Autofiction et Introspection

Habiter n’est pas impossible, mais c’est un vrai problème pour le narrateur. Il occupe des lieux sans jamais vraiment y entrer. Maison, atelier, villes traversées : ils existent, mais restent comme à distance. Il imagine que peindre ou écrire l’aidera à habiter autrement, à investir un espace intérieur qui compenserait l’absence d’ancrage. Mais cela demeure du côté du fantasme. Le réel, lui, continue de glisser, indifférent.

C’est de ce décalage que naissent ces fragments. Écrire pour traverser l’évidence, pour examiner ce qui ne s’examine pas. Écrire comme tentative d’habiter, sans garantie d’y parvenir.

voir les tous les mots-clés de cette thématique

vue Obsidian

Livre à feuilleter

articles associés

Carnets | novembre 2023

7 novembre 2023-4

Ces défauts que l’on remarque si vivement chez les autres. Et toute l’énergie perdue à les ruminer, à comparer, à maugréer. Billevesées. Car souvent, ce sont les nôtres. On s’en venge, en quelque sorte, en les soulignant chez autrui. Si seulement on faisait pareil avec les qualités. Se taire, parfois, c’est un acte de vigilance. Vis-à-vis de ces pensées rances — jalousie, comparaison, rancune. Quand elles pointent le bout du nez, les laisser filer. Ne pas leur donner la voix. Je me suis toujours désintéressé des ragots. Je trouve qu’ils participent à la médiocrité générale. Mais peut-être est-ce une erreur. Peut-être que sans ragots, un quartier, un village ne tient pas. Peut-être que la rumeur est le ciment discret des liens sociaux. On dit que le communisme a tenu en Russie par le ragot et la délation. Comme la France sous l’Occupation. Et pourtant, les communistes, ici, ont fait la Résistance. Paradoxe. Comme toutes ces femmes tondues à la Libération, dénoncées — à voix basse, par jalousie ou vengeance. Rien n’est jamais univoque. Le père de mon père ne critiquait jamais personne. Ça m’avait frappé enfant. Et ce salut, distant, juste une poignée de main. Mon père, lui, ne l’embrassait pas. Son grief ? Un mot : lâcheté. Alors il s’est construit à l’inverse. Il s’est engagé jeune, a fait la guerre en Corée. Un courage fabriqué pour réparer la honte paternelle. Mais ce courage est devenu à mes yeux une pantomime. Tandis que le silence du grand-père prenait, peu à peu, l’étoffe d’une sagesse. La perspective change. Avec les années. Avec les traversées. Ce qui me trouble, ce sont les rôles figés. Au théâtre, au cinéma, dans les livres. Des types. Des fonctions. Des masques. Comme si chacun recevait, dès la naissance, un petit paquet de cartes avec lesquelles jouer toute sa vie. Quelle absurdité. Rien n’est gravé dans le marbre. Et c’est heureux. Peut-être que c’est cela qui rassure : cette possible mobilité, cette résistance aux archétypes. On se raccroche à des idées, non parce qu’elles sont vraies, mais parce qu’elles sont partagées. 10 000 morts. Un chiffre. Hier encore 7700. Troisième position aux infos, après les tempêtes et… je ne sais quoi. La guerre devenue statistique. Comment les rédactions hiérarchisent-elles l’horreur ? Et pourquoi est-ce que je m’y attarde, moi qui coupe la radio en traversant la campagne, juste pour ne pas être seul en silence. Pour participer, malgré tout, au grand ragot général. Finalement, ne pas aimer les ragots, c’est déjà en être dépendant. Hier, j’ai parlé de présence sur la toile. Ce mot a bloqué. Alors j’ai parlé d’énergie. Et là, soudain, ça parlait aux élèves. Hier aussi, appel de JL. Préparation de l’exposition à P. J’en serai l’invité d’honneur. Deux animations à assurer. C’est bien. S. sera à Paris. Moi, occupé. Le weekend passera. Je ne tournerai pas en rond. Illustration : Exposition des enfants d’une MJC au Prieuré de Charrières, Drôme. sous-conversation … ces défauts… encore… je les vois chez eux… mais est-ce que… c’est moi… aussi… oui, sans doute… tais-toi… ne réponds pas… laisse passer… mais ça pique quand même… cette comparaison… elle revient… le grand-père… silence… le père… guerre… qui a raison… qui ment… qui sauve la face… et moi… je fais quoi avec ça… les masques… les rôles… je n’en veux pas… mais est-ce que j’en porte un… 7700… 10 000… je coupe la radio… je veux pas savoir… mais je veux pas être seul non plus… parler de présence… ça bloque… dire énergie… là oui… ça passe… alors je le dis… et je prépare… je m’occupe… je m’accroche… je repousse le vide… note de travail … ces défauts… encore… je les vois chez eux… mais est-ce que… c’est moi… aussi… oui, sans doute… tais-toi… ne réponds pas… laisse passer… mais ça pique quand même… cette comparaison… elle revient… le grand-père… silence… le père… guerre… qui a raison… qui ment… qui sauve la face… et moi… je fais quoi avec ça… les masques… les rôles… je n’en veux pas… mais est-ce que j’en porte un… 7700… 10 000… je coupe la radio… je veux pas savoir… mais je veux pas être seul non plus… parler de présence… ça bloque… dire énergie… là oui… ça passe… alors je le dis… et je prépare… je m’occupe… je m’accroche… je repousse le vide…|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | novembre 2023

