “fait divers” pour me protéger du reste (comme si le mot suffisait). On raconte qu’ils se voyaient depuis un moment. Il aurait voulu “arrêter de parler”. Ou qu’elle se taise. Formule pratique. Ce serait plutôt se taire lui-même, mais je retire ce “plutôt”. Ce matin-là, la télévision chuchotait. Sur la table, un couteau à manche de bois, détail inutile, donc important. On aime ces détails quand on n’a plus accès au reste. On dira qu’il a eu peur. On dira qu’elle l’a poussé. On dira tout et son contraire. Est-ce qu’on tue pour avoir la paix ou pour ne pas perdre ce qui en faisait office ? La paix ou raison, c’est souvent la même manie, deux faces du même couteau : clore la scène, distribuer le silence, ranger vite le plan de travail et ne rien régler. On croit qu’une phrase finale mettra de l’ordre. Elle met un couvercle. Le lendemain, tout recommence, plus bas, plus sourd. Je regarde la fenêtre. L’air passe. Rien ne conclut.|couper{180}