Lectures
Dans Lectures, je rassemble des textes qui lisent autant les livres que leurs échos : portraits d’auteurs (Lovecraft, Maupassant, Sebald, Knausgård…), analyses thématiques (mémoire, espaces souterrains, rituel, minimalisme), et ponts entre œuvres et idées (réalisme magique, New Weird, steampunk, théorie de la narration). Plutôt que des critiques formatées, ce sont des notes argumentées : résumés sans divulgâcher, mises en contexte, rapprochements historiques, styles repérés, citations brèves.
contenu de la rubrique Lectures :
Auteurs & œuvres : dossiers, lectures suivies, cycles (Lovecraft et ses héritages, Dunsany, Sebald, Capote, Faulkner, Knausgård).
Genres & courants : New Weird, réalisme magique, steampunk, autofiction, poésie, essais et sciences humaines.
Théorie & pratique : formes narratives (arc, fragment, monologue), contrat auteur·lecteur, “traduction” d’un style (le “Horla”, le “style Sebald”), liens entre écrire et lire.
Cartes et liens : pistes de lecture, intertextes, rapprochements inattendus (Maupassant ↔ mythe de Cthulhu, archives et « cloud » avant l’informatique, villes réelles et villes imaginaires).
Fil conducteur : comprendre ce que fait un texte — au niveau du rythme, de la voix, des motifs — et où il nous mène. Les billets alternent portraits, fiches analytiques et essais courts, avec un maillage vers les rubriques voisines (fictions, carnets, mythes) pour prolonger la lecture.
Quelques thèmes récurrents :
- mémoire et traces - espaces/lieux (souterrains, murs, villes)
- rituels
- l’étrangeté du quotidien
- techniques du récit
- héritages et détours (de Dunsany à Lovecraft, de Perec à Rabelais)
- poétique de la sincérité et du doute
Objectif : offrir un lieu où la lecture devient laboratoire — pour choisir ses prochains livres, mais surtout pour voir comment ces lectures travaillent l’imaginaire
Lectures
H.P. Lovecraft en 2025 : l’horreur que nous n’osons pas voir
Imaginez que l’on découvre aujourd’hui un manuscrit inédit de H.P. Lovecraft. Une œuvre prophétique, terrifiante, qui décrit notre monde mieux que nous ne le faisons nous-mêmes. Les Montagnes hallucinées ne parlerait plus seulement d’horreurs antiques, mais des monstres bien réels qui nous gouvernent. Et si Lovecraft avait eu raison ?|couper{180}
Lectures
Mémoire vive
Je me souviens d’une lampe verte sur le bureau de mon grand-père. Ou était-elle bleue ? Peut-être n’y avait-il pas de lampe du tout. Ce qui me revient, ce n’est pas un fait, c’est une impression, un reflet de lumière posé sur un coin d’enfance. Si je l’écris, je la fixe. Et pourtant, déjà, elle m’échappe. La phrase vient de l’attraper, mais ce n’est plus la même lampe. Quand on écrit un souvenir, que retient-on vraiment ? Est-ce une archive du passé ou une réinvention ? On croit que l’on restitue, mais on recrée. C’est une illusion tenace, cette idée que la mémoire serait un enregistrement fidèle. Proust l’a démontré mieux que personne. Dans À la recherche du temps perdu, ce ne sont pas les souvenirs conscients qui portent la vérité du passé, mais ces surgissements imprévisibles, ces éclats sensoriels qui dépassent la volonté. L’odeur d’une madeleine, le bruit d’une cuillère sur une assiette, et c’est tout un monde qui refait surface. Mais ce monde n’existe plus. Il se reconstruit dans l’écriture, il se plie au rythme des phrases, à la logique du récit. Ce n’est pas une restitution, c’est une transfiguration. Écrire, c’est composer avec l’oubli. Barthes en joue aussi. Dès la première page de Roland Barthes par Roland Barthes, il avertit : « Tout ceci doit être considéré comme dit par un personnage de roman. » Même en parlant de lui-même, il s’invente. Qui raconte, lorsqu’on se souvient ? Qui décide du cadre, du ton, des ellipses ? On croit se souvenir, mais en réalité, on choisit. On accentue une couleur, on coupe un détail, on arrange. Peut-on dire qu’un souvenir écrit est vrai ? Peut-être l’est-il plus que le souvenir lui-même. La mémoire est un atelier où l’on sculpte ce qui nous reste. Perec, lui, a fait de cette incertitude un projet littéraire. Je me souviens aligne des bribes de passé, toutes introduites par la même formule incantatoire : « Je me souviens… » Il ne cherche pas à recomposer une histoire, juste à fixer des fragments, ces éclats épars qui font une vie. Mais l’exercice révèle autre chose : certains souvenirs paraissent inventés. Ou sont-ils simplement contaminés par d’autres récits, d’autres lectures ? Perec lui-même l’admet dans W ou le souvenir d’enfance : son passé est troué, il le recompose par nécessité, et parfois, par pure fiction. C’est là toute la question : écrit-on ce dont on se souvient, ou se souvient-on de ce que l’on écrit ? Nathalie Sarraute, elle, hésite. Enfance n’est pas un récit ordinaire. C’est une conversation à voix basse entre elle et elle-même, un dialogue interrompu, une succession de doutes. À chaque souvenir évoqué, une seconde voix s’élève pour interroger : « Était-ce vraiment ainsi ? » Rien n’est certain, tout est fragile. L’écriture n’affirme pas, elle explore. Ricœur parle de « mémoire reconstructive ». Nous ne sommes pas des archivistes fidèles de notre propre vie. Nos souvenirs se modèlent selon nos attentes, nos désirs, nos regrets. On se raconte une histoire. On la modifie sans s’en rendre compte. Peut-être que la mémoire ne se contente pas d’oublier ; peut-être qu’elle invente aussi. Alors écrire, c’est quoi ? C’est reconnaître que la vérité du souvenir ne tient pas dans sa précision, mais dans sa résonance. Gabriel García Márquez disait : « La vie n’est pas ce que l’on a vécu, mais ce dont on se souvient et comment on s’en souvient. » Ce qui importe, ce n’est pas la fidélité à un passé factuel, mais la justesse d’une sensation retrouvée, d’une émotion qui refait surface. Peut-être qu’au fond, écrire, c’est inventer un passé qui tienne debout. Un passé qui, une fois couché sur la page, semble plus réel que celui qu’on croyait posséder. Peut-être que cette lampe verte — ou bleue — n’existait pas. Mais maintenant qu’elle est là, dans ces lignes, elle existe un peu plus qu’avant. C’est peut-être ça, la mémoire. Une fiction qu’on apprend à croire. Musique Claude Debussy Rêverie|couper{180}
Lectures
Écrire l’étrange : entre réflexion et passage à l’acte
