Lectures

Dans Lectures, je rassemble des textes qui lisent autant les livres que leurs échos : portraits d’auteurs (Lovecraft, Maupassant, Sebald, Knausgård…), analyses thématiques (mémoire, espaces souterrains, rituel, minimalisme), et ponts entre œuvres et idées (réalisme magique, New Weird, steampunk, théorie de la narration). Plutôt que des critiques formatées, ce sont des notes argumentées : résumés sans divulgâcher, mises en contexte, rapprochements historiques, styles repérés, citations brèves.

contenu de la rubrique Lectures :

Auteurs & œuvres  : dossiers, lectures suivies, cycles (Lovecraft et ses héritages, Dunsany, Sebald, Capote, Faulkner, Knausgård).

Genres & courants : New Weird, réalisme magique, steampunk, autofiction, poésie, essais et sciences humaines.

Théorie & pratique : formes narratives (arc, fragment, monologue), contrat auteur·lecteur, “traduction” d’un style (le “Horla”, le “style Sebald”), liens entre écrire et lire.

Cartes et liens : pistes de lecture, intertextes, rapprochements inattendus (Maupassant ↔ mythe de Cthulhu, archives et « cloud » avant l’informatique, villes réelles et villes imaginaires).

Fil conducteur : comprendre ce que fait un texte — au niveau du rythme, de la voix, des motifs — et où il nous mène. Les billets alternent portraits, fiches analytiques et essais courts, avec un maillage vers les rubriques voisines (fictions, carnets, mythes) pour prolonger la lecture.

Quelques thèmes récurrents :

  • mémoire et traces - espaces/lieux (souterrains, murs, villes)
  • rituels
  • l’étrangeté du quotidien
  • techniques du récit
  • héritages et détours (de Dunsany à Lovecraft, de Perec à Rabelais)
  • poétique de la sincérité et du doute

Objectif : offrir un lieu où la lecture devient laboratoire — pour choisir ses prochains livres, mais surtout pour voir comment ces lectures travaillent l’imaginaire

Lectures

Autour de la chose

Ce texte est sans doute autre chose qu'une chronique littéraire, autre chose qu'un simple compte rendu de lecture. C'est autre chose, mais je ne sais pas vraiment où la ranger. Alors dans la catégorie « lecture » puisqu'il pourrait bien s'agit de ça finalement.|couper{180}

réflexions sur l’art

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Les choses, entre Perec et Rabelais : une quête infinie