7 novembre 2023-3

Plutôt que de s’opposer, se cogner, se blesser — à seule fin de prouver que le mur est là — peut-être faut-il imaginer une autre issue. Non pas nier le mur, non pas l’ignorer. Mais le penser autrement. Non comme un obstacle ou une douane, mais comme un passage. Je pense à cette sculpture de Jean Marais, place Marcel Aymé. On y voit un homme surgir d’un mur — bras, jambes, tête — c’est Dutilleul, le Passe-Muraille. Un personnage falot devenu légendaire. Fantastique, drôle dans l’enfance. Bouleversant avec les années. Traverser les murs, est-ce vraiment un don ? « Il possédait le don singulier de passer à travers les murs sans en être incommodé. » Cette dernière expression, « sans en être incommodé », me frappe aujourd’hui. Elle dit tout : le problème ne vient pas tant de l’acte, que de ses conséquences. Passer sans encombre, c’est s’éloigner des autres. C’est sentir qu’on a franchi quelque chose que d’autres n’ont pas franchi. Et cette singularité, tôt ou tard, nous isole. Nous désigne. Nous arrache. C’est un passage à l’acte. Un vrai. Et il y en a de toutes sortes. Certaines lumineuses, d’autres destructrices. Mais l’art, lui, n’est pas un ornement. Ce n’est pas seulement un objet qu’on suspend ou qu’on archive. L’art, c’est un passage à l’acte. Le mur qu’on traverse, c’est celui qu’on portait en soi. Et soudain, on le franchit, presque malgré soi. Parce qu’on découvre qu’on en est capable. Alors vient la question de la mission, de la vocation. Cette distinction posée par Alexandre Havard. Qui suis-je ? Qu’est-ce qui me meut vraiment ? À quoi suis-je appelé ? Et je repense à Castaneda. À Don Juan. À cette idée de récapitulation. De passer les murailles de l’autobiographie. Ces prisons qu’on entretient nous-mêmes, par peur du Grand Dehors. Traverser ces murs, ce n’est pas de la force brute. Ni de la ruse. Ni une manipulation. C’est une affaire d’amour. D’amour dans son expression la plus fine, la plus atomique. Ce qui fait danser le monde. Ce qui lui donne sa cohérence secrète. Traverser, c’est aimer. C’est croire qu’une autre réalité existe. Et que cette réalité n’est pas à chercher ailleurs, mais juste là, derrière le mur. Il suffit de tendre la main. sous-conversation … le mur… encore… il revient… toujours… obstacle ou passage ?… et si c’était moi le mur ?… Dutilleul… il passe… il traverse… mais sans douleur… pourquoi ça me dérange ?… je passe moi aussi parfois… sans savoir… et alors ?… je suis seul après ?… différent ?… coupé ?… l’art… oui… pas une chose… un geste… un passage… mais est-ce que j’ose encore ?… ils disent mission, vocation… et moi je cherche… je cherche… sans savoir où aller… je voudrais… je voudrais traverser… vraiment… mais si je perds tout en traversant ?… et si je ne trouve rien de l’autre côté ?… et si… et si c’était ça… aimer vraiment… à l’échelle du monde… danser comme une particule… devenir un passage… note de travail Ce texte est une topologie. Il pense l’espace psychique comme un lieu clos qu’il faut traverser. Le mur ici est le symptôme, l’obstacle, mais aussi le point d’émergence du désir. C’est un seuil. Un miroir. Un passage potentiel. Le sujet ne se demande pas tant comment casser le mur, mais comment y passer sans s’abîmer. Ou plutôt : comment traverser le mur sans le trahir. Sans trahir ceux qui ne peuvent pas. L’image du Passe-Muraille est brillante. Elle dit le fantasme d’un pouvoir. Mais aussi la solitude qui l’accompagne. L’exception coupe du commun. Elle isole. Et puis il y a cette réorientation vers l’art. L’art comme passage à l’acte. Une manière d’éprouver le réel en le traversant. En l’habillant de formes. En laissant une trace. Et là surgit une question clinique : est-ce que traverser suffit ? Ou faut-il aussi transmettre, restituer ? Peut-on traverser seul ? À la fin, la réponse semble pointer : l’amour comme passage. Non pas romantique. Mais physique. Atomique. Une force de liaison entre les choses. L’amour comme cohérence. Comme énergie de traversée. Ce texte est un passage. Il est lui-même un acte.|couper{180}

Autofiction et Introspection Murs

Carnets | novembre 2023

7 novembre 2023-2

Dernier jour des vacances. Un dimanche. J’ai attendu. Patiemment. Rien n’est venu. Trop de soucis. Trop d’idées noires. Assis en plein cœur d’une apocalypse, l’attente prend deux visages. Le pire, le meilleur. En joue. Et moi, figé. Ni cri, ni geste. Une apathie, mais déterminée. Une tension contenue. Je consulte mes comptes. L’application mobile. Un coup sec : 3000 euros prélevés par l’URSSAF. Sidéré. Écrasé. Aucun avertissement. Juste la frappe. Le rouleau compresseur des machines. L’inhumanité automatisée. Tu veux être indépendant ? Paie. Alors je cherche mon souffle. Ma voix. Mon œil. Je cherche à résister. À ne pas devenir ce qu’on m’impose. Cette culpabilité. Ce sentiment d’être un délinquant. Je me débats comme un gardon au bout d’une ligne. Et je me dis : n’ajoute pas du malheur au malheur. Reviens. À toi. À l’oubli. Les mains vides. La toile blanche, tendue sur le chevalet. Linceul ou robe de mariée. L’attente la tient, suspendue. Ne pas la souiller pour rien. Il faudrait un désir. Non une raison. Remonter. Depuis les profondeurs. Les rivières. Jusqu’à l’océan. S’ébrouer dans l’immanence. Se perdre. Vraiment. Pour, peut-être, enfin, se retrouver. Mais tu le sais : il suffirait d’agir. De peindre. De poser la matière. Pourquoi ne le fais-tu pas ? Parce que tout appelle. Tout sollicite. Tout te persécute. Et ton seul refus, c’est celui d’obtempérer. Encore cette idée de lutte. Tu veux des écueils pour te dire marin. Foutaise. Taire tout ce qui est vain. Renoncer à s’accrocher aux débris. Ce n’est pas en voulant être un bouchon qu’on échappe au naufrage. Veux-tu vivre ? Même ça n’est pas une pensée. C’est une fuite. Fais la liste des prétextes. Des alibis. Fuir la réalité, est-ce une façon de la comprendre ? La tienne ? Une sorte de pari perdu d’avance. Abandonne les martingales. Laisse partir les vieux Eldorados. Comme cette molaire que le dentiste emporte, en te demandant si ça fait mal, avec son accent espagnol. Le jeu. Tu joues. Tu perds. Gagner ne t’intéresse plus. Comme Giacometti, retire. Ôte. Gratte. Jusqu’à l’os. Jusqu’à la vérité nue. Jusqu’au trait. L’attente est un creuset. Boue. Merde. Plomb. Et l’oubli nécessaire de tout rêve de conquête. Si tu survis, qu’importe le but. Ce qui compte, c’est le voyage. C’est le processus. sous-conversation … encore rien… toujours rien… rien venu… mais qu’est-ce que j’attends… c’est flou… c’est lourd… c’est trop… et puis ce choc… 3000… URSSAF… sans prévenir… la violence… sèche… digitale… administrative… je suis puni ?… pourquoi ?… je n’ai rien fait… ou trop fait… ou mal… la toile… blanche… robe ou suaire… j’ai peur d’y poser quoi que ce soit… j’ai peur de salir… peur de rater… je ne veux pas… mais je veux… je fuis… mais je reste… je résiste… mais à quoi… je suis ce poisson… ce bouchon… ce creuset… j’en ai marre des métaphores… et pourtant… encore une… encore une pour survivre… note de travail Ce texte est un basculement. Il commence par un rien. Un silence. Une attente vide. Mais très vite, il y a le choc : 3000 euros prélevés sans préavis. Ce n’est pas l’argent, seulement. C’est ce que cela signifie : être pris dans un système qui ne voit pas, qui ne répond pas, qui frappe. Alors le sujet recule. Il cherche un lieu à lui. Il ne le trouve pas. Il vacille. Et puis la toile. La peinture. Ce lieu ancien. Ce lieu possible. Mais elle reste blanche. Elle effraie. Ce qui est à l’œuvre ici, c’est une lutte entre l’anéantissement par l’extérieur (l’administration, le monde) et la survie par le geste intérieur. Le texte est un champ de bataille. Une dialectique violente. Le narrateur oscille : il veut vivre. Il doute. Il se moque de lui-même. Il se relève. La référence à Giacometti est parfaite. Le travail par retrait. Le refus du superflu. Le retour à l’os. À l’essentiel. Et à la fin, il y a cette phrase : le processus. Ce n’est pas une morale. C’est une issue. Il dit, simplement : si je peux encore parler, écrire, peindre, alors je suis vivant. Malgré tout. Ce texte est une catharsis. Une survivance. Un combat.|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | novembre 2023