« Le véritable conte étrange à quelque chose de plus qu'un meurtre secret, des os ensanglantés ou une forme drapée faisant claquer des chaînes selon la règle. Il s'agit bien plus d'un récit qui évoque une terreur profonde face à l’inconnu, souvent en suggérant des réalités cachées qui dépassent l’entendement humain. » Ainsi s’exprimait H. P. Lovecraft en 1933 dans Guide pour écrire des histoires bizarres. Cette définition, loin des artifices du surnaturel de pacotille, pose la question de l’étrange comme un mouvement subtil dans le récit, une tension plus qu’un simple dispositif. Face à cette réflexion, l’envie d’écrire des fictions étranges révèle un besoin profond. Pourquoi sommes-nous fascinés par ce qui dépasse la norme ? Pourquoi cherchons-nous à explorer d’autres réalités par le biais de la fiction ? En appliquant la méthode japonaise des 5 pourquoi, qui consiste à remonter aux causes profondes d'un questionnement, on peut identifier les racines du désir d’écrire des fictions étranges : Parce que j’aime créer des histoires qui perturbent la perception du réel. Parce que je suis fasciné par l’inexplicable et le mystérieux. Parce que cela me donne une sensation unique d’émerveillement. Parce que le monde me semble souvent trop rationnel et limité. Parce que cela me permet de remettre en question la normalité et de jouer avec l’inconnu. La conclusion ? J’écris des fictions bizarres pour repousser les limites du réel et explorer l’inconnu, là où la normalité n’a plus de prise. Mais alors, qu'est-ce qui empêche d'écrire ? Ce n'est pas le manque d'idées — le bizarre est partout — mais bien la difficulté à trouver un véhicule narratif pour le porter vers l'autre. L’écriture de l’étrange ne repose pas sur l’accumulation d’éléments surnaturels ou d’images spectaculaires, mais sur la manière dont le texte amène le lecteur à sentir un glissement insidieux du réel vers l’anomalie. Ce basculement peut se faire par des variations stylistiques, des structures narratives décalées, une perception faussée du narrateur. C'est un curieux problème que celui de l'étrange en littérature. On voudrait le capturer, l'analyser, comme une bête indocile. On le soupèse, on le soupçonne, on tente d’en cerner les contours, mais il résiste, se faufile, toujours à la lisière du réel. On écrit sur lui, et pourtant, il nous échappe. Prenons cette baguette de pain. Tiède en sortant de la boulangerie, elle refroidit, naturellement. Mais pourquoi donc cet homme presse-t-il le pas, l'air inquiet, tandis que la vapeur s'échappe encore de la croûte dorée ? Est-ce la baguette qui change ou bien l’air autour ? Lui-même ne saurait le dire. La scène est ordinaire, bien sûr. C’est un trottoir de Paris, un dimanche matin, il fait un peu gris, et le sol brille encore de l’averse nocturne. Rien d’extraordinaire, rien à signaler. Mais cette baguette. Ah, cette baguette. Et ce chat. Où est-il ? Sur le fauteuil, naturellement, sa place habituelle. Mais lorsque les autres entrent dans la pièce, ils froncent les sourcils. « Quel chat ? » Il caresse le vide, pourtant il sent sous ses doigts la tiédeur de son pelage. Un instant, il pense qu’ils plaisantent. Puis il voit leurs visages, crispés, interrogateurs. Il n’y a pas de chat. Alors il secoue la tête, passe à autre chose. Après tout, on a vu plus étrange. On a toujours vu plus étrange. Un puits. On ne tombe pas dans un puits, en ville, pas dans un arrondissement comme celui-ci. Mais le sol s’est dérobé sous lui, et maintenant, il chute. Plutôt lentement, à vrai dire. Il se redresse un peu, s'ajuste comme on s’installerait plus confortablement dans un fauteuil trop profond. Il observe les parois, la texture de la pierre, s’amuse du détail de quelques racines qui osent un geste vers lui. Il suppose qu’il finira par s’arrêter. Ou peut-être pas. Mais pour le moment, il chute. Alors, quand commence-t-on à écrire ? Peut-être quand on accepte d’abandonner la peur de l’imperfection, quand on cesse d’attendre une idée « parfaite » et que l’on se met à tester, à jouer avec la langue et les structures. L’étrange, après tout, ne se manifeste pas par un grand fracas, mais par un léger déplacement, une rupture presque imperceptible dans la trame du quotidien. C’est ce jeu subtil entre le réel et l’irréel qui donne à l’écriture de l’étrange toute sa puissance. Ainsi, plutôt que de remettre l’acte d’écrire à plus tard, pourquoi ne pas se prêter dès maintenant à un exercice ? Pourquoi ne pas capturer un moment anodin de votre journée et y injecter une anomalie ? Une légère dissonance. Une tension sourde. Car c’est là que réside la force de l’étrange : non pas dans l’attente du moment idéal, mais dans l’acceptation de son intrusion insidieuse, discrète, dans notre perception du monde. Musique Miles Davis : Ascenceur pour l'échafaud|couper{180}
Lectures
Effacement des traces
Lire, ce n’est pas seulement parcourir des livres. C’est aussi décoder les traces de notre quotidien, ces empreintes infimes laissées sur le papier avant qu’elles ne s’effacent. Plonger dans les papiers administratifs. C'est un rituel quotidien, presque inconscient. Scanner les factures, les tickets de caisse, les preuves. Ces fragments de notre passage, de notre consommation, de nos choix, ces pièces censées attester de notre histoire récente. Et pourtant, déjà, elles s’effacent. À un moment, en constatant leur effacement, je suis à mi-chemin entre l’étonnement et la colère. Ainsi, on nous impose, pour des raisons comptables et administratives, de conserver nos liasses de papiers en lieu sûr. Mais à quoi cela sert-il vraiment si, au bout d'une année à peine, elles disparaissent ? Comme si ce que nous vivons n’avait pas vocation à durer, comme si les preuves mêmes de notre passage n’étaient qu’une illusion temporaire. J’ai songé un instant à aller dans les magasins, les banques, exprimer… quoi ? Mon incompréhension face à cette absurdité, ma frustration de voir disparaître ce qu’on exige pourtant de conserver, mon désarroi devant cette obsolescence imposée. Mon étonnement, ma colère, mon désarroi ? Mais peine perdue, me suis-je dit presque aussitôt. Qui écouterait ce désarroi, sinon moi-même ? Qui accorderait de l’importance à ces détails infimes mais pourtant révélateurs d’un monde en perpétuelle disparition ? Il te faut aussi accepter cela, comme ce jour où tu as cherché, en vain, une vieille note griffonnée sur un carnet oublié, une idée précieuse jetée sur le papier et disparue sans laisser de trace, ces idées jetées sur le papier et oubliées, ces souvenirs effacés avec le temps, cette disparition des traces administratives de ta vie professionnelle et personnelle. Mais n’est-ce pas aussi le propre de toute existence, de s’effacer progressivement, d’être recouverte par les strates du temps, de s’effilocher comme ces tickets de caisse dont l’encre s’évapore sous nos doigts ? Hier encore, on nous vantait l'éternité des galettes, des CD, des DVD, tout comme on nous promet aujourd’hui celle du numérique. Mais force est de constater que même ces formats ne nous garantissent pas la pérennité. En changeant de machine, on abandonne parfois tout un pan de sa vie. Combien de fichiers oubliés sur d’anciens disques durs, combien de photos stockées sur des supports désormais illisibles, combien de mots, d’instants, effacés à jamais par l’évolution technologique ? Nous nous en remettons aux machines, persuadés qu’elles garderont tout en mémoire, alors même qu’elles sont les premières à nous trahir. À force de courir après la nouveauté, ne sommes-nous pas en train d'effacer notre propre histoire ? Je ne le sais pas. Ce que