travail d'élève Derrière chaque quête d’écriture, il y a une tension : celle entre le manque et le trop-plein, entre ce que nous désirons atteindre et ce que nous sommes capables d’exprimer. Cette tension traverse l’œuvre de Georges Perec, en particulier Les Choses, mais elle s’inscrit aussi dans celle de Rabelais, cet écrivain gigantesque qui ne cesse de rire, de manger, de boire, et de convoiter toujours plus. Pourquoi ces deux auteurs, que tout semble opposer, se rejoignent-ils sur la question des choses ? Parce qu’ils explorent chacun, à leur manière, le lien entre notre rapport aux objets, au langage, et au désir. Dans Les Choses, Perec raconte l’histoire d’un couple, Jérôme et Sylvie, et de leur quête insatiable de confort matériel. Les « choses », dans ce roman, ne sont pas simplement des objets : elles incarnent le désir de posséder, de paraître, et finalement d’être. Mais ce désir ne mène jamais au bonheur ; il engendre une frustration permanente, une fuite en avant où chaque chose convoquée en appelle une autre. Le mot « chose » comme abstraction : Perec choisit ce mot vague pour souligner la généralité du désir : ce n’est pas une lampe, une chaise ou un tableau qu’ils veulent, mais l’idée de la perfection, de la complétude. Une critique de l’accumulation : Les « choses » ne comblent jamais le vide ; elles ne sont que des promesses éphémères, qui se renouvellent sans cesse. Face à l’austérité critique de Perec, Rabelais pourrait sembler l’exact opposé. Chez lui, les « choses » ne manquent pas : elles débordent. Les plats sont trop grands, les banquets infinis, les mots eux-mêmes se multiplient à l’excès. Mais ce trop-plein est aussi une réponse à une quête : celle de la vie, du savoir, et d’un langage libre. L’abondance comme célébration : Rabelais ne critique pas l’accumulation ; il la magnifie, en faisant des « choses » une source de plaisir et de connaissance. Pour Gargantua et Pantagruel, les choses ne sont pas des objets morts ; elles sont vivantes, et elles participent à l’exploration du monde. Perec et Rabelais : une tension entre manque et excès Ce qui relie Perec et Rabelais, c’est leur interrogation commune sur le désir. Mais alors que Perec le situe dans une quête inaboutie, une société d’insatisfaction chronique, Rabelais l’élève au rang de force vitale, une impulsion sans limite qui donne au langage et à la vie toute leur richesse. Chez Perec : le désir piégé. Les choses que l’on désire restent toujours hors de portée ; elles nous échappent, et c’est cette distance qui génère une mélancolie sourde. Chez Rabelais : le désir exubérant. Le désir n’est pas une quête impossible, mais un appel à tout goûter, tout essayer, tout vivre. Les choses sont infinies, et c’est leur infinie variété qui nourrit la joie. François Bon : lire entre les choses C’est en écoutant François Bon que cette réflexion s’est construite. Bon, ce passeur extraordinaire, a su donner vie à l’œuvre de Rabelais, me faisant ressentir un amour pour cet écrivain que je n’ai pourtant que peu lu. Il m’a montré à quel point Rabelais est un auteur de l’excès et du vivant, un écrivain qui, comme Perec, interroge notre rapport aux choses : non pas seulement aux objets, mais à ce qui nous entoure, à ce que nous convoquons pour exister. François Bon évoque souvent comment Rabelais, avec sa langue gargantuesque, fait exploser les limites. Et à travers Perec, c’est une autre forme de langage qui explose : non par le trop-plein, mais par la réduction, par l’abstraction. Deux écrivains qui, dans leur rapport aux choses, tracent une carte du désir humain. Dans ma propre écriture, le mot « chose » surgit souvent. D’abord, je l’ai perçu comme une faiblesse : un mot trop vague, trop facile. Mais à travers cette réflexion, je comprends qu’il est bien plus que cela : un conteneur pour le mystère, une porte vers l’abstraction ou l’exubérance, selon ce que j’y mets. Avec Perec, « chose » devient une manière d’interroger le vide, ce qui manque, ce que je ne nomme pas. Avec Rabelais, « chose » est une manière de célébrer ce qui est, ce qui déborde, ce qui existe dans toute sa variété. Entre le vide de Perec et le trop-plein de Rabelais, un étroit passage pourrait dessiner une nouvelle voie. Les choses que j’écris ne sont ni seulement absentes ni seulement présentes ; elles oscillent entre les deux, à la fois vivantes et insaisissables. Écrire, c’est peut-être cela : convoquer les choses, jouer avec leur absence et leur présence, et, peut-être aussi, à travers elles, toucher quelque chose d’essentiel.|couper{180}

Lectures

je l’envie

« Peut-être tout le mérite de son histoire était-il dans sa manière de la raconter. Il est satisfait. Il l’écrit. Il peut continuer. Je l’envie, et referme son livre aussitôt. Presque jaloux de ne pas atteindre une telle satiété. Un peu comme pour les images de vacances, quand chacun préfère toujours montrer les siennes que s’ennuyer àregarder celles des autres. » J'ai décidé d'arréter d'écrire, Pierre Patrolin, page 36|couper{180}