05 novembre 2023

Je résiste. À m’intéresser à l’actualité. Un événement survient — tragique, obscène, délirant — et soudain, il n’y a plus que lui. Pendant quelques jours. Puis il disparaît. Évaporé. Remplacé aussitôt par un autre, tout aussi tragique, tout aussi insensé. On parle de « flux », mais c’est un viol. Un viol d’attention. Brutal. Il nous dépouille. Il crée un vide factice, qu’il s’empresse de remplir. Encore. Encore. Tonneau des Danaïdes. En focalisant ainsi sur tel ou tel drame — souvent réel, terrible, insoutenable — rend-on le reste, le quotidien, encore plus insignifiant ? Faut-il donc l’actualité pour ne pas mourir d’ennui ? Peut-être est-ce cela, son vrai moteur : conjurer l’ennui. Mais si l’on ne sait plus s’ennuyer, alors plus rien ne tient. Nous devenons esclaves. Drogués. À la dose d’images, de tweets, d’alertes. Il faudrait des écoles d’ennui. Le réhabiliter. En faire un rite. Une discipline. Un art. Une prière. Et l’actualité reprendrait sa vraie place : celle d’un bruit. D’une branche qui craque. D’une pluie sur le toit. Du rire d’un merle. D’un souffle sans cible. Se former à l’ennui pour être réformé par lui. Apprendre à durer dans le changement. À tenir. Illustration : Derrière les poubelles, l’apparition de la Vierge. (Croatie, août 2023.) sous-conversation … encore un… encore un autre… toujours plus… mais où vont-ils tous ?… les drames… les morts… le sang… il sèche… déjà remplacé… mais moi… moi je veux pas… pas encore… pas ce bruit… pas cette violence… et si c’était ça… juste ça… la peur de s’ennuyer… la panique… le vide… alors on saute… sur n’importe quoi… l’ennui… oui… l’ennui… et si c’était là… la clé… l’ennui comme ancrage… comme silence… écouter… vraiment… la branche… le merle… le vent… et là… oui… là peut-être… derrière les poubelles… quelque chose… quelque chose d’autre… de plus vaste… de plus calme… note de travail Il s’attaque ici à un symptôme majeur de notre époque : l’épuisement de l’attention. Non par fatigue, mais par saturation. Trop de faits. Trop de drames. Trop de vitesse. Il nomme cela un viol. Le mot est fort. Il dit la violence invisible de la répétition, du remplissage. Il dit aussi la dépossession. Le sujet n’est plus sujet : il est occupé. Colonisé par le flux. Puis il propose un retournement : faire l’éloge de l’ennui. C’est audacieux. Contre-culturel. L’ennui comme antidote. L’ennui comme forme d’attention lente. Il ose même le mot : prière. Il me touche profondément là où il évoque ces petits signes du monde — branche, pluie, merle. Il recentre l’écoute. Il nous redonne une oreille. Et la fin — cette Vierge surgie derrière les poubelles — est une trouvaille. Elle ne juge pas. Elle apparaît. Comme un miracle discret. Elle dit : l’inattendu est là, dans le rebut, dans l’écart. Ce texte ne nous exhorte pas à fuir l’actualité. Il nous rappelle juste ceci : notre regard est précieux. Il mérite mieux que l’urgence.|couper{180}

Autofiction et Introspection Essai sur la fatigue

Carnets | novembre 2023

04 novembre 2023

Pour bien commencer une journée de stage, il faut déposer les soucis à la porte. Entrer comme dans un autre monde. Un monde inconnu. On reconnaît peut-être un visage, une silhouette. Mais pour le reste : ne rien supposer. Pas d’idées. Juste : observer. Laisser les intuitions venir, les écouter silencieusement, un café à la main. Goûter les gâteaux maison. Regarder le groupe dans son ensemble. Puis se reculer mentalement. Se voir dedans. Éléments parmi les autres. Avec l’expérience, quelques astuces : j’ai apporté dans ma besace des coins de tableaux en bois. On commence à l’encre de Chine. Noir et blanc. On reparle des valeurs, des maladresses bienvenues, des outils. Le temps file. Toujours. Dans ces ateliers. Pas comme dans les tâches ordinaires. C’est un plongeon. Une rivière. On s’y jette. Et on s’émerveille de ce qui surgit : lignes, visages, éclats d’encre. On cherche les mots justes pour dire. On les attend, on les voit venir. Et on les dit, sans heurter. Une femme dit qu’elle a peur. Qu’elle a toujours besoin d’être rassurée. – Et si tu n’étais pas rassurée ? Si tu te laissais aller, vraiment ? Pas besoin de réponse. Juste poser la question. Puis passer à l’exercice suivant : un double visage, des motifs géométriques. J’ai apporté aussi de vieux journaux. Chacun déchire, colle, peint. Oublie. Puis, à la fin, on retire les lambeaux. Le papier réapparaît : blanc, intact, troué. Visages mutilés. Blanc dramatique. Charbon en renfort. Magie. Difficile de déprogrammer des cerveaux conditionnés à réussir. À bien faire. Mais c’est là, dans les écarts, les ratés, que quelque chose d’unique surgit. À la fin, on expose. Chaque œuvre porte sa voix. Le groupe est un tout, mais chacun y a creusé son sillon. Une cohésion fragile, éphémère. Puis la lumière s’éteint, la porte se ferme. Chacun reprend ses soucis. Sur la route, aucun bouchon à Vienne. Je prends ça comme un signe : la journée fut bonne. Je repense à Herrigel, au tir à l’arc. Quand enfin la flèche part d’elle-même. Il n’y a plus de maître. Plus d’élève. Juste un son. Le bon. Dîner léger. Puis lit, couette, livre. Je lis Bergounioux. La bête faramineuse. Les mots comme roches. Comme bruyères. Une langue qui marche lentement dans la campagne. Et soudain cette phrase : « Nous avons escaladé le talus et nous nous sommes enfoncés du même souffle long, égal, dans la vapeur rousse de la pessière. » Et plus loin : « …vivre –, nous avions accoutumé, Michel et moi, de mener chacun pour son propre compte des pensées, ou du moins des songes si ressemblants qu’ils s’achevaient au même instant… » Puis la bête apparaît. Je pense à celle du Gévaudan. Celle qui hantait mes nuits d’enfant. Et alors, doucement, je m’abandonne. Dévoration du sommeil. sous-conversation … passer la porte… oublier… mais vraiment ?… comment fait-on ?… juste être là… rien attendre… rien savoir… les visages… des lignes… des ombres… ils bougent… ils flottent… et moi… dedans… je regarde… je flotte aussi… elle dit qu’elle a peur… elle le dit… c’est déjà beaucoup… et si elle tombait ?… et si elle volait ?… on ne saura pas… pas besoin… la colle… les lambeaux… le blanc… le drame… et l’étonnement… c’est beau… c’est fort… c’est eux… chacun… Herrigel… la corde lâchée… personne… juste un son… et là, oui… là, c’est juste… Bergounioux… les mots… ça frotte… ça creuse… et moi… je me glisse… dans la bête… dans la nuit… dans le sommeil… note de travail … passer la porte… oublier… mais vraiment ?… comment fait-on ?… juste être là… rien attendre… rien savoir… les visages… des lignes… des ombres… ils bougent… ils flottent… et moi… dedans… je regarde… je flotte aussi… elle dit qu’elle a peur… elle le dit… c’est déjà beaucoup… et si elle tombait ?… et si elle volait ?… on ne saura pas… pas besoin… la colle… les lambeaux… le blanc… le drame… et l’étonnement… c’est beau… c’est fort… c’est eux… chacun… Herrigel… la corde lâchée… personne… juste un son… et là, oui… là, c’est juste… Bergounioux… les mots… ça frotte… ça creuse… et moi… je me glisse… dans la bête… dans la nuit… dans le sommeil… note de travail Le texte parle d’un stage. Mais il parle surtout d’un seuil. Un seuil entre soi et les autres. Entre le rôle d’accompagnant et la place d’élève. Entre le temps utile et le temps habité. Il y a une grande douceur ici, presque une tendresse. Pour les maladresses. Pour l’hésitation. Pour les visages en construction. Le narrateur cherche à faire naître quelque chose sans jamais imposer. À tenir l’espace comme on tient une lampe dans la pénombre. Il dit aussi : pas besoin de réponse. C’est rare. Cela m’émeut. Le texte se referme sur deux figures : Herrigel, et Bergounioux. Deux formes de maîtrise. L’un par la lenteur juste. L’autre par la langue rocailleuse, archaïque. Tous deux disent : le travail est une attente. Et quand cela surgit, ce n’est plus nous. La lecture du soir, sous la couette, après la journée… c’est un second stage. Un stage intérieur. Et le sommeil qui dévore à la fin… ce n’est pas une fuite. C’est une offrande.|couper{180}