je sais, c'est que les traces s'effacent progressivement, avant même notre propre disparition. Et avec elles, peut-être, une part de nous-mêmes. La seule chose qui ne change pas : regarder le ciel. Tenter de lire ce qu'il dit et qui varie perpétuellement. Déjà enfant, j'avais un doute sur ce que je comprenais de cette lecture. Je m'estime heureux d'avoir conservé ce doute. Car tant qu’il reste du doute, il reste une place pour l’émerveillement. Pour la mémoire que l’on forge autrement que sur du papier, sur des écrans, ou sur du silicium. Peut-être que ce qui demeure réellement n’a pas besoin d’être enregistré, numérisé, archivé. Peut-être que ce qui persiste, c’est ce que nous choisissons de garder vivant en nous. Cette disparition des traces ne se limite pas aux objets ou aux fichiers numériques. Elle s'étend même au langage, à ces repères que nous pensions immuables. Elle touche aussi notre langage, nos repères. Pierre Ménard, sur son site "Liminaire", nous fait part d'une péripétie qui semble amusante au premier abord, mais qui, si l'on y réfléchit, glace le sang. Quelqu'un s'amuse à aposer des étiquettes sur tous les objets, une fenêtre, un placard, un ordinateur. Cela semble absurde au narrateur car tout le monde sait ce que sont ces objets. Puis soudain l'ordre des choses se modifie... La tasse devient une douchette, l'ordinateur pluie... ( [https://liminaire.fr/chronique/entre-les-lignes/article/dans-le-temps-a-contre-courant]) Ce glissement arbitraire du sens des mots nous rappelle à quel point notre monde repose sur des conventions fragiles. Lorsque nos repères se dissolvent, que reste-t-il de notre mémoire collective ? Est-ce une bonne ou mauvaise chose je n'en sais rien et une certaine lassitude m'empêche de me lancer dans cette investigation. Finalement, je finis par apprécier cet état flottant, entre étonnement et colère, comme quelqu'un tentant de passer entre les gouttes de pluie, les flocons de neige.|couper{180}
Lectures
Une utopie en sursis
Il y a dans l’œuvre de Iain M. Banks quelque chose de faussement assuré, une confiance qui vacille. Né en 1954 et disparu en 2013, Banks était un écrivain britannique connu pour ses romans de science-fiction et ses œuvres de fiction générale publiées sous le nom de Iain Banks. Son cycle de la Culture, entamé avec *L'Homme des jeux* en 1987, est rapidement devenu une référence majeure du genre, explorant les tensions et paradoxes d'une société technologiquement avancée et politiquement anarchiste. La Culture, cette société post-pénurie gouvernée par des intelligences artificielles bienveillantes, semble avoir résolu ce que d’autres considèrent comme insoluble : la rareté, l’oppression, la peur du lendemain. Pourtant, sous la surface immaculée, les paradoxes s’accumulent. La Culture veut être sans hiérarchie, mais ses citoyens dépendent d’entités infiniment plus intelligentes qu’eux. Elle veut être tolérante, mais intervient sans relâche dans les affaires des civilisations moins avancées, imposant son éthique par des moyens dont la douceur masque mal la violence. Il faudrait d’abord revenir à la structure. Une société post-marxiste, fluide, sans propriété, sans argent. Chacun y fait ce qu’il veut, parce qu’il n’y a plus rien à vouloir au sens où nous l’entendons. Les IA, les *Mentaux*, gèrent tout, omniprésentes et discrètes. Certains les comparent à des dieux, mais des dieux qui, cette fois, ont l’intelligence de ne pas exiger d’adoration. Ce sont elles qui maintiennent l’illusion d’un monde sans pouvoir, alors qu’en réalité tout repose sur leur regard. Un regard bienveillant, mais un regard tout de même. La Culture se déploie comme une utopie en mouvement, sans centre, sans capitale, une galaxie de vaisseaux, d’orbitales, d’habitats flottants. Une anarchie systémique, huilée par la technologie. Mais l’anarchisme, ce n’est pas seulement l’absence d’autorégulation, c’est aussi l’absence de coercition. Or, ici, il y a coercition, et elle porte un nom : Contact. Ou pire : Circonstances Spéciales. Parce qu’une société qui se veut parfaite ne peut pas tolérer l’imparfait. Parce qu’à force d’être convaincue de son bon droit, elle en oublie qu’elle agit par la force. Chaque roman de Banks est une variation sur ce thème : le prix de l’utopie. Le prix se mesure en violence, en compromis, en manipulation. Dans *L'Usage des armes*, un mercenaire se bat pour la Culture, accumule les cicatrices et les horreurs au nom d’un monde qui, lui, reste immaculé. Dans *Les Enfers virtuels*, la Culture interdit aux civilisations extérieures de maintenir des espaces de damnation simulés. L’intention est noble, le résultat est une guerre. Peut-on imposer la liberté ? Peut-on abolir la souffrance sans détruire la volonté ? Banks ne tranche pas, il expose, il déroule. Ce qui rend son œuvre si actuelle, c’est cette incertitude. Contrairement aux dystopies convenues où l’utopie est un mensonge à abattre, Banks nous montre une société qui fonctionne, et c’est précisément cela qui la rend troublante. Il ne s’agit pas de dénoncer un régime totalitaire déguisé en paradis. Il s’agit de poser une question plus insidieuse : et si l’utopie, par nature, contenait son propre poison ? Aujourd’hui, alors que les crises climatiques, technologiques et géopolitiques se multiplient, l’œuvre de Banks apparaît sous un jour plus prophétique que jamais. Son intuition d’une civilisation technologiquement avancée, engoncée dans ses propres contradictions, fait écho aux dilemmes contemporains : jusqu’où faut-il intervenir au nom du bien ? L’automatisation et l’intelligence artificielle peuvent-elles vraiment garantir l’équilibre d’une société ? La Culture est-elle une métaphore de nos démocraties libérales, où la tolérance et le confort masquent souvent un refus du changement profond ? On pourrait croire que la Culture est un rêve d’avenir, mais c’est peut-être plutôt un miroir du présent. Une parabole sur le libéralisme absolu, où le confort a remplacé la lutte, où l’illusion du choix se confond avec la liberté réelle. Un monde où l’on peut tout faire, sauf remettre en cause le système qui nous permet de tout faire. Un monde sans état, mais pas sans structure de contrainte. La Culture ne force personne à l’adopter. Elle se contente d’attendre que les autres civilisations se rendent compte d’elles-mêmes qu’elles sont arriérées. Ce qui, au fond, revient au même. L’utopie de Banks n’est pas une promesse, c’est une hypothèse. C’est une tentative de penser un ailleurs qui, comme tous les ailleurs, reste insaisissable. Et si elle fascine tant, ce n’est pas parce qu’elle nous donne un modèle, mais parce qu’elle nous met face à une question sans réponse : que ferions-nous, vraiment, si nous avions tout ce que nous voulons ?|couper{180}
Lectures
Maupassant, une vie
