illustration des montagnes de la Folie par e-Will, deviant art.
illustration des montagnes de la Folie par e-Will, deviant art.

En 1924, deux hommes que tout sépare se retrouvent à New York. Nicholas Roerich, artiste russe né en 1874, vient d’ouvrir son musée et le Master Institute of United Arts. Howard Phillips Lovecraft, écrivain de Providence né en 1890, arrive dans la ville pour un mariage avec Sonia Greene qui tournera court.

Le parcours de Roerich
Formé aux beaux-arts à Saint-Pétersbourg, Roerich s’est déjà fait un nom comme scénographe pour les Ballets Russes, notamment pour Le Sacre du Printemps de Stravinsky. Après la révolution russe, il émigre aux États-Unis où il fonde en 1921 le Master Institute of United Arts, une institution révolutionnaire qui enseigne simultanément peinture, musique, théâtre et architecture.

Lovecraft à New York
L’écrivain de Providence vit difficilement son exil new-yorkais. Dans une nouvelle intitulée "He", le narrateur confie : "Ma venue à New York était une erreur ; alors que j’y cherchais l’émerveillement poétique et l’inspiration [...] je n’y ai trouvé qu’un sentiment d’horreur et d’oppression qui menaçait de me maîtriser, me paralyser et m’anéantir".

La rencontre par l’art

Lovecraft découvre les œuvres de Roerich au musée situé à l’angle de Riverside Drive et de la 103e rue. Ces visites régulières deviennent pour lui un refuge qu’il qualifie comme l’un de ses "sanctuaires dans la zone infestée".

**L’impact sur l’imaginaire**
Dans une lettre de 1930, Lovecraft écrit : "Roerich est assurément l’une de ces rares âmes fantastiques qui ont entrevu les secrets grotesques et terribles hors de l’espace et du temps". Cette influence culminera dans "Les Montagnes hallucinées" où Roerich est cité six fois.

Une inspiration majeure

Les peintures de Roerich, particulièrement ses paysages himalayens, nourrissent profondément l’imaginaire lovecraftien. L’écrivain est fasciné par :
 Les pierres fantastiques taillées dans les déserts solitaires
 Les sommets déchiquetés qui semblent doués de conscience
 Les curieux édifices cubiques s’agrippant aux pentes abruptes

Dans Les Montagnes De La Folie
Le narrateur note : "Il y avait vraiment quelque chose d’étrangement Roerich-esque dans tout ce continent surnaturel de mystère montagneux". L’influence du peintre se manifeste particulièrement dans les descriptions des cités cyclopéennes et des architectures étranges.

Deux visions du cosmos

Paradoxalement, ces deux créateurs portent des visions opposées du monde. Roerich, mystique et humaniste, voit dans ses paysages une expression de paix et d’unité spirituelle. Lovecraft, lui, y projette ses terreurs cosmiques et son sentiment d’insignifiance de l’humanité face à l’immensité de l’univers.

Rien n’indique que les deux hommes se soient jamais rencontrés. Tandis que Lovecraft quitte New York en 1926 pour retourner à Providence, Roerich entreprend sa grande expédition en Asie centrale qui durera jusqu’en 1928. Leurs chemins se sont croisés uniquement par l’art, créant une des plus fascinantes influences dans l’histoire de la littérature fantastique.