Lectures

lire de façon non linéaire

Je me souviens de la première fois où j'ai entendu parler de la lecture non linéaire. C'était un jour d'hiver, dans une petite bibliothèque de quartier. Un homme, assis à une table près de la fenêtre, lisait un livre d'une manière qui m'a semblé étrange. Il ne tournait pas les pages dans l'ordre. Une page ici, une autre là. Il s'arrêtait, revenait en arrière, puis avançait de nouveau. Je l'observais, intrigué. Ce n'était pas ainsi que j'avais appris à lire. Mais cet homme semblait en savoir plus que moi. Peut-être qu'il avait découvert quelque chose que je ne comprenais pas encore. En sortant de la bibliothèque ce jour-là, je n'ai pas pu m'empêcher de penser à cette façon de lire. Cela m'a rappelé certaines choses dans ma propre vie. Les événements ne se déroulent jamais vraiment dans un ordre parfait, n'est-ce pas ? On vit un moment, on en oublie un autre, puis quelque chose nous ramène en arrière. On repense à des choses qu'on croyait avoir laissées derrière nous, et parfois on se projette dans l'avenir sans vraiment savoir ce qui nous attend. Tout cela forme un ensemble désordonné, mais c'est ainsi que la vie fonctionne. La lecture non linéaire est un peu comme cela. Elle reflète la manière dont nous vivons et pensons réellement. Contrairement à la lecture traditionnelle — où l'on suit une intrigue bien définie du début à la fin — la lecture non linéaire permet au lecteur de naviguer dans le texte comme bon lui semble. On peut commencer au milieu d'un livre, puis revenir au début pour comprendre ce qu'on a manqué. Ou bien on peut sauter directement à la fin pour voir comment tout se termine avant de plonger dans les détails. Cela me fait penser aux histoires que j'ai entendues dans ma vie. Des histoires racontées par des amis autour d'une table, où chacun ajoute sa propre version des faits, parfois dans le désordre. On commence par l'anecdote la plus marquante, puis on revient en arrière pour expliquer comment tout cela a commencé. C'est une manière plus organique de raconter et de comprendre les choses. Certaines œuvres littéraires se prêtent particulièrement bien à cette approche fragmentée. Prenons par exemple *Marelle* de Julio Cortázar. Ce roman est conçu pour être lu dans n'importe quel ordre : vous pouvez suivre l'ordre traditionnel des chapitres ou sauter d'un chapitre à l'autre selon les indications données par l'auteur ou selon votre propre intuition. Chaque fragment du texte possède une autonomie qui permet au lecteur de reconstruire le récit comme il le souhaite. C'est là que réside un des grands avantages de la lecture non linéaire : elle permet au lecteur d'explorer les thèmes et les idées du texte à son propre rythme et selon ses propres priorités. Vous pouvez choisir de vous concentrer sur certains aspects du récit qui vous parlent davantage, ou bien revenir plusieurs fois sur des passages qui vous intriguent sans être contraint par une progression linéaire imposée. Dans cette approche, chaque fragment devient une sorte de fenêtre ouverte sur l'ensemble du texte. Vous n'avez pas besoin de tout lire pour comprendre l'essentiel ; chaque morceau contient en lui-même une part du tout. Un autre aspect fascinant de la lecture non linéaire est qu'elle transforme chaque expérience de lecture en quelque chose d'unique et personnel. Deux lecteurs peuvent aborder le même livre de manière totalement différente et en retirer des impressions complètement distinctes. Je pense souvent à cela quand je relis des livres que j'ai aimés par le passé. À chaque nouvelle lecture, je découvre quelque chose que je n'avais pas remarqué auparavant — un détail caché entre les lignes, une phrase qui prend soudainement tout son sens après avoir vécu certaines expériences personnelles. La lecture non linéaire amplifie cet effet en permettant au lecteur de revisiter certains passages du texte sous différents angles et à différents moments de sa vie. Ce qui paraissait insignifiant lors d'une première lecture peut soudainement devenir crucial lors d'une relecture ultérieure. Bien sûr, tout cela a aussi ses inconvénients. La liberté offerte par la lecture non linéaire peut parfois être déroutante pour certains lecteurs habitués à suivre une intrigue claire et ordonnée. Il y a un risque réel de se perdre dans le texte, surtout si celui-ci est complexe ou fragmenté.Je me souviens d'un ami qui avait tenté de lire La Maison des feuilles de Mark Z. Danielewski — un roman connu pour sa structure labyrinthique et ses multiples récits imbriqués — et qui avait fini par abandonner après quelques chapitres seulement. « C'est trop compliqué », m'avait-il dit. « Je ne sais jamais où je suis ni ce qui se passe. » C'est vrai que ce type d'œuvre demande souvent plus d'effort et d'attention que les récits traditionnels. Mais pour ceux qui sont prêts à relever le défi, la récompense peut être immense : une compréhension plus profonde des thèmes abordés et une expérience littéraire plus riche. Il y a aussi quelque chose d'ironique dans cette idée de liberté offerte par la lecture non linéaire. En tant que lecteur, on a l'impression d'avoir le contrôle — on choisit où aller, quoi lire en premier — mais en réalité, c'est souvent l'auteur qui orchestre tout cela en coulisses. Prenez Marelle encore une fois : bien que Cortázar vous donne la liberté de lire son roman dans n'importe quel ordre, il a soigneusement structuré son texte pour que chaque chapitre résonne différemment selon l'ordre dans lequel vous le lisez. C'est comme si l'auteur jouait avec vous, vous donnant l'illusion du choix tout en contrôlant subtilement votre expérience. C'est peut-être là toute la beauté de la lecture non linéaire : elle crée un dialogue entre l'auteur et le lecteur où chacun a son rôle à jouer dans la construction du sens. En y réfléchissant bien, je me demande si cette manière de lire ne reflète pas aussi notre rapport au temps lui-même. Le temps n'est jamais vraiment linéaire dans nos vies ; il est fait de souvenirs fragmentés, d'anticipations incertaines et de moments présents fugaces. La lecture non linéaire capture cette réalité en nous permettant de naviguer librement entre passé, présent et futur au sein du texte — tout comme nous le faisons constamment dans nos esprits lorsque nous repensons à notre propre vie ou imaginons ce qui pourrait arriver ensuite. Peut-être est-ce pour cela que certaines œuvres littéraires modernes adoptent cette approche : elles cherchent à représenter plus fidèlement notre expérience subjective du temps et des événements. En fin de compte, la lecture non linéaire offre une nouvelle manière d'appréhender le récit littéraire — plus libre, plus personnelle, mais aussi plus exigeante. Elle permet au lecteur d'explorer un texte selon ses propres termes tout en ouvrant des possibilités infinies d'interprétation et de découverte. Mais elle demande aussi une certaine ouverture d'esprit et une volonté d'accepter l'incertitude et le désordre inhérents à ce type de lecture. Comme cet homme que j'avais vu dans cette bibliothèque cet hiver-là — celui qui lisait son livre dans tous les sens — je pense qu'il avait compris quelque chose que je ne comprenais pas encore à l'époque : parfois, ce n'est pas tant l'ordre des mots qui compte, mais ce qu'ils éveillent en nous lorsque nous les rencontrons au bon moment. Et c'est peut-être cela toute la magie de la littérature non linéaire : elle nous permet de trouver notre propre chemin à travers les histoires qu'elle raconte — un chemin unique pour chacun d'entre nous.|couper{180}