Maupassant enfant Maupassant, météore et mirages Un écrivain qui va vite. Très vite. Une trajectoire nette, tendue, presque trop droite : ascension fulgurante, production délirante – plus de trois cents nouvelles, six romans, des récits de voyage, des chroniques. Puis le grand plongeon : la maladie, la folie, la mort. À peine 43 ans et déjà fini. Tout cela en une poignée d’années, comme s’il savait d’avance qu’il n’aurait pas le temps. Et pourtant, ce temps, il l’a pris. Pour écrire, surtout, avec une précision chirurgicale et un regard tranchant. Réaliste, fantastique, cruel ou mélancolique, Maupassant a tout observé, tout disséqué, sans détour ni pathos. Un monde en ruines, des hommes médiocres, des âmes broyées, quelques lâchetés ordinaires, parfois un sursaut de grandeur, mais rarement. On l’a dit cynique, il l’était. Mais lucide, surtout. I. Normandie, mer et guerre Il naît le 5 août 1850, dans un château normand, ce qui sonne bien mais ne pèse pas lourd quand on a plus de noblesse que d’argent. Un père volage, une mère lettrée, Laure Le Poittevin, qui lui transmettra Flaubert comme on confie une boussole. Après la séparation des parents, il grandit entre Étretat et Dieppe, paysages qui deviendront ses décors de prédilection : les falaises abruptes, la mer imprévisible, l’ombre du large. Il y a pire pour nourrir l’imaginaire. Puis vient la guerre. 1870, les Prussiens écrasent la France. Maupassant, affecté à l’intendance, ne combat pas, mais il voit. Il voit la peur, la lâcheté, la mort bête et absurde. Il en fera des nouvelles, quelques-unes inoubliables : Boule de Suif, Deux amis, Mademoiselle Fifi. Les hommes y sont faibles, la guerre y est stupide. Et après tout, pourquoi la raconter autrement ? II. Le disciple de Flaubert Après la guerre, direction Paris. Il a vingt ans, pas d’argent, mais une ligne directe vers Gustave Flaubert, vieil ami de sa mère et mentor idéal. Et quel mentor. Flaubert le forme, lui interdit de publier trop tôt, le fait écrire, réécrire, gommer, tailler. Pas de gras, pas d’effets, pas d’adjectifs en trop. Sept ans de ce régime. Maupassant apprend la patience, puis, en 1880, il frappe fort : Boule de Suif. Un chef-d’œuvre en une trentaine de pages. Succès immédiat. Zola exulte, les éditeurs rappliquent, le public suit. Maupassant est lancé. III. Dix ans de vitesse pure (1880-1890) Dix ans, pas un de plus. Dix ans à écrire comme si chaque jour était compté. Trois cents nouvelles, six romans, des récits de voyage. Une frénésie. Il impose son style : sec, direct, acéré. Il raconte la bêtise, la mesquinerie, les petites lâchetés de tous les jours. Il observe sans juger. Pas besoin. Les personnages se chargent de leur propre chute. Les nouvelles s’accumulent, percutantes comme des éclats de verre : La Parure, portrait cruel de la vanité sociale. Le Papa de Simon, l’enfance malmenée. Le Rosier de Madame Husson, l’hypocrisie provinciale. Les romans suivent, plus longs, plus sombres : Une vie (1883), la lente désillusion d’une femme. Bel-Ami (1885), le cynisme triomphant du médiocre. Pierre et Jean (1888), une mécanique d’horloger sur la jalousie et l’identité. Et puis, vers 1885, quelque chose se dérègle. Le fantastique s’infiltre. Le Horla (1887), Qui sait ? (1890), La Peur (1884). Des présences invisibles, des esprits qui vacillent. C’est que l’auteur lui-même commence à sombrer. IV. Déchéance et hallucinations Depuis des années, un mal le ronge. La syphilis, cadeau oublié d’une jeunesse trop ardente. Il n’en parle pas. Il écrit, encore, il fuit. Il fuit dans le voyage, les bateaux, l’Algérie, l’Italie. Il fuit dans le sexe, les maisons closes, la luxure méthodique. Il fuit dans l’opium, l’absinthe, les paradis chimiques. Mais le mal est là. Il voit des ombres, entend des voix, sent des présences. Il n’a plus besoin d’écrire du fantastique, il le vit. En 1891, c’est fini. Il délire, tente de se trancher la gorge, ne reconnaît plus personne. Interné à la clinique du docteur Blanche, à Passy. Comme son narrateur du Horla. Le 6 juillet 1893, il meurt. 43 ans. V. Et après ? Après, il reste tout. Un auteur immense, une langue d’une clarté implacable, une modernité intacte. Son fantastique influencera Lovecraft, Borges, Stephen King. Son réalisme marquera Simenon, Camus, Sartre. On le lit encore, on l’étudie toujours. Il est là, intact. Parce que Maupassant n’a pas enjolivé. Il a juste regardé.|couper{180}
Lectures
Le Horla, ancêtre du Mythe de Cthulhu ?
croquis de H. P. Lovecraft En suivant les divers épisodes de la vie de Lovecraft à N.Y, et en replongeant inopinément dans le Horla de Maupassant je me suis mis à imaginer des liens et pourquoi pas une filiation profonde, qui pourtant est rarement soulignée. Lovecraft et Maupassant partagent un même vertige, une même fascination pour l’invisible qui ronge le réel, pour l’effondrement de la raison devant l’indicible**. 1. Le Horla, ancêtre du Mythe de Cthulhu ? Dans Le Horla (1887), le narrateur est envahi par une présence invisible, qui le domine, l’affaiblit, le parasite. Cet être, venu d’ailleurs, semble appartenir à une race supérieure, imperceptible pour l’homme. Or, cette idée est au cœur du Mythe de Cthulhu. Chez Lovecraft, les Grands Anciens sont des entités cosmiques qui existent hors de notre perception immédiate. Ils ne sont ni dieux ni démons, mais des forces naturelles d’une autre dimension, que nos sens limités ne peuvent appréhender. Dans Le Horla, Maupassant écrit : "L’Homme est un être minuscule, limité, enfermé dans la prison de ses sens." Cette phrase aurait pu être écrite par Lovecraft lui-même, qui développe la même idée : notre réalité est une illusion fragile, et derrière, grouille un univers que nous ne pourrions supporter. 2. La folie comme révélation ultime Maupassant et Lovecraft partagent une même mécanique narrative : le basculement progressif vers la folie. Dans Le Horla, le journal du narrateur devient de plus en plus fragmenté, il tente désespérément de donner du sens à ce qui lui arrive, mais sa raison se disloque sous l’influence du surnaturel. Chez Lovecraft, ce schéma est omniprésent : dans L’Appel de Cthulhu, Dagon ou Le Cauchemar d’Innsmouth, les personnages comprennent progressivement qu’ils ne contrôlent rien, que des forces cosmiques dirigent leur destin. Chez l’un comme chez l’autre, comprendre le monde tel qu’il est réellement mène à la démence. 