Récit

Cet enfant complique les choses par plaisir dit la femme -- il est tordu tout simplement dit l’homme Ainsi commence ma vie et ce n’est pas la moindre des ambiguités que je recontrai à cet instant . Ce fut l’Ambiguité.

L’expression se casser la tête accompagne la complication et lui confère un aspect péjoratif. —Tu te compliques bien trop la vie. Ce qui sous-entend naturellement que pour la femme et l’homme celle-ci est simple et que je commets une erreur de débutant à trop vouloir l’explorer, la comprendre. On connaît d’ailleurs la vie à un âge avancé, sinon pas. Souvent, me martelant le crâne contre les murs, je me demande :
Pourquoi ma vie est-elle si compliquée ? Pourquoi est-ce que je me complique autant l’existence ?

Et bien sûr, j’aimerais pouvoir pénétrer dans le cercle de ceux qui vivent ce genre de vie tranquille —
ceux qui ne se posent que des questions simples, et les résolvent.

L’idée que presque tout est une énigme à résoudre provient probablement du langage employé pour poser ces énigmes. Je me souviens m’être entraîné à parler à l’envers en imaginant ainsi pouvoir m’exprimer en anglais parce que pour parler le verlan c’est ainsi qu’il faut faire.

Rien de tel que la naïveté — la candeur — pour toucher à l’ambiguïté du monde.
Et, bien sûr, à celle du langage.

Mais quelle tristesse, ensuite, de comprendre l’horrible marchéque propose la lucidité :
vivre normalement — au prix de cette candeur perdue.

Et pourquoi vouloir devenir lucide, pourquoi vouloir devenir grand, ou normal si ce n’est pas peur de cette ambiguïté dont personne ne veut et dont la peur devient contagieuse

Je me souviens encore de ma boulimie de lecture — dirigée presque exclusivement vers la féerie, les histoires à l’eau de rose, les récits peuplés d’elfes, de lutins, de gamins perdus. Sans doute parce que la normalité, elle, me laissait des bleus. Et des humiliations.

Ma résistance n’était pas brave ou farouche, elle était souterraine. Si je ne voulais pas être battu il me fallait des stratégies. Un double visage. Je me souviens encore de mon tout premier mensonge. Je l’avais écrit sur un bout de papier et enterré au fond du jardin près du tas de fumier et du vieux cerisier. si je l’oublie je suis perdu m’étais-je dit. Mais bien sûr qu’on oublie. Et ce mensonge je l’ai oublié comme de nombreux autres. C’est ainsi que je suis devenu en apparence normal et que j’ai même oublié que ce mot comme ce qu’il recouvre n’est rien d’autre qu’une convention.

La Convention est, à ce propos, un quartier de mon enfance dans le 15ᵉ arrondissement de Paris. Je me souviens qu’il y avait un manège, où j’avais le droit — si j’avais été bien sage — de faire un tour ou deux. Je revois très clairement le lieu, les chevaux, et même la petite cambuse où un vieil homme vendait des tickets. Toute une image de la vie réduite à un manège de chevaux de bois.
Et j’en redemandais, bien sûr.