idées

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vanité

Je ne sais quelle obscure vanité me pousse à vouloir répéter encore que quelqu’un marche dans les bois, qu’il marche seul, sous le soleil, quelque chose au creux de sa main, serré entre les doigts. Les clefs d’une voiture, une gomme ou un caillou. Un petit caillou rond peut-être, ramassé en chemin, anodin dans la paume de la main. Un galet lisse, soyeux, comme s’il était important pour le monde, les lecteurs et les autres, l’univers tout entier, qu’il fût plutôt lisse que grenu, ou un peu rugueux au contact de la peau. Une sorte d’œuf de pierre, plat, roux et doux, poli depuis longtemps par les eaux d’un ruisseau et maintenant serré par la main d’un homme qui marche dans les bois. Dans une forêt décrite comme grise et verte, sous le soleil, écrite donc, subitement présente, apparue sans innocence. Sans fausse innocence. Sans innocence sincère non plus : Jacqueline me demande ce que j’ai fait aujourd’hui. Rien. Je n’ai rien écrit. J'ai décidé d'arréter d'écrire, page 24, Pierre Patrolin|couper{180}

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j’ai décidé d’arréter d’écrire

"C’est difficile. C’est un peu difficile. J’ai décidé d’arrêter d’écrire. D’essayer d’arrêter. De cesser de vérifier sans cesse que j’ai bien un stylo sur moi, dans une poche intérieure de la veste ou de l’imperméable, avant de sortir. Un crayon dans la voiture. D’avoir toujours un papier dans le pantalon. Un morceau de papier, une feuille pliée en quatre, une facture au verso vierge par exemple. Sinon, une enveloppe usagée, déployée, ouverte, découpée pour libérer plus d’espace libre en doublant sa surface extérieure dès qu’elle sera remplie. Couverte de phrases, de noms et de verbes, avant de les recopier sur la page d’un écran. Au pire, le dos d’un petit bordereau de carte bancaire, au papier sans épaisseur, fragile. Surtout sous la pluie. Ou dans l’eau. Autrement, en dernier ressort, le clavier d’un téléphone, mal adapté, lourd au fond de la poche, fragile, peu pratique pour écrire rapidement. Du bout des pouces. Sur le trottoir.« »Ce matin, j’ai trouvé une gomme, en rangeant un crayon que je ne voulais plus voir. Un cube de caoutchouc épais, un peu mou, d’un blanc plutôt tendre, dans un tiroir de mon bureau, au milieu des trombones et des élastiques. Sous une pince à épiler.Un bloc rectangulaire, lisse, aux angles émoussés, biseauté par l’usure. Un peu plus large que deux doigts. Inutile quand on pianote sur un clavier, ou pour effacer l’encre sur le papier glacé d’un magazine : il faudrait alors imaginer écrire uniquement à la pointe de graphite, sans trop appuyer sur un papier toujours très lisse, dans l’espoir de parvenir à annuler jusqu’à la trace de ce qu’on aura écrit. " J'ai décidé d'arréter d'écrire, Pierre Patrolin, P.O.L|couper{180}