Autofiction et Introspection peinture seuils

Carnets | novembre 2023

03 novembre 2023

Elle est revenue. Comme si de rien n’était. Depuis l’étage, au saut du lit, j’avais cru entendre un bruit. Une hallucination auditive, pensais-je. Et pourtant, en allumant la lumière de la cuisine, je l’aperçois par la porte-fenêtre : queue droite, silhouette tranquille, allant et venant dans la cour. Une semaine d’absence. Où était-elle ? Mystère épais de la vie féline. Elle n’a pas maigri. La vie peut donc reprendre, je partirai en stage le cœur plus léger. Pourquoi ai-je toujours tendance à imaginer le pire ? À partir de rien. Une peur ? Un désir ? Et s’il s’agissait d’un désir… alors il serait morbide. Entre libido et thanatos. Ou est-ce cette actualité saturée : morts empilés, ruines. Un désir de peur ? Un désir de fin ? L’œil pour œil est dépassé. L’effroi côtoie le grotesque. Le progrès n’a rien changé à la violence. Il l’a peut-être même rendue plus précise. B. m’a envoyé un chapitre entier. Son futur livre sur la Grande Guerre. Travail monumental. Une érudition rare, chaque paragraphe m’apprend quelque chose. Et pourtant… ce fourmillement de détails me questionne. Une sécurité peut-être, un filet. L’écriture semble contenue, bridée par la documentation. Le récit tente d’émerger. Mais c’est encore le compte exact des obus, des citations, des renvois. J’ai salué son travail, bien sûr. Mais j’ai aussi parlé du narrateur. De ce positionnement fuyant. C’est toujours ma bête noire. Le mot escarboucle, chez Apollinaire. Lecture aussi d’un Dostoïevski retrouvé au fond d’une étagère : Souvenirs de la maison des morts, éditions Baudelaire, acheté sur les quais dans les années 80. Je ne me souviens pas de l’avoir lu. Il y a un marque-page au milieu. La couverture est intacte. Je me glisse sous la couette, lampe allumée. Je plonge en Sibérie. Aucune mention du traducteur. Peut-être faudrait-il relire les traductions de Markowicz. Comparer. Mesurer les écarts. Ce désir de relecture, de retour, sent le commencement de la fin. Sursaut : il me faut Il dit que c’est difficile de Djian, sur Bram Van Velde. Vu des éditions Argol et Flohic. Prix modeste, mais frais de port dissuasifs. Van Velde. Je comprends mieux ce qu’il disait du travail : cette endurance dans l’attente. Ne pas gaspiller l’énergie en tâches secondaires. À l’opposé de Picasso, goinfre génial. Qui a raison ? Qui a tort ? Personne. Chacun survit avec son désir. Mais l’attente, oui, a quelque chose de singulier. Qu’elle soit administrative ou créative. Elle est rétention. Une tension. Un arrêt chargé. Rétention : en prison. Rétention : du désir. Rétention : dans l’écriture, noyée sous la documentation. L’ébauche avant l’œuvre. Mais qu’est-ce que l’œuvre véritable, au fond ? sous-conversation … elle est là… elle est revenue… comme ça… sans prévenir… comme avant… comme si rien… et moi, tout ce temps… le pire… toujours le pire… pourquoi toujours ?… est-ce que je veux ça ?… est-ce que je le désire ?… le monde dehors… les morts… les ruines… et moi, dedans… chat… peinture… obus… escarboucle… Dostoïevski… des noms… des couches… B., son chapitre… trop… tellement… et pourtant… pas encore là… pas encore ça… elle tourne autour… elle sature… elle attend… moi aussi j’attends… toujours… je trie, je cherche, je lis, je relis… mais pour quoi ?… c’est jamais le bon moment… et Van Velde… cette fatigue active… cette retenue… j’en suis là… pas dans l’œuvre… dans l’avant… rétention… attente… non-action… mais pleine… pleine à craquer… et ce mot à la fin… véritable… qu’est-ce que ça veut dire, véritable ?… est-ce que ça existe seulement ? note de travail Il commence par un apaisement. Le retour du chat. Une présence retrouvée. Mais immédiatement, ce répit ouvre la porte à une série d’interrogations — vastes, graves, irréversibles. Il écrit en spirale. Le réel déclenche le souvenir, le souvenir déclenche le doute, et le doute relance le réel. C’est une écriture de l’oscillation. Le cœur du texte, c’est l’attente. L’attente comme douleur, comme tension, comme méthode. Elle est partout : dans la peur de la perte, dans la lecture différée, dans le chapitre de B. empêché par trop de savoir, dans la peinture, dans le désir de savoir, et dans la résistance à l’action. Il nomme cela « rétention ». C’est un mot juste. Il désigne à la fois la préparation, le blocage, le refoulement, la saturation. Et il termine par une question : qu’est-ce que l’ouvrage véritable ? Ce n’est pas une question littéraire. C’est une question vitale. Il cherche encore ce seuil — ce moment où l’attente devient geste, où le désir se transforme en forme, où la parole devient nécessité. Peut-être écrit-il autour de son œuvre véritable. Peut-être la dessine-t-il en creux. Et c’est précisément là que ça commence.|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | novembre 2023