3. Une horreur de l’invisible, du diffus, de l’indicible Maupassant et Lovecraft évitent le monstre grotesque et tangible du fantastique traditionnel. Leur horreur est abstraite, impalpable. Le Horla ne se montre jamais. Il est là, mais sans corps, sans visage, sans preuve matérielle. Il se devine, se ressent, il agit sans être vu. Lovecraft développe exactement cette idée avec ses créatures non-euclidiennes, aux formes impossibles, que l’œil humain ne peut saisir pleinement. C’est une terreur qui naît du manque, de l’absence, de l’idée que nous ne percevons qu’une infime part du réel. 4. Maupassant, pionnier du "cosmicisme" ? Lovecraft théorise ce qu’il appelle le "cosmicisme", une vision du monde où l’humanité est insignifiante face à l’immensité du cosmos. Or, cette angoisse existe déjà chez Maupassant. Dans Le Horla, le narrateur découvre un article de journal qui mentionne une race invisible, dominant peut-être déjà l’humanité. On retrouve ici un thème fondamental de Lovecraft : L’homme n’est qu’une poussière, et l’univers abrite des êtres si vastes, si puissants, qu’ils ne prennent même pas la peine de le remarquer. Conclusion : une filiation souterraine mais évidente Lovecraft ne semble pas citer Maupassant comme une influence directe, mais les parallèles entre leurs œuvres sont frappants. Le Horla préfigure totalement la peur lovecraftienne de l’invisible, du "monde derrière le monde", de l’effondrement de la raison devant l’inconcevable. Maupassant a intériorisé l’horreur, Lovecraft l’a cosmologisée. Mais au fond, ils racontent la même chose : 👉 L’univers n’est pas ce que nous croyons, et il vaut peut-être mieux ne jamais le comprendre. Pour Lovecraft, l’événement déclencheur n’est pas une guerre subie, mais une crise existentielle profonde liée à la Première Guerre mondiale et au déclin de la civilisation occidentale qu’il perçoit comme inéluctable. 1. La Première Guerre mondiale : un choc à distance Contrairement à Maupassant, qui vit directement la guerre de 1870, Lovecraft ne combat pas en 1914 – il est jugé trop fragile physiquement et mentalement. Mais il vit cette guerre comme un traumatisme intellectuel et philosophique. Il voit le monde ancien s’effondrer sous les bombes, les valeurs victoriennes disparaître, et surtout, la science produire une horreur sans précédent : Des millions de morts à cause de la technologie moderne. Des armes chimiques qui transforment la nature en cauchemar. Une guerre absurde, mécanique, froide, qui révèle l’indifférence totale de l’univers face à l’humanité. Lovecraft n’écrit pas sur la guerre, mais sa vision du monde s’en trouve profondément modifiée : l’homme n’est plus au centre du monde, il n’est qu’un insecte piégé dans un cosmos indifférent. 2. La découverte de l’astronomie : un vertige cosmique Autre événement clé : la prise de conscience de l’immensité de l’univers. Lovecraft est passionné par l’astronomie et il comprend, avec effroi, que l’humanité est un point minuscule dans un espace infini, sans but ni sens. Il le dit lui-même : "L’univers est infiniment plus vaste, plus ancien et plus étranger que ce que nous pouvons concevoir." Cette idée, qui surgit au tournant du XXe siècle avec la relativité et la physique quantique, détruit les dernières illusions sur une humanité centrale et protégée. 3. L’effondrement personnel : la crise de 1908 Mais s’il fallait un événement intime, ce serait l’année 1908, où Lovecraft s’effondre psychiquement. À 18 ans, il échoue à entrer à l’université de Brown. Il s’enferme chez lui, sombre dans une réclusion totale, vit la nuit, dort le jour. Il traverse une profonde crise dépressive, nourrie par un sentiment d’infériorité écrasant et une peur maladive du monde extérieur. C’est pendant ces années de solitude qu’il commence à développer sa vision du monde : un univers où l’homme est insignifiant, où la raison n’est qu’un fragile vernis. Comparaison avec Maupassant : une terreur intime qui devient universelle Maupassant découvre l’horreur dans la guerre, dans l’absurde des combats, dans l’effondrement des illusions bourgeoises. Lovecraft découvre l’horreur dans l’immensité du cosmos, dans l’insignifiance de l’homme, dans la folie d’un univers sans ordre ni justice. Mais tous deux en tirent une même leçon : 👉 L’homme croit comprendre le monde. Il se trompe. Et lorsqu’il entrevoit la vérité, il sombre dans la folie.|couper{180}
Lectures
Le Horla : hantise intérieure, folie du dehors
Le Horla connaît deux versions : Première version (1886) : Il s’agit d’une nouvelle plus courte, publiée dans le journal Gil Blas le 26 octobre 1886. Le récit est à la troisième personne et adopte une structure plus classique. Deuxième version (1887) : C’est la version définitive, entièrement remaniée et développée sous forme de journal intime. Elle paraît d’abord dans Le Gil Blas le 9 mai 1887, puis est publiée en volume en octobre 1887 chez Paul Ollendorff. C’est donc cette seconde version qui est la plus connue aujourd’hui et qui marque l’apogée du fantastique maupassantien.|couper{180}
Lectures
le rituel ou la mémoire en boucle
"On pensait que Staline n'avait laissé derrière lui aucun écrit. Soixante-huit ans après sa mort, une trouvaille exceptionnelle a eu lieu grâce à un ouvrier russe, Stepan Gernelov, dans le plancher de la datcha de Kountsevo, à Moscou, où le dictateur avait rendu son dernier soupir le 5 mars 1953. C'est probablement lorsqu'il fit ajouter en 1943 un étage supplémentaire que le dictateur eut l'idée de ménager une cachette pour un texte à venir. De nouveaux travaux dans la datcha, qui menace de s'effondrer, ont mis au jour ce texte demeuré enfoui pendant de nombreuses décennies. Celui-ci consiste en deux cahiers rédigés d'une écriture grossière et que l'ouvrier vient de proposer à une grande maison d'édition américaine, après avoir quitté précipitamment le territoire. D'après l'éditeur, qui tient pour l'heure à conserver l'anonymat, Staline avoue dès les premières pages avoir fait lentement empoisonner Lénine après que celui-ci avait rédigé son testament où il faisait de lui son héritier. Les drogues toxiques auraient fini par déclencher les attaques cérébrales qui furent fatales au premier maître bolchevique du Kremlin. « Il donne même le nom, précise l'éditeur, de la désomorphine importée d'Allemagne. » extrait d'un article du Point Par François-Guillaume Lorrain Publié le 31/03/2021 "Les mémoires secrets de Staline découverts dans sa datcha"|couper{180}
Lectures
Le vertige paisible de Laura Vazquez
Ce que doit ressentir une araignée qui fait bien son travail... La phrase me hante depuis que je l'ai entendue sur ce plateau de télévision. Laura Vazquez est là, presque transparente dans son pull gris, assise sur le fauteuil de La Grande Librairie, et sa voix douce laisse échapper ces mots qui, depuis, ne me quittent plus. L'araignée et son travail. La toile et le silence. L'effacement et la précision. Et je reste hypnotisé par les mouvements du livre qu'elle tient comme au bord de la mer les voiliers prennent peu à peu le vent du large, sous nos yeux elle disparaît et quelque chose d'incroyable appararaît. Je résiste. Je l'observe qui lit un extrait de son "Livre du large et du long". Ses mains tremblent légèrement, mais sa voix est ferme : "Je vous raconterai ce que j'ai vu et deviné du monde et des signaux qui nous entourent". Le plateau de télévision disparaît de plus belle. Ne reste que cette voix, ce fil tendu entre elle et nous, cette présence paradoxale qui s'efface pour mieux laisser surgir les mots. L'enfant de Perpignan Comment dire Laura Vazquez ? Par où commencer ? Peut-être par cette grand-mère analphabète qui l'a élevée, cette