Auteurs littéraires

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à propos d’une description de tableau

"On peut admirer, au musée de Rennes, le magnifique Nouveau-né de Georges de La Tour. Veloutée, enduite d’ombre ou, sa densité surprend, mais, chez le peintre, elle surprend toujours, de cette nuit très obscure qu’éclaire une chandelle – la flamme, invisible, informe toute la toile : du bébé aux visages de la mère et de cette autre femme, plus âgée (servante ? parente ? confidente ?), laquelle tient la bougie, la protégeant des courants d’air d’une main que la lueur fantôme rend translucide, plus intime et charnelle, légère à la fois d’être comme radiographiée, du vêtement rouge de la jeune maman aux reflets qu’avec le blanc des langes, celui de la chemise de la seconde femme et du bonnet coiffant l’enfant endormi ils multiplient sur la peau des personnages, rien ne lui échappe) –, l’œuvre, qui fut composée vers 1645, dispense une telle douceur qu’elle émeut jusqu’aux larmes. C’est tout ce que je n’ai pas vécu, tout ce qui ne me fut pas donné qui soudain se saisit de moi, m’étreint, me bouleverse : on ne guérit pas de ses jeunes années." Le Chemin des écluses, Lionel Bourg, Editions Folle Avoine|couper{180}

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Les Emigrants de Sebald

Dans Les Émigrants, W.G. Sebald, auteur allemand renommé, tisse un récit complexe à travers quatre histoires distinctes, explorant les thèmes de la mémoire, de l'exil et du traumatisme historique. Chaque récit suit le parcours d'hommes émigrés, souvent d'origine juive, confrontés à la perte de leur patrie et à la quête d'identité dans un monde marqué par la Shoah et les bouleversements du XXe siècle, tout en intégrant des éléments autobiographiques et visuels qui brouillent les frontières entre réalité et fiction.|couper{180}

Auteurs littéraires

Lectures

En relisant des notes prises sur « les palmiers sauvages » de Faulkner

En relisant des notes prises sur « les palmiers sauvages » de Faulkner, je peux aujourd’hui comprendre à quel point déjà en 89 l’histoire du rythme m’obsède. J’avais noté que la faute, le péché, la fausse-note et le faux-pas était une seule et même chose, une erreur de rythme. Que l’histoire commence quand le ou les personnages commettent physiquement une action qui les exile de ce rythme autour d’eux, et que c’est au moment même qu’ils le perdent qu’ils prennent soudain conscience qu’un rythme général plus grand qu’eux, existe. Ensuite les voix les tons les niveaux de language peuvent recréer en s’entremêlant l’illusion d’une sorte de musique. Faulkner utilise beaucoup cela, il redessine une frontière là où « l’American way of life » ne voudrait plus en voir. Faulkner n’invente pas la frontière il dit simplement qu’elle existe toujours. Voilà pourquoi ses livres se sont si mal vendus à son époque. Beaucoup trop dérangeant, et surtout pas du tout « en rythme » avec l’hypocrisie ambiante. Et comme ici en France nous avons toujours entre dix et vingt ans de retard sur les U.S pas étonnant que certains grands écrivains lisant du Faulkner n’y aient absolument rien compris. Aujourd’hui c’est plus facile de lire Faulkner, l’american way of life on l’a pris en pleine poire, on en vomirait toutes nos tripes de cette hypocrisie crasse. Bien vu de remettre Faulkner sur les rails… encore qu’il n’est pas à consommer en dilettante, donc il est plus facile de dire oh oui j’ai lu Faulkner, et passons vite à autre chose que de le lire vraiment.|couper{180}