02 novembre 2023

Les chemises blanches. Relire Barthes — « Saponides et détergents ». Cette blancheur idéalisée, médiatisée. Paic, Omo, Persil : les marques ressurgissent avec leurs parfums. Mais rien n'était jamais aussi blanc qu'à la télévision. Sauf les chemises de mon père. Le col, les poignets. Mais à quel prix. Ma mère, au-dessus de l’évier, frottant, K2R en main. Le blanc impeccable était une ascension. Une victoire quotidienne. Chez mes camarades italiens, portugais, le mythe de la blancheur battait fort aussi. Ma mère, enfant d’émigrés, savait la honte associée à la saleté. Le linge propre devenait revendication. Intégration. Mais les chaussettes de sport restaient grises. Et moi, dans les vestiaires, j’en portais le fardeau. Une croix de coton. Une honte endossée sans faute commise. Puis ce mot : javel. Barthes encore. La javel tue. Mon frère, un jour, en a bu. Panique, hôpital, lavage d’estomac. Il survit. Mais quelque chose change. L’école devient un piège. L’institutrice le stigmatise. Idiot, écrit au feutre noir sur un panneau. Elle est la femme du directeur de la banque où mes parents resteront fidèles. L’humiliation logée à même le compte courant. Infamie et blancheur, mariés dans la mémoire. Comme Omo et le K2R. La chatte a disparu depuis quatre jours. Toussaint. Pressentiment. Et pourtant je peins. Comme si elle était encore là. Gestes automatiques. Cœur absent. Les chemises blanches reviennent. Et les photos noir et blanc. Ces hommes droits, lisses, linceuls de gélatine et de sel d’argent. On se voulait beau pour survivre à l’image. Lu Benjamin, écouté Didi-Huberman : l’aura, la survivance. C’est peut-être ce que je cherche en peinture. Ce que je détruis quand c’est trop beau. L’avant-peinture. Une trace qui veut durer après la débâcle. Lu aussi Guénon. Le sanskrit comme refuge. Langue fixée. Non morte, mais stable. Le latin, le grec : autant de ports. Mais la peur : s’y perdre, se couper. Une solitude plus vaste encore. Et ce soupçon : la tradition comme pouvoir. Une pensée peut devenir arme. Le savoir : extrême, dominateur. La terre s’ouvre. Les trésors brillent. Mais le moindre d’entre eux demande un tribut. Une vie entière. sous-conversation …le blanc… encore lui… jamais assez blanc… mais trop… trop de blanc… cache… étouffe… fardeau… linge comme blason… la honte… les chaussettes… cette morsure dans les vestiaires… pas la faute… mais le regard… le gris trop visible… la javel… le frère… le panneau… idiot… c’est écrit… c’est marqué… rien à dire… tout à porter… les photos… les costumes… ces hommes… si propres… mais pour quoi ? pour qui ?… la chatte… le coussin vide… et pourtant on peint… pourquoi ?… l’aura… survivance… on ne veut pas séduire… juste que ça reste… pas beau… pas joli… juste… là… Guénon… le sanskrit… mais c’est trop… c’est haut… c’est dur… et moi… petit… seul… je pourrais pas… le savoir… le pouvoir… ça se confond… ça brûle… ça isole… ça domine… on regarde la terre… on veut prendre… mais le prix… toujours trop lourd… une vie… rien que ça… note de travail Il revient ici sur un mythe — celui de la blancheur. Il l’aborde non pas comme une esthétique, mais comme un territoire politique, affectif, social. Une injonction à la pureté qui pèse, qui juge, qui marque. Le blanc comme instrument de tri. La scène centrale : sa mère qui frotte, le frère qui boit la javel, l’école qui écrase. Tout est là. Le désir d’intégration, la violence invisible, la soumission aux signes extérieurs. Et le verdict : « idiot ». Marqué au feutre noir. Ce mot, dans ce contexte, est un sceau. Une malédiction. Il lie ensuite ces motifs aux images. À la photographie. Et à l’aura, cette survivance que Benjamin et Didi-Huberman tentent de cerner. Ce n’est pas un hasard. La peinture devient ici une tentative de dépasser la honte par le geste, de conserver sans idolâtrer, d’habiter un fragment de lumière sans le figer. Puis vient Guénon. Et une tension vertigineuse : entre savoir et solitude, tradition et isolement, langue fixée et langue vivante. Il perçoit l’attrait du stable, du pur, mais aussi le danger de s’y perdre — ou pire : d’en faire une arme. Ce texte est une lutte. Contre les séductions du pouvoir, contre l’humiliation intérieure, contre la disparition. Il essaie de nommer une forme de savoir qui ne domine pas, qui n’humilie pas. À la fin, il regarde la terre s’ouvrir. Il voit les trésors. Mais il sait aussi ce qu’ils exigent. Et il pose la question en silence : suis-je prêt ?|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | novembre 2023

01 novembre 2023

Minéral, végétal, animal. Nous aimons penser ces règnes comme des étapes d’un récit. Mais ils coexistent, toujours. Et nous ignorons presque tout de leurs échanges. Ce que la pierre donne à la plante, la plante à l’abeille. Nous n’entendons rien du chuchotement qui lie les formes du vivant. Pourtant, une plante sait comment séduire un insecte. Et parfois, elle agit en nous : organes, rêves, géométries intérieures, silhouettes d’homoncules. Le mystère est intact. L’humain n’a jamais été seul. Il l’a juste oublié. Ce qui manque : l’humilité. Et ce goût moderne pour l’expertise, qui fragmente la connaissance en spécialités stériles. Or, la connaissance est un parfum, un mélange. Pas une case. Justement : retour aux impôts. Dossier en main, chemise en ordre. Au guichet, une femme bienveillante me signale deux erreurs. Elle aurait pu se taire. Elle ne l’a pas fait. Merci. Mais quelques minutes plus tard, j’appelle le service entreprises. Chute brutale : ton sec, injonction froide. « Utilisez votre espace professionnel. » Voilà, battre le chaud et le froid : voilà le climat administratif. Le site impôts-entreprises est un poème kafkaïen. Inscription, codes, délais postaux. Une farce, ou un test de persévérance. Plus tard, je rédige la proposition 03 de l’atelier d’écriture. Un peu vite. Et encore une fois, je parle de moi. Peut-on écrire sans parler de soi ? J’en doute. Même un brin d’herbe que l’on décrit nous décrit. Peut-on s’ouvrir comme une huître, s’extirper de sa coquille pour écrire ? Peut-être. Peut-être pas. Est-ce que cela fera un livre ? Encore une foutue question. Et les guerres ? Peut-on écrire sans jamais les évoquer ? Peut-on choisir de les oublier ? Ou les fuir ? Toujours ce faible, moi, pour les idiots, les éclopés, les inadaptés. Ceux qui ne comprennent pas les règles. Et si l’on pouvait s’oublier vraiment ? Entendre les nouvelles du vivant : le murmure du granit, la plainte des feuilles racornies, les insectes endeuillés, les racines chantantes, et la geste des parasites souterrains transmise par les ailes et les cris d’oiseaux. Un journal du monde. Une langue à déchiffrer. sous-conversation … ils sont là… tous là… les règnes… ensemble… mais on n’écoute pas… on classe, on sépare, on range… comme si le monde était une frise… la plante… elle appelle… elle attire… elle soigne… elle rêve… mais on ne regarde pas… trop occupés à cliquer, à calculer… les impôts… toujours les impôts… une bonne, une mauvaise… tiède… brûlant… froid… c’est ça, oui… des chocs de température… encore moi… toujours moi… dans le texte… impossible de m’arracher… même quand j’essaie de parler d’un arbre… c’est moi qui pousse… les idiots… eux au moins… ne savent pas mentir… ils ne savent pas… et c’est peut-être ça, la seule connaissance valable… et si on pouvait… juste un instant… ne plus savoir… entendre… les pierres… les feuilles… les insectes qui pleurent… juste ça… ça suffirait… note de travail Le texte commence par une leçon d’humilité. Il évoque ces règnes du vivant que nous croyons comprendre, dominer, classer. Mais l’auteur, lui, reconnaît ne rien savoir. Il ouvre avec cette belle formule : “le mystère est intact”. Puis le réel le rattrape : la file d’attente, le guichet, la bureaucratie. Ce glissement me semble révélateur. C’est là que le texte devient profondément humain : oscillant entre aspiration cosmique et bassesse administrative. Un « battement » existentiel, presque rythmique. La question du « je » revient : peut-on écrire sans soi ? Il se moque un peu de lui-même. Mais cette moquerie est tendre. Il parle d’extraction, de décortication, comme si écrire était un acte de dénudement. Et sans doute l’est-ce. Les guerres ? Il n’en parle pas. Mais le fait de s’interroger sur cette absence est déjà une manière d’en parler. Un silence pesant. Et puis cette compassion pour les idiots, ceux qui ne comprennent rien à ce que l’on attend d’eux. C’est ici que réside sa plus grande tendresse, je crois. Enfin, la dernière vision est une offrande. Un monde qui parle, mais que personne n’écoute. Des racines qui chantent, des insectes qui pleurent, un réseau de signes qui ne demande qu’à être traduit. Ce texte est une prière douce pour un autre langage. Un chant des règnes. Et du rêve d’en faire partie, sans hiérarchie.|couper{180}