femme qui ne savait ni lire ni écrire mais qui lui a transmis quelque chose de plus précieux encore : une façon d'être au monde, une attention aux signes, aux présages, aux "signaux qui nous entourent". Je pense à cette phrase du livre : "Ma tête était super pauvre. Je voulais mesurer l'esprit de la personne humaine". N'est-ce pas déjà, dans ces mots si simples, toute la trajectoire d'une vie ? L'exil espagnol Six années en Espagne, entre Barcelone et Séville. Six années à chanter avant d'écrire. Je l'imagine dans ces rues anciennes, absorbant les rythmes, les sons, les silences. Préparant sans le savoir ce qui allait venir. "J'avance comme un rubis", écrit-elle. Et c'est exactement ça : une progression lente, précieuse, qui transforme la matière brute de l'existence en quelque chose qui scintille. Marseille, le port d'attache Et puis Marseille. La ville comme un nouveau départ, comme un laboratoire à ciel ouvert. La création de la revue Muscle avec Arno Calleja. Les premiers textes publiés. Cette façon unique de faire trembler le réel par petites touches, de créer des secousses dans la langue elle-même. "Je serai obscure pour que vous ne me compreniez pas / Je serai obscure pour que vous compreniez" Ces vers résument peut-être toute sa démarche : non pas chercher l'hermétisme pour lui-même, mais accepter l'opacité du monde, sa résistance, et en faire une force. Le tissage patient "Quand j'écris, ce n'est pas la personne limitée habituelle, avec mes goûts, mes envies, mes répulsions. Je tente de me débarrasser de toute forme de volonté." Voilà l'araignée à l'œuvre. Voilà le secret de cette écriture qui ne cesse de me bouleverser. Laura Vazquez disparaît pour laisser place à quelque chose de plus grand qu'elle. Son dernier livre en est la preuve éclatante. Cinq chants qui explorent le corps, l'esprit, le monde, dans un mouvement continu qui nous emporte. "Tout dit son propre nom", écrit-elle. Et sous sa plume, effectivement, chaque chose retrouve sa vérité première. Un insecte n'est plus seulement un insecte, une goutte d'eau contient tout l'océan, une miette de pain devient un monde en soi. La reconnaissance, enfin Le Prix Goncourt de la poésie 2023 est venu couronner ce travail obstiné, patient, nécessaire. Mais ce qui me frappe, c'est que cette reconnaissance ne change rien à sa posture. Elle reste cette présence effacée, cette voix qui murmure plutôt qu'elle ne crie, cette araignée qui fait bien son travail. Dans "Le livre du large et du long", elle écrit : "Je vous raconterai ce que j'ai vu". Et c'est exactement ce qu'elle fait, avec une précision clinique et une tendresse infinie. Elle nous fait redécouvrir le monde, nous fait sentir le vertige d'être vivant, nous rappelle que la poésie n'est pas un exercice de style mais une façon d'habiter le réel. Je repense à cette jeune femme sur le plateau de télévision, à sa façon de disparaître presque physiquement pendant qu'elle lisait. Je repense à l'araignée et son travail. Et je me dis que nous avons la chance immense d'avoir parmi nous une écrivaine qui comprend que la plus grande force réside parfois dans l'effacement, que la plus grande présence peut naître de l'absence. Laura Vazquez tisse ses textes comme l'araignée sa toile, avec cette même précision mathématique, cette même nécessité vitale. Et nous, lecteurs, nous nous prenons dans ces fils invisibles qui nous transforment, presque à notre insu. C'est rare, c'est précieux, c'est nécessaire. C'est devenu plus clair désormais c'est ce que doit ressentir une araignée qui fait bien son travail, rien de plus, rien de moins. Voilà l'exact lieu où l'on peut aimer naturellement et les gens et Laura Vazquez" Site de l'auteur|couper{180}
Lectures
Truman Capote : écrire contre l’abandon
J’ai longtemps cherché ce qui me fascinait tant chez Truman Capote. Son audace, sans doute. Sa manière de marcher sur la corde raide entre fiction et réalité. Son œil d’orfèvre, capable de sculpter un détail et d’y enfermer une époque. Mais il y a autre chose. Quelque chose d’invisible et de brûlant. J’imagine l’enfant qu’il a été. Un gamin fluet, oublié dans une maison du Sud, sa mère déjà ailleurs, son père inexistant. À cinq ans, il est seul. À dix ans, il écrit. L’équation est là : quand personne ne vous attend, vous peuplez le vide avec des histoires. Capote l’a compris tôt. Il a fait de la littérature une terre d’asile, une arme et un piège. On dit souvent que Capote a inventé le "roman non fictionnel". C’est une manière élégante de dire qu’il a trahi tous les genres pour en créer un nouveau. De sang-froid en est la preuve la plus éclatante. Cinq ans d’enquête, une immersion totale dans l’Amérique rurale, et ce livre qui n’est ni un reportage, ni un roman, mais quelque chose d’autre, d’inédit. Il ne raconte pas seulement un fait divers – il habite les tueurs, il s’infiltre dans leurs silences, il dissèque leurs rêves brisés. Il se glisse dans leur peau jusqu’à l’épuisement. Jusqu’à l’obsession. Cette méthode, il ne l’a pas inventée avec De sang-froid. Depuis toujours, Capote observe, capte les gestes et les voix, note mentalement les expressions. Holly Golightly, l’héroïne insaisissable de Petit déjeuner chez Tiffany, n’est pas née de son imagination : elle est un collage, un assemblage subtil de figures croisées. Il prend le réel et le transfigure. Il l’épuise et le sublime à la fois. La douleur n’est jamais loin. Capote écrit comme on exhume. Son œuvre entière est hantée par la perte. La mère absente, l’enfance en pointillés, l’errance entre deux mondes – trop efféminé pour le Sud, trop marginal pour l’élite new-yorkaise. Son élégance, son humour caustique, son goût du scandale masquent mal une faille béante. Écrire devient alors une revanche. Il ne cherche pas seulement à raconter : il veut marquer l’époque, modeler la littérature à sa manière. Chaque mot est pesé, limé, poli. Il traque la phrase parfaite, celle qui coupera comme une lame. Son style, c’est un scalpel. Une précision chirurgicale qui n’empêche ni la poésie, ni la cruauté. Mais que reste-t-il quand on a tout donné à l’écriture ? Capote, à force d’excès et de provocations, s’abîme dans l’alcool et les mondanités. Il meurt à cinquante-neuf ans, rongé par ses propres obsessions. Il laisse derrière lui une œuvre aussi fragmentée que son existence. Et pourtant, son ombre plane toujours. On le retrouve dans chaque écrivain qui flirte avec le réel, dans chaque texte qui brouille les frontières entre reportage et fiction. Il a ouvert un passage. Il a prouvé que la littérature pouvait tout oser, tout réinventer. J’aime Capote pour ça. Pour cette audace intacte, pour cette manière de plonger dans le réel jusqu’à s’y perdre. Et peut-être aussi pour cette douleur sous-jacente, ce besoin d’écrire contre l’abandon. Comme si chaque livre pouvait être une maison où il serait enfin attendu.|couper{180}
Lectures
"Less is more" chronique d’une révolution silencieuse