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Simenon

Manchette et son affaire N'Gustro me conduisent à aller rechercher les livres de Simenon, toujours au grenier, mais eux je les avais rassemblés dans un carton avec une étiquette, plus simple à trouver. J'attrape le premier qui se présente, Au rendez-vous des Terre-Neuvas, et j'en lis quelques pages. La différence avec Manchette, c'est qu'il y a moins d'ambiguïté concernant le narrateur. Je ne peux pas dire que c'est mieux, ou que Manchette serait moins bien ; c'est complètement différent. Et puis peut-être qu'il n'y a pas de comparaison, sauf un désir chez moi de rapprocher je ne sais pourquoi deux types de narration. Il y a une désinvolture apparente chez Manchette quant à l'ordre des mots, des phrases très courtes, un rythme plus accéléré, mais bizarrement l'intrigue n'y gagne pas en rapidité. Les personnages de Manchette paraissent plus essoufflés que ceux de Simenon, et leur épaisseur tient surtout dans leur façon de s'exprimer. Ils vont droit au but cependant — le pognon ou le cul, notamment. Buts agités comme un chiffon rouge pour que le taureau fonce dessus, pour coller aux codes du polar, alors qu'en fait l'auteur désire parler de tout autre chose. Et parfois je me demande s'il le sait lui-même. Le langage parlé avec lequel les personnages de Manchette se dépeignent de façon inconsciente semble rendre le lecteur intelligent, mais je me demande si ce n'est pas un leurre de plus. Bref, je comprends la blague du « nouveau polar » et son utilisation journalistique. Simenon est plus classique, pour autant que je puisse dire, car je ne lis pratiquement jamais de polar. J'en ai lu quelques-uns autrefois, surtout ado, mais je n'ai jamais vraiment accroché au genre, contrairement à mon père qui, lui, n'a jamais lu que cela. En fait, je crois que lire des polars n'était pas utile pour se cultiver, et j'étais si tendu vers ce but — cette idée surtout que je me faisais de la culture, comme n'importe quel rejeton petit-bourgeois — que je ne leur accordais qu'un intérêt de divertissement tout au plus. Je n'avais que peu de discernement. C'est une erreur, évidemment. Et cette erreur ne relève directement que de l'erreur fabriquée de toutes pièces envers cette idée de culture par quoi j'étais obnubilé. Je crois aussi que le polar était la chasse gardée de mon paternel, qu'en lire m'aurait donné l'impression de pactiser alors que je préférais rester à couteaux tirés avec lui. C'était plus clair. Je détestais la nuance et l'ambiguïté. C'est aussi pour cela que j'ai vite plongé dans les auteurs américains n'écrivant pas de polar. Encore que, par exemple, Truman Capote a bien écrit De sang froid, mais ce n'était qu'une expérience, comme pour Fait divers de Calaferte. J'avais inspecté la bibliothèque familiale plusieurs fois pour être bien certain qu'il n'en avait lu aucun. D'ailleurs, pas de Manchette ni de Daeninckx non plus. Tout ce qui était taxé de « gauchiste » par le vieux était persona non desiderata sur les étagères en faux acajou. Donc j'avais acheté ces auteurs, notamment avec mes propres sous. Ils appartenaient à ma bibliothèque. Mais j'avoue que c'était plus pour faire chier mon père que pour me pencher vraiment sur leur contenu. Étais-je gauchiste tant que ça ? Je ne crois pas. Sinon par pure opposition encore, ou pour accompagner quelques filles sur lesquelles j'avais des vues dans des réunions de la LCR. En fait, je devais déjà être plus anarchiste que quoique ce soit d'autre. Les réunions de tout bord m'ont toujours emmerdé. Non que je ne sois pas sensible à l'injustice, mais je n'ai jamais été optimiste sur les solutions proposées pour l'éradiquer. La politique n'est en gros qu'une façon de vouloir se distinguer ou exister les uns par rapport aux autres, s'inventer des combats, des luttes, des faits d'arme — une histoire, en gros. Même s'il y a sur un groupe l'étiquette anarchiste, je fuis. La volonté d'exploitation de l'autre, d'en tirer profit et intérêt est si présente dans tous les agissements que j'ai toujours perçus, y compris les miens, que la vacherie est une donnée humaine naturelle, et on ne peut strictement rien contre la nature ; à part tenter du mieux possible de s'en préserver. Mon idée en ce moment, c'est d'écrire pour bouffer, ce que je ne sais pas ou n'arrive pas à faire avec la peinture. Écrire des polars, dans ce cas, pourrait être une solution, probablement meilleure qu'écrire des articles dans des