Autofiction et Introspection rêves

Carnets | octobre 2023

31 octobre 2023

Minéral, végétal, animal. Nous aimons penser ces règnes comme des étapes d’un récit. Mais ils coexistent, toujours. Et nous ignorons presque tout de leurs échanges. Ce que la pierre donne à la plante, la plante à l’abeille. Nous n’entendons rien du chuchotement qui lie les formes du vivant. Pourtant, une plante sait comment séduire un insecte. Et parfois, elle agit en nous : organes, rêves, géométries intérieures, silhouettes d’homoncules. Le mystère est intact. L’humain n’a jamais été seul. Il l’a juste oublié. Ce qui manque : l’humilité. Et ce goût moderne pour l’expertise, qui fragmente la connaissance en spécialités stériles. Or, la connaissance est un parfum, un mélange. Pas une case. Justement : retour aux impôts. Dossier en main, chemise en ordre. Au guichet, une femme bienveillante me signale deux erreurs. Elle aurait pu se taire. Elle ne l’a pas fait. Merci. Mais quelques minutes plus tard, j’appelle le service entreprises. Chute brutale : ton sec, injonction froide. « Utilisez votre espace professionnel. » Voilà, battre le chaud et le froid : voilà le climat administratif. Le site impôts-entreprises est un poème kafkaïen. Inscription, codes, délais postaux. Une farce, ou un test de persévérance. Plus tard, je rédige la proposition 03 de l’atelier d’écriture. Un peu vite. Et encore une fois, je parle de moi. Peut-on écrire sans parler de soi ? J’en doute. Même un brin d’herbe que l’on décrit nous décrit. Peut-on s’ouvrir comme une huître, s’extirper de sa coquille pour écrire ? Peut-être. Peut-être pas. Est-ce que cela fera un livre ? Encore une foutue question. Et les guerres ? Peut-on écrire sans jamais les évoquer ? Peut-on choisir de les oublier ? Ou les fuir ? Toujours ce faible, moi, pour les idiots, les éclopés, les inadaptés. Ceux qui ne comprennent pas les règles. Et si l’on pouvait s’oublier vraiment ? Entendre les nouvelles du vivant : le murmure du granit, la plainte des feuilles racornies, les insectes endeuillés, les racines chantantes, et la geste des parasites souterrains transmise par les ailes et les cris d’oiseaux. Un journal du monde. Une langue à déchiffrer. sous-conversation … ils sont là… tous là… les règnes… ensemble… mais on n’écoute pas… on classe, on sépare, on range… comme si le monde était une frise… la plante… elle appelle… elle attire… elle soigne… elle rêve… mais on ne regarde pas… trop occupés à cliquer, à calculer… les impôts… toujours les impôts… une bonne, une mauvaise… tiède… brûlant… froid… c’est ça, oui… des chocs de température… encore moi… toujours moi… dans le texte… impossible de m’arracher… même quand j’essaie de parler d’un arbre… c’est moi qui pousse… les idiots… eux au moins… ne savent pas mentir… ils ne savent pas… et c’est peut-être ça, la seule connaissance valable… et si on pouvait… juste un instant… ne plus savoir… entendre… les pierres… les feuilles… les insectes qui pleurent… juste ça… ça suffirait… note de travail Le texte commence par une leçon d’humilité. Il évoque ces règnes du vivant que nous croyons comprendre, dominer, classer. Mais l’auteur, lui, reconnaît ne rien savoir. Il ouvre avec cette belle formule : “le mystère est intact”. Puis le réel le rattrape : la file d’attente, le guichet, la bureaucratie. Ce glissement me semble révélateur. C’est là que le texte devient profondément humain : oscillant entre aspiration cosmique et bassesse administrative. Un « battement » existentiel, presque rythmique. La question du « je » revient : peut-on écrire sans soi ? Il se moque un peu de lui-même. Mais cette moquerie est tendre. Il parle d’extraction, de décortication, comme si écrire était un acte de dénudement. Et sans doute l’est-ce. Les guerres ? Il n’en parle pas. Mais le fait de s’interroger sur cette absence est déjà une manière d’en parler. Un silence pesant. Et puis cette compassion pour les idiots, ceux qui ne comprennent rien à ce que l’on attend d’eux. C’est ici que réside sa plus grande tendresse, je crois. Enfin, la dernière vision est une offrande. Un monde qui parle, mais que personne n’écoute. Des racines qui chantent, des insectes qui pleurent, un réseau de signes qui ne demande qu’à être traduit. Ce texte est une prière douce pour un autre langage. Un chant des règnes. Et du rêve d’en faire partie, sans hiérarchie.|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | octobre 2023

