Le rituel, la routine, les gestes à répéter.
Ce qui fait tenir debout.
Ne pas sombrer.
Donner l’impression d’avancer, de creuser quelque chose,
au lieu de tomber,
au lieu de s’effacer.
En même temps sacré.
Un battement, deux mains qui frappent et ne font qu’un seul son.
Soudain, plus de séparation entre le profane et le sacré.
Les renvoyer dos à dos.
Une lutte dont on ne sait jamais si elle finit bien ou mal.
Mais ça recommence tout le temps.
J’étais parti pour parler de Jeanne Dielman.
Et presque aussitôt, il y avait un mur.
Le mur des lamentations ou un autre, peu importe.
La tête qui hoche,
le même balancement répété jusqu’à ne plus savoir pourquoi on le fait.
Et pourtant, ça fait du bien.
La psalmodie est au cœur du rituel.
C’est elle qui ancre.

C’est elle qui enferme.
Un cercle autour de soi pour ne pas oublier qu’on tourne en rond.
Mais on fait semblant de l’oublier.
On ne s’attache qu’à l’idée de périmètre :
agrandir, rétrécir, croire que ça change quelque chose.
L’illusion d’un mouvement.
Je suis resté trois heures devant un film.
En me réveillant, mes yeux étaient collés.
J’ai cru que j’étais devenu aveugle.
Un temps.
J’ai pensé :
Tu veux être aveugle à quoi ?
Qu’est-ce que tu ne veux plus voir ?
Et surtout, quand un sens se ferme,
quel autre prend sa place ?
Le toucher, peut-être.
Les mains qui se frottent,
deux paumes qui se joignent dans un pacte, une affaire conclue.
J’ai aussitôt pensé aux oligarques russes.
Et puis à d’autres.
Les Français, les Américains, les Chinois, les Arabes.
Est-ce que toutes les associations sont des associations de malfaiteurs ?
Peut-être.
Peut-être pas.
C’était une pensée claire mais elle n’éclairait rien.
On reproche à l’extérieur de nous rappeler trop l’intérieur.
J’ai pensé à ça aussi.
Que se passerait-il si j’arrêtais d’opposer les figures,
si je laissais tomber la mécanique du bien et du mal,
si je regardais autrement ?
Mon problème, c’est que j’ai déraillé depuis longtemps hors des rituels.
C’était une explication valable.
Comme celles des experts qui ne veulent rien dire mais donnent le change.
Donc il faudrait revenir au rituel.
Mais aussitôt, la tête hoche devant un mur.
Le crayon griffe une page blanche.
Il faut écrire avant que ça ne s’en aille.
Il faut garder une trace avant que ça ne disparaisse.
Lecture ou écriture, quelle différence.
Une main glisse un papier dans une fente du mur.
On ne sait pas si c’est une prière ou une preuve.
Un bout de papier taché de sang.