journaux, plus indépendante dans ce que j'imagine en tous cas. Mais pour cela il faut que je m'en tape pour comprendre la recette de base ; que j'intègre les codes, au moins. Et puis j'y vois un autre avantage : c'est de se concentrer sur l'action, faire progresser une histoire grâce aux comportements des personnages. Sortir du bla-bla, des jeux intellectuels, de la littérature, quoi. Je n'ai qu'à me souvenir des petits matins où j'allais bosser dans des jobs à la con pour me donner le minimum d'allant. Donc tant pis pour Alonso Quichano. Peut-être qu'il surgit au mauvais moment et que, sitôt que je lève enfin les yeux sur lui, je n'éprouve plus qu'une envie : c'est de le buter. Pour une fois ce ne serait pas un geste désespéré, mais un choix mûrement réfléchi. Simenon a utilisé le polar pour commencer à écrire parce que ce dernier lui offrait des rampes auxquelles se tenir : un crime, un assassin, un modus operandi. Il disait d'ailleurs que c'était pour lui des romans faciles à écrire justement parce qu'il y avait ces rampes. De temps à autre il essayait d'aller plus loin, une page ou deux, de forer un peu plus profond dans ses personnages, comme un dentiste dans une dent — jusqu'à ce que ça fasse mal. En fait, le polar, les Maigret, lui ont servi de labo d'écriture dans un premier temps. Mais ce qu'il voulait vraiment, c'était cela : aller jusqu'à cette zone où ça fait mal. Manchette, lui, y va plus rapidement, je crois. Il y va même directement, parce qu'il sait ce qu'il veut, sans doute dès qu'il se met à écrire : il veut fabriquer des produits qui se vendent, écrire pour bouffer. Il ne louvoie pas quant à cela. Simenon, j'ai l'impression qu'il reste un bon moment le cul entre deux chaises, sans doute par fierté, une position plus aristocratique. Autre chose encore : le polar permet la mise en scène, via des personnages, d'une violence brute que ne permet pas la littérature, dont la manière, les longueurs, un art essentiellement axé sur la forme du langage, la rend démunie face à cette brutalité. Une brutalité classique, peut-être même de surface. Même Céline, quand il évoque les tranchées, la boucherie de 14-18, a du style — et ce style est encore un écran, d'après mon ressenti à sa lecture. On finit par ne plus s'attacher qu'aux mots, à leur agencement, mais pas forcément à ce qu'ils désignent. La haine, comme la violence, ne sont guère plus que des plaisirs esthétiques. Mais peut-être que je suis tout bonnement en train de chercher des raisons, des prétextes, des excuses pour essayer de tuer non seulement Alonso Quichano, mais aussi une idée que je me suis fait de la littérature jusqu'à ce jour. Le bien écrire et son enfumage. Passons à autre chose. Finalement, hier, il y avait six personnes au stage sur l'autoportrait avec mains. Les absents ne nous rejoindront qu'après les vacances d'hiver, en mars, et je me suis dit que, pour que tout le monde soit au même niveau à cette date, il fallait seulement se concentrer sur le dessin. Pour apprendre ce qu'est la ressemblance dans l'exercice du portrait, j'ai eu cette idée au moment où je franchissais la porte de la salle de cours : celle de leur faire faire des caricatures. Cela les aura obligés à se regarder vraiment pour décider quels traits caractéristiques grossir afin d'y parvenir. Il y a eu quelques grincements de dents, surtout chez les personnes qui n'aiment pas être photographiées, n'aiment pas leurs visages. Je leur ai dit que ce n'était pas nécessaire de s'aimer ou de se détester pour faire l'exercice. Il fallait seulement décider quels traits grossir pour tomber sur une illusion de ressemblance, et ma foi, bonne pioche. On aurait pu entendre une mouche péter. Il n'y eut plus de bruit, au moins jusqu'à la pause café. Je n'ai pas pris de photographies ; peut-être en ferais-je quand tout le groupe sera réuni en mars. Pour la représentation des mains, tout le monde est tombé dans le panneau : elles furent trop petites. J'ai pourtant dit plusieurs fois exagérez la taille des mains. Mais une sorte d'hypnose par rapport à la photographie aura été la plus forte. La photographie est tellement confondue avec la réalité que l'on voudrait la reproduire le plus fidèlement possible. Du coup, ça donne juste une photo reproduite, mais pas un dessin. Encore une fois, on peut comprendre intellectuellement une donnée comme exagérer la taille des mains, mais tant qu'on ne l'a pas mise en pratique — avec la main justement — ça ne percute pas.|couper{180}