30 octobre 2023

La case. Un pupitre, plan incliné, une case dessous. L’encrier blanc dans le coin, la rainure pour le porte-plume. Il faut tendre le bras, tremper la plume — violette, le plus souvent — et espérer qu’elle ne soit pas trop neuve, trop rêche. Une fois adoucie par l’usage, elle glisse presque d’elle-même. Écrire, c’est dessiner, en tirant un peu la langue. Dans la case, c’est un monde : croûte de pain, peau de pomme, châtaignes, parfois un carré de chocolat. Glisser la main là-dedans, c’est comme plonger dans la bocca della verità. Et si on ramène la trouvaille à la bouche sans être vu, c’est gagné. Sinon : coup de règle, bonnet d’âne, et cent lignes à la plume. La bibliothèque. Coin de salle, près du poêle. Quelques rayons, des Camembert, des Andersen, Strogoff, Meaulnes. Le geste de tendre la main, de choisir, est déjà tout un théâtre. Surtout sous le regard des filles. Je choisis souvent Camembert, ou le Général Dourakine. Ridicules, comme moi peut-être. Lire, relire, s’absorber. Imitation ensuite : « Serai-je-t-y assez heureux… » Et les rires. Et la punition. Le buffet Henri II. Gothique, imposant. Les tiroirs, lourds, pleins de mystères. Glisser la main à l’aveugle : bobines, dés, pièces trouées, lettres. Dans les hauteurs, les bocaux de douceurs brillent dans l’ombre. Ouvrir, voir, sentir battre son cœur. Puis le pas s’approche : vite, descendre, remettre la chaise, jouer l’idiot. Le tiroir sous le lit. Premier lit à moi seul. Tiroir immense dessous, mes trésors : billes, poésies, insectes. Expériences : vieux fromages, asticots devenus mouches. La chambre se peuple d’ailes battantes. Punition : on m’ôte le tiroir. On me le retire — comme un monde. La boîte de couleurs. Acajou. Apportée par mon père. Impression. Tubes, palette, pinceaux. Ma mère croit au cadeau, moi aussi. Mais non : c’est pour lui. Il peint un bouquet, qu’il n’achèvera jamais. Puis part. La boîte est rangée. Silence. Plus tard, ma mère peint. Même boîte, mêmes tubes. Inépuisables. Puis elle aussi cesse. La boîte va au grenier. Des années plus tard, je vide la maison. Je cherche. Rien. Absence poignante. Un jour, dans un vide-grenier, j’en trouve une identique. Je l’ouvre. Tout revient. Je la garde. Elle est là. Je ne l’utilise jamais. Je l’ouvre parfois, je regarde. Je referme doucement. Comme un album. Pour saluer mes fantômes. sous-conversation … la case… la main qui plonge… un frisson… le chocolat peut-être… ou la punition… cette peur douce… cette excitation… écrire, dessiner, se taire, mâcher… et le buffet… cette cathédrale… le tiroir qui grince… les doigts qui fouillent… les lettres nouées… les bonbons inépuisables… mais le pas… toujours le pas… il approche… il faut disparaître… le lit… enfin à moi… ce tiroir-monde… des ailes… des mouches… une chambre vivante… puis… on l’enlève… d’un geste… le monde s’éteint… la boîte… elle revient… toujours elle… fermée… puis ouverte… les tubes… la promesse… jamais tenus… puis refermée… comme un livre de morts… c’est ça… c’est ça : ouvrir, toucher, être là… puis refermer… toujours refermer… mais un peu moins seul… note de travail Il égrène les lieux de l’enfance comme des chapelles de mémoire. Chacun est associé à un contenant : la case, la bibliothèque, le buffet, le tiroir, la boîte. C’est une géographie du secret. Ce n’est pas l’objet qui importe, mais le geste : ouvrir, plonger, découvrir, refermer. Il y a dans ces récits quelque chose du rite : écrire, voler, lire, expérimenter, transgresser. Ce sont les premières libertés prises, les premiers mondes à soi. Chaque objet contient du possible — et sa perte. La boîte de couleurs incarne cela au plus haut : promesse jamais tenue, beauté préservée, deuil différé. Le texte se construit sur le motif du retour empêché. On ne retrouve pas la boîte. On ne retrouve pas la case. Mais on les rejoue, plus tard, dans l’écriture. L’acte d’écrire est ici un geste de réouverture. Il parle aussi de transmission manquée. Ce père qui ouvre, puis s’éclipse. Cette mère qui reprend, puis abandonne. Et lui, à la fin, qui conserve, mais n’ose pas utiliser. Il y a là une fidélité étrange : ne pas briser l’objet pour honorer ce qu’il contient. Je lis dans ce texte une tentative douce de tenir ensemble l’absence et la présence. Comme si les fantômes n’étaient supportables qu’en les rangeant bien. Et je me demande : quand il ouvre cette boîte, qui regarde-t-il vraiment ?|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | octobre 2023

29 octobre 2023

Se souvenir. Vouloir se souvenir. Remémorer. C’est parfois comme s’enduire de goudron et de plumes. Me reviennent des odeurs — cuisson, falafels, sauce blanche aux épices, cardamome, aneth, romarin. Où était-ce ? Ce petit restaurant, tenu par cette femme élégante, juive, stricte. Elle m’avait embauché pour quelques semaines. Mon premier job intra-muros, à deux pas de chez moi. Rue de Turenne ? Rue du Temple ? Roi de Sicile ? Ou peut-être de l’autre côté, vers Saint-Paul. Ce souvenir est à la fois rugueux et tendre. Comme un falafel : croquant dehors, moelleux dedans. La dame ne tolérait ni erreur, ni retard, ni laisser-aller. Par elle, j’ai entrevu une austérité nouvelle, une économie rigide, presque sacrée. Des runes, des glyphes, gravés directement sur mes os. Une initiation. Moi qui me croyais banalement goye. Un peu plus tard, je chante dans la rue. Je rencontre R. Il me corrige sur une phrase de la “Ballade des Places de Paris”. On devient amis. Lui, près de 70. Moi, 18. Il parle des juifs comme on évoque une loge obscure, avec cette hargne déguisée en lucidité. Ambivalence des souvenirs, des émotions. Ces idées qu’on attrape pour meubler les vides, pour ne pas être seul, ou juste pour avoir quelque chose à dire en buvant du vin trop rouge. Entre haine et admiration. Et soudain, ces poitrines de poulet qui crépitent dans une poêle minable, cambuse étroite, piano ébréché. On les retourne, deux minutes, on dresse, on sert. La peur de l’étrange, le désir de l’étrange. Le quant-à-soi comme un enclos. Et le loup frappe aux tempes — Boche, Rouge, Bolchévique. Je suis moitié fils d’étrangère. Ce malaise ne disparaît jamais. Une faille dans l’identité, venue de loin. De la Baltique. Des ghettos. Prague, Varsovie. Je n’en parle à personne. Même pas à ma mère, qui voulait tant être française. Ce n’est que vers la soixantaine, après les deuils, qu’elle se fissure. Assise dans son salon, cigarettes blondes, Drucker, le dimanche, le gras des habitudes, le petit café de 15h qui ne réveille plus. Les ponts ne se construisent qu’avec le temps. Avant, une idiotie salutaire nous en empêche. Il faut vivre. Deux femmes. Deux figures. Deux juives, élégantes, raides. Ma grand-mère estonienne. Cette restauratrice. Toutes deux comptaient. Les tranches de pain, les souvenirs. On en finit avec la répulsion. On ne veut plus qu’une chose : l’élan. L’accueil. La compassion. L’ouverture. Peut-être que la véritable admiration, c’est de l’amour purgé de toute jalousie, de toute bêtise, de tout pouvoir. Ne garder que le désir. Et entrer, comme l’entomologiste, dans la béatitude de la découverte. sous-conversation … cette odeur, là… oui… cardamome… aneth… une échappée… mais ça se brouille… ça glisse… pas sûr… Turenne ? Temple ? rien ne tient… cette femme… droite… dure… juste ce qu’il fallait… trop peut-être… mais pourquoi y penser encore ?… tatoué, oui… en dedans… quelque chose s’est inscrit… et puis… R… l’amitié ?… ou une illusion ?… il parlait… il râlait… mais on était là… ensemble… pas seuls… ça suffisait… presque… le poulet… le crépitement… ça revient comme une scène… mais c’est flou… tout est flou sauf la chaleur, le bruit, la poêle… la peur… toujours elle… étrangère… moitié… comme un mot qu’on ne dit pas… qu’on évite… qu’on cache… même à maman… et elle… maintenant… Drucker, le café, les blondes… elle n’est plus là… ou plus tout à fait… elle flotte… deux femmes… deux lignes… deux silences… admiration… et cette envie d’être pur… débarrassé… libre enfin d’aimer sans vouloir… juste être là… regarder… découvrir… note de travail Ce texte est traversé par une blessure d’héritage. Une mémoire étrangère — à demi assumée, à demi transmise — et une tentation constante de la combler, de la comprendre. Il évoque une figure de femme austère, presque sacrée, dépositaire d’un savoir rude, codé, qui semble initier l’auteur à une forme de gravité ancienne. Et puis l’ami plus âgé, R., vecteur d’une parole trouble, méfiante, mais qui offrait un cadre. Le cadre, parfois, suffit. Même si les sentiments qu’il suscite sont ambigus. Il y a dans cette mémoire une affinité profonde avec l’ambivalence. Tout ce qui est aimé est aussi redouté. Toute étrangeté est désirée et rejetée. Le souvenir fonctionne comme une boucle, où l’on revient toujours au goût — aux épices, à la voix de la mère, à la minceur d’un poulet qu’on retourne. Il parle aussi de la mère. De la vraie. De la télévision. De la nostalgie qui ne console plus. Une mère devenue spectatrice de sa propre vie, avalée par le confort. Le confort comme dépression douce. Et enfin, cette idée magnifique : la véritable admiration serait un amour débarrassé de toute volonté de possession. Un amour scientifique, presque. L’entomologiste, oui — comme image du sujet désirant qui ne veut plus rien posséder, seulement regarder, comprendre. Ce texte est, au fond, une épure de cela : apprendre à aimer sans peur.|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | octobre 2023