Dan Flavin, épiphanies Introduction Le minimalisme. On en parle comme d'une évidence, d'un mouvement qui aurait traversé les années 80, qui aurait marqué toute une génération d'écrivains. Mais qu'est-ce que ça veut dire, au juste, minimalisme ? Les mots sont là, sur la page, réduits à leur plus simple expression. Comme si on voulait dire le monde avec moins, toujours moins. Comme si la phrase elle-même devait se dépouiller, se débarrasser du superflu, aller chercher l'os sous la chair des mots. Je me souviens de ces années Minuit, de ces textes qu'on disait impassibles. De cette façon qu'on avait eu de découper le réel en tranches fines, en morceaux serrés. De cette obsession du détail, du fragment. De cette manière de faire entrer le quotidien dans la littérature, mais par la petite porte, celle des arrière-cours, des parkings déserts, des zones commerciales abandonnées. Alors voilà, il faut y revenir. Comprendre ce que c'était, ce minimalisme. Pas comme un mouvement figé dans le temps, mais comme une façon de regarder le monde. Une façon de dire ce qui nous entoure avec moins de mots, mais des mots plus denses, plus lourds de sens. Et peut-être qu'au fond, le minimalisme n'a jamais existé. Peut-être qu'il n'y avait que des écrivains, chacun dans sa solitude, cherchant à dire le monde avec les moyens du bord. Mais ça, c'est une autre histoire. L'excès. On en crève, pas vrai ? Les écrans qui débordent d'images, les réseaux qui vomissent leurs flux continus, la pub qui gueule ses slogans. Et nous, au milieu de tout ça, qui cherchons encore à écrire. Le minimalisme, c'est peut-être d'abord ça : une résistance. Une façon de dire non à la surenchère. De revenir à l'os des choses, à leur structure première. Comme Beckett l'avait fait, comme d'autres après lui ont tenté. Dans les années 80, d'aucuns ont voulu en faire une école. Les "minimalistes de Minuit" qu'ils disaient. Mais c'était plus compliqué que ça. Plus profond aussi. Il y avait cette façon de regarder le quotidien, de le décortiquer jusqu'à ce qu'il devienne étrange. De prendre les lieux les plus banals - un arrêt de bus, un lampadaire, une poubelle en grillage vert - et d'en faire surgir quelque chose. Ce n'était pas une question de faire court, non. Plutôt une manière d'être au plus près du réel. De le nommer avec une précision chirurgicale. De faire confiance aux mots nus, sans artifice3. Comme si le trop-plein du monde ne pouvait se dire que par soustraction. Et aujourd'hui ? Le minimalisme reste peut-être notre seule chance de dire ce monde qui déborde. De le tenir à distance. De le comprendre, aussi, en le réduisant à ses lignes de force. Pas pour faire joli, non. Pour tenir debout, dans le vacarme. Les Origines du minimalisme Il y a ces moments, dans l'histoire de l'art, où tout bascule. Comme si le monde d'avant ne suffisait plus. Comme si les formes anciennes s'épuisaient d'elles-mêmes. 1915. La guerre déchire l'Europe et Malevitch pose un carré noir sur un fond blanc. Un geste simple, radical. Une bombe silencieuse dans l'histoire de la peinture. Plus besoin de représenter le monde, dit-il. Plus besoin de s'accrocher au réel. Juste des formes pures, des sensations brutes. Et puis il y a ces Hollandais, Mondrian et les autres, qui lancent leur revue De Stijl en 1917. Ils cherchent autre chose : l'harmonie universelle, disent-ils. Plus de baroque, plus d'ornements. Juste des lignes droites, des angles droits, des couleurs primaires. Comme si la peinture devait se réinventer à partir de rien. Entre les deux, des échos, des résonances. Le même désir de nettoyer la toile de tout ce qui n'est pas essentiel. Mondrian qui traque l'abstraction comme on traque une vérité. Malevitch qui pousse son art jusqu'au blanc absolu. Et le Bauhaus, qui arrive après, comme une synthèse. Qui prend ces recherches et les transforme en quelque chose de plus large : un art total, qui va de l'architecture au design, de la peinture à la vie quotidienne. C'était ça, les origines du minimalisme : pas juste un style, mais une façon de repenser le monde. De le réduire à ses lignes de force. De chercher l'essentiel sous le chaos des apparences. Le minimalisme en peinture (années 60) Frank Stella et les "Blacks paintings" Un gamin de vingt-deux ans débarque à New York avec ses pinceaux de peintre en bâtiment. Il s'appelle Frank Stella. Et il va tout chambouler, tout remettre à plat. Les Black Paintings. Des bandes noires, méthodiques, obsessionnelles. Comme si la peinture devait se débarrasser de tout le reste. Plus d'émotion, plus de mystère. Juste le geste, répété, obstiné. Le pinceau qui trace son chemin sur la toile. Carl Andre, il avait tout compris. Il disait : "L'art exclut le superflu". Les bandes de Stella, c'était ça : des chemins qui ne mènent qu'à la peinture. Pas ailleurs. Pas dans les grands discours sur l'art. Juste là, dans la matière même. "Ce que vous voyez est ce que vous voyez". C'est devenu son mantra. Comme une gifle aux beaux parleurs, aux théoriciens de l'art. La peinture réduite à sa plus simple expression. À sa vérité nue. Et puis il y a eu "Die Fahne Hoch !", "The Marriage of Reason and Squalor II". Des titres qui claquent comme des portes qu'on ferme. Des toiles qui vous regardent en face, sans concession. Sans échappatoire. C'était ça, la révolution Stella. Pas besoin d'aller chercher midi à quatorze heures. La peinture suffisait. La peinture toute seule, dans sa brutalité première. Donald Judd Donald Judd. Un nom qui claque comme une porte d'atelier. 1928-1994. Missouri. New York. Marfa. Trois points sur la carte d'une vie qui a changé notre façon de voir. Faut imaginer ce type-là, d'abord critique d'art, qui écrit sur les autres. Qui regarde. Qui observe. Et puis un jour, la rupture. Plus possible de continuer comme avant. La peinture ? Non. La sculpture traditionnelle ? Non plus. Il lui faut autre chose. Alors il invente ces objets. Des boîtes, des cubes, des structures géométriques qui ne racontent rien, qui ne représentent rien. Juste là, dans l'espace, comme des questions posées au regard. Des trucs en aluminium, en acier, en Plexiglas. Des matériaux industriels, sans âme dit-on. Mais c'est tout le contraire. Et puis il y a ce bâtiment, 101 Spring Street. Une vieille bâtisse en fonte à SoHo qu'il achète en 68 pour presque rien. Cinq étages qu'il va transformer, étage par étage, année après année. Comme un manifeste en trois dimensions. Comme si l'art devait sortir des musées, envahir la vie. "Ce que vous voyez est ce que vous voyez." Il répétait ça. Pas de mystère. Pas de symbolisme. Juste la présence brute des choses. Ses objets posés à même le sol, sans socle, sans piédestal. Faut les regarder en face. Pas le choix. Ils sont là, ils existent, ils occupent le même espace que nous. C'était ça, Judd. Une façon de nettoyer le regard. De nous forcer à voir vraiment. Pas ce qu'on croit voir. Pas ce qu'on voudrait voir. Juste ce qui est là, dans sa présence