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Lectures

Lire Pierre Bergounioux

10 janvier 2023 Lu quelques pages du premier mot de Pierre Bergounioux, Gallimard 2001. Dés le début il m’est nécessaire de le lire à haute voix pour apprendre à connaître son souffle, sa respiration, sinon quasiment impossible de le lire en silence. Impression que les trois quart de l’importance de ses phrases m’échappent. Et comme à dire ses mots à lui ainsi avec ma voix à moi m’en rapproche. Sauf que cette part de moi-même qui se rapproche de ce texte est inédite dans sa plus grande présence. Je retrouve un désarroi infini d’enfant à cette lecture, un désarroi que le texte met à jour sans brusquerie , aimablement, calmement, savamment. Et c’est bien là encore que je peux mesurer l’écart entre ce que je voudrais parvenir à écrire, ce que j’imagine écrire et ce que j’écris réellement.|couper{180}

Auteurs littéraires

Lectures

Ce que je sais sur la composition

Le mot composition me revient. Sans doute parce que je viens de le lire. Il me revient comme ça, comme un cheveu dans la soupe ou sur la langue. Des années après, il me revient. Je ne sais pas s'il revient depuis l'époque des bancs de l'école primaire. L'époque du coin et du bonnet d'âne. Des coups de règle ou de bambou. Est-ce que je me mêlais d'écrire des compositions avant qu'elles ne deviennent soudain des « rédactions » ? Comment s'est effectué ce passage. Ce n'était pas sage d'abandonner l'idée de composer et de se lancer ( bille en tête) dans la rédaction—sans y penser, en y repensant aujourd'hui. Je fouille dans mes souvenirs, pas grand-chose ne remonte. Un ennui pour résumer. Composer m'ennuie. Sans doute parce que, comme le dit Moravia, j'ai une relation figée avec le mot composition. ( Lui disait le monde, mais je reste modeste, le monde ne m'ennuie pas autant que la composition). Cependant que pour l'approcher je dois sans cesse composer sans même m'en rendre compte. Si j'essaie avec mes faibles notions de latin de décomposer ce mot de composition il y a com et position, mais c'est plus compliqué et à la fois plus simple puisque componere signifie mettre ensemble ou encore mettre ensemble un certain nombre d'éléments pour former un tout. Mais qu'est-ce que le tout ? Et si le but était de parvenir au tout il ne resterait rien en fin de compte que ce tout qui envahirait tout. J'en suffoque déjà par avance. Dans quelques occasions je me suis composé un visage pour tenter de répondre aux circonstances. J'ai très peu composé de poèmes en vers. j'ai composé avec les évènements mais c'était bien plus des compromis que de véritables compositions. J'ai parié assez tôt que la poésie se trouve rarement où on l'attend. J'écris en prose la plupart du temps, c'est à dire que je pars sur un détail qui m'emmène à un autre et ainsi de suite jusqu'à ce que j'ai une sensation de satiété. Encore que je pourrais facilement dire que cette sensation de satiété est factice, qu'elle n'est jamais totalement satisfaisante car quand j'écris, et plus j'écris, plus le tout se retire et à la fin toujours la sensation du rien. Voici une liste d'expressions courantes utilisant le mot composer : Composer un bouquet Composer un menu Composer un jury Composer un roman Composer une symphonie Composer un numéro Composer son personnage Composer avec les préjugés Composer avec sa conscience Composer une liste Composer une mélodie Composer une phrase Composer un emploi du temps Composer un puzzle Composer un poème Composer un repas Composer un rôle Composer un scénarioQuelques expressions idiomatiques : ( ce sont des expressions linguistiques qui sont caractéristiques d'une langue particulière et qui ne peuvent pas être comprises littéralement. Par exemple, l'expression « avoir un poil dans la main » est idiomatique car elle signifie être paresseux, et non pas avoir réellement un poil dans la main) Composer avec : Faire des compromis ou s'accommoder d'une situation, par exemple, « composer avec les préjugés » ou « composer avec sa conscience ». Composer un numéro : Former un numéro de téléphone sur un clavier. Composer son personnage : Adopter une attitude ou une expression pour paraître d'une certaine manière aux yeux des autres. Composer un bouquet : Assembler des fleurs pour créer un arrangement floral. Composer un menu : Élaborer une sélection de plats pour un repas. Composer une symphonie : Créer une œuvre musicale orchestrale. Composer un emploi du temps : Organiser ses activités et rendez-vous dans le temps. Ces expressions illustrent l'utilisation variée du mot composer dans des contextes allant de la musique à la gestion quotidienne. Comme tout est le reflet inversé de rien il ne faut pas que j'oublie le mot décomposition. Ce qui me fait penser aussitôt au passé-composé ( une action achevée dans le temps et que l'on chercherait à inverser, c'est à dire à réactiver, à rendre présente, par le phénomène de l'écriture. Si j'écris j'ai été un élève assez médiocre, c'est que je le pense toujours au moment où je l'écris.|couper{180}

réflexions sur l’art
histoire de l’imaginaire Balade non académique dans l’imaginaire : symboles, gothique, Poe, Lovecraft, Tolkien, et après. Un regard situé, en (…)