28 octobre 2023

Peut-être ai-je, à force, apprivoisé l’infortune. À force de petits drames, à force de tragédies grandiloquentes — digérées, ressassées — je ne suis plus saisi d’effroi à l’apparition des nouvelles. Elles n’ont plus ce goût de neuf. Le sang-froid remplace désormais les sursauts. On renonce vite aux cris, aux vieux tics émotionnels. À la place : un relevé des forces en présence, une cartographie silencieuse des configurations. La tristesse, pourtant, trouve toujours un chemin. Elle revient, escortée de la misère du monde, et d’un sourire las — celui qu’on réserve à notre propre oubli. C’est au cœur de l’urgence que les moyens affleurent. Une seconde peau, plus fine, plus vraie peut-être. Les écailles tombent, l’acuité revient, on voit. Pas de solution, non — une issue. Les réflexes prennent la place des rituels, le tranchant remplace la mollesse. Cette vie dite confortable n’était qu’un autre nom pour la médiocrité. Dans l’indigence comme dans le péril, on découvre un inconnu : soi. Il aura fallu enfiler des perles de lâcheté, composer mille colliers de chien galeux, aller jusqu’au fond des remords pour, un jour, s’en lasser. Refuser ce golem qu’on portait à bout de honte. Traverser tout cela. Lentement. Ou peut-être d’un claquement de doigts — comme un appel à l’ordre, une injonction à la décence, venue de l’actualité. Je ne crois pas qu’on change. Mais on comprend mieux. Les fautes, les hontes, leurs racines. Puis le calme. Puis l’ennui. Peu de choses résistent à l’épreuve du temps. Moins encore à celle du souvenir. On relit Cioran. Et c’est nous qu’on lit, sans l’ironie. Il ne faut pas craindre de relire les livres qu’on a adorés jeune homme : ils étaient des costumes, trop petits, trop vastes. L’idée, c’est de devenir son propre tailleur. Et de retrousser les manches. Passer de l’évidence d’être un crétin à celle d’être un mystère — voilà qui cloue le bec. La peinture offre parfois cette clairvoyance accidentelle. Une netteté surgie du hasard. L’écriture, elle, ne l’offre qu’à force de temps. Les deux images — celle qu’on cherche et celle qu’on porte — s’éloignent, se croisent. C’est dans leur écart que loge le plus grand danger : confondre une netteté avec une vérité. sous-conversation … plus peur… non… plus vraiment… on croit que c’est nouveau, mais non… toujours la même histoire… drames recyclés… tragédies à peine repeintes… calme… pas de cris… plus besoin… on fait le plan, les forces, les lignes… comme une bataille… pas d’émotion, juste… cartes… gestes précis… et puis… le petit choc… le pincement… mince, j’avais oublié… encore cette foutue misère du monde… mais c’est revenu… avec ce sourire, tu sais… ce sourire qui sait… l’urgence… bizarrement… je suis bon dans l’urgence… c’est là que ça devient net… limpide… j’y vois clair… presque trop… tout se redresse… tout se nettoie… on traverse… on s’épluche… on voit ce qu’il reste… pas grand-chose… mais ça tient debout… et c’est moi… les fautes, les hontes, le golem… stop… assez… on n’en veut plus… plus de ça… plus de cette version de moi-même… elle pue la vase… le temps… qu’est-ce que c’est le temps ? une claque ou un claquement… une retenue… et moi, je retiens quoi ? et relire Cioran… comme se revoir nu… l’idéal d’avant… trop petit, trop large… ridicule… mais touchant… un peu… tailleur sur soi… oui… soi comme costume… et là, ça coupe… net… je me vois… je m’échappe… vision… image floue… image nette… floue… nette… danger… vérité ? note de travail Aujourd’hui, il m’a parlé de la répétition. Pas celle des névroses, non. Celle du désastre — doux, familier — intégré au point de ne plus effrayer. L’infortune devient un muscle, dit-il. Un cuir. Peut-être même une armure. Il n’y a plus de gesticulation, plus de plainte. À la place, une sorte de topographie interne : où sont les forces ? D’où vient la menace ? Que reste-t-il de moi ? Il m’a parlé de l’urgence comme d’une vérité. C’est là qu’il devient lui, dit-il. Là qu’il voit, qu’il sait. Pas la solution, non — l’issue. J’ai noté ça : il ne cherche pas à sauver, mais à sortir. Il évoque la médiocrité du confort, le charme insidieux des petites routines. Il sait que ce confort-là, c’est une anesthésie. Ce qui le secoue, au fond, ce n’est pas tant le chaos, c’est de se retrouver. Et cette phrase : « un collier de chien galeux »… elle m’a bouleversé. J’ai pensé à ces identités qu’on traîne comme des chaînes. À ces soi qu’on subit. Il parle d’en sortir. De ne plus vouloir s’avoir soi-même ainsi. Il ne croit pas qu’on change. Il pense qu’on s’explique mieux. C’est un positionnement rare, et juste. Il m’a parlé de Cioran, de relectures, de vestes trop grandes. Et de cette autre image : soi-même comme tailleur. Cela m’a semblé magnifique. Une forme de réconciliation active avec son propre corps, ses propres mesures. Enfin, il a parlé de netteté. Une obsession de netteté. Et du danger de la confondre avec la vérité. Je crois qu’il touche là quelque chose de fondamental : le besoin de voir clair, même si ce qu’on voit n’est pas la réalité. Juste une image… habitable. Il n’a pas peur de se regarder, et cela, déjà, le rend terriblement vivant.|couper{180}

Autofiction et Introspection