têtue, irréductible. Dan Flavin Dan Flavin. Un type qui a commencé par vouloir être prêtre, puis météorologue dans l'armée. Et qui finit par bricoler avec des tubes fluorescents. Comme quoi les chemins de l'art sont pas toujours ceux qu'on croit. Faut se remettre dans le contexte. New York, début des années 60. Il bosse comme gardien au MoMA, fait l'ascensoriste. C'est là qu'il croise Sol LeWitt, Lucy Lippard. Des rencontres qui changent une vie. Et puis un jour de 1961, il se met à bidouiller avec des néons. Des trucs industriels, des tubes qu'on trouve dans n'importe quel magasin de bricolage. Rien de noble là-dedans. Rien de précieux. Juste de la lumière crue, violente, qui transforme l'espace. Ce qu'il fait, c'est pas de la sculpture, pas de la peinture non plus. C'est autre chose. La lumière qui mange les coins des pièces, qui redessine l'architecture. Qui vous force à voir autrement. Pas besoin d'explications. Pas besoin de discours. Juste être là, dans cette lumière qui n'est plus tout à fait de la lumière. Il disait qu'il était "maximaliste". Ça fait sourire. Lui qui travaillait avec presque rien. Des tubes standard, des couleurs standard. Mais c'est ça qui est fort : prendre le plus banal, le plus industriel, et en faire quelque chose qui vous prend aux tripes. Quand il est mort en 96, il avait changé notre façon de voir. Pas avec des grands gestes. Pas avec des théories. Juste avec ces tubes de lumière qui continuent de nous regarder en face. La forme Pure Alors voilà, on en arrive à ça : la forme pure. Comme si tous ces types-là, Stella, Judd, Flavin, ils cherchaient la même chose. Comme s'ils voulaient nettoyer l'art de tout ce qui n'était pas nécessaire. La forme pure, c'est pas un truc abstrait, pas une théorie. C'est ce qui reste quand t'as tout enlevé. Quand t'as gratté jusqu'à l'os. Les bandes noires de Stella, les boîtes de Judd, les tubes fluorescents de Flavin. Trois façons différentes de dire la même chose : "Ce que tu vois est ce que tu vois". Faut imaginer ces gars-là, dans le New York des années 60, qui débarquent avec leurs matériaux de bricolage. De la peinture industrielle, des néons de supermarché, des plaques de métal. Pas du matériel noble. Pas des trucs d'artiste. Des matériaux de tous les jours qu'ils transforment en quelque chose d'autre. C'était ça, la recherche de la forme pure. Pas un truc intellectuel. Plutôt une façon de regarder le monde en face. De le réduire à ses lignes de force. De dire : voilà, c'est tout ce qu'il nous faut. Le reste, c'est du baratin. Faut voir comment ça s'est propagé, cette histoire du minimalisme. Comme une tache d'huile. Comme si d'un coup, tout le monde sentait le besoin de faire le ménage. Le Corbusier, Mies van der Rohe. Des types qui ont compris que l'architecture, c'était pas une question de décoration. "Less is more", qu'il disait, Mies. Une machine à habiter, qu'il voulait, Le Corbusier. Faut imaginer le choc. Des bâtiments qui assumaient leur structure. Qui montraient leurs os. Plus besoin de cacher les poutres sous des moulures en plâtre. Et puis la musique. Philip Glass, Steve Reich. Des gars qui ont tout nettoyé aussi. Plus de grand orchestre romantique. Plus de mélodie qui part dans tous les sens. Juste des motifs qui se répètent, qui se transforment petit à petit. Comme une respiration. Comme une machine qui tourne. Glass avec ses orgues, ses saxophones. Reich avec ses percussions, ses marimbas. Raymond Carver en littérature. Ses nouvelles comme des coups de poing. Pas un mot de trop. Pas une phrase qui dépasse. Des vies ordinaires racontées avec une précision chirurgicale. Comme si les mots eux aussi devaient être réduits à leur plus simple expression. Et Dieter Rams dans le design. Dix principes pour dire ce que devait être un objet. Le bon design est aussi peu design que possible, qu'il disait. Faut voir ses radios Braun. Des trucs qui ont l'air de rien. Qui font exactement ce qu'ils doivent faire. Rien de plus. C'était ça, l'extension du minimalisme. Pas une mode. Pas un style. Une façon de penser le monde. De le nettoyer de tout ce qui n'était pas nécessaire. Comme si on avait besoin de ça. De revenir à l'essentiel. Influence contemporaine Et maintenant, 2025. Le minimalisme, il a muté. S'est transformé. Comme si le numérique l'avait avalé pour le recracher autrement. Faut voir ces interfaces qu'ils nous pondent. Plus un pixel qui dépasse. Plus une animation gratuite. Tout est pensé, calculé, optimisé. Les espaces blancs sont devenus des zones stratégiques. Le vide qui fait sens. Même les transitions sont épurées, comme si le mouvement lui-même devait se faire discret. Dans la vie de tous les jours, c'est pareil. Les gens se mettent à faire le tri. Pas juste dans leurs placards. Dans leurs têtes aussi. "Less is more", qu'ils répètent. Comme un mantra. Comme une bouée de sauvetage dans ce monde qui déborde. Ils cherchent à se débarrasser de la surcharge d'informations, du trop-plein de notifications, de cette accumulation qui étouffe. Et l'art contemporain, il suit le mouvement. Plus besoin de remplir l'espace. Plus besoin de crier pour se faire entendre. Les artistes travaillent sur l'essentiel. Sur ce qui reste quand on a tout enlevé. C'est plus une question de style, c'est devenu une nécessité. Une façon de résister au chaos. Même les grandes marques s'y sont mises. Apple en tête, comme toujours. Des produits nets, propres, sans fioriture. Une esthétique qui s'est répandue partout. Dans nos maisons, nos bureaux, nos écrans. Comme si le monde entier avait besoin de faire le ménage. C'est ça, le minimalisme d'aujourd'hui. Plus une mode, plus un style. Une façon de survivre dans le bruit. De garder la tête hors de l'eau. De respirer encore un peu. Pour conclure Voilà, on arrive au bout de cette histoire du minimalisme. Une histoire qui continue de nous travailler, de nous questionner. Parce que c'est ça qui est fort : plus on avance dans le temps, plus on a besoin de faire le vide. De nettoyer. De revenir à l'essentiel. Comme si le monde d'aujourd'hui, avec ses écrans qui débordent, ses notifications qui n'en finissent pas, nous poussait à chercher le silence. L'espace blanc. La respiration. Le minimalisme, il est partout maintenant. Dans nos téléphones qui se font de plus en plus fins. Dans nos maisons qui se vident des objets inutiles. Dans notre façon de penser le monde. Plus une mode, plus un style. Une nécessité. Stella, Judd, Flavin, ils avaient vu juste. L'art, il doit nous aider à voir. À voir vraiment. Pas à nous noyer sous les symboles, les métaphores, les discours. Juste nous mettre face à ce qui est là. Face à nous-mêmes aussi, peut-être. Alors oui, le minimalisme continue. Il mute, il se transforme. Mais au fond, c'est toujours la même chose : cette recherche de l'essentiel. Cette façon de dire que moins, c'est plus. Que le vide peut être plein. Que le silence peut être une réponse. Et ça, c'est pas près de finir.|couper{180}