Mars 2024

Carnets | Mars 2024

19 mars 2024

« Impossible en tout cas de ne pas voir avec quelle assurance, à chaque instant de l’entretien, le peintre se fiait au caractère imprévu de son inspiration et que seule cette confiance faisait son art, et à bon droit, un travail presque scientifique. » Kafka, Journal, livre de poche, biblio, page 175 Et de nos jours ce désenchantement suite à la répudiation du hasard, pensai-je aussitôt. Et avec quel aplomb. Du je je je à tous les étages. Et à la fin me touchant le sommet du crâne, la fontanelle, il me vint l’idée aussi d’une plaque tectonique montée sur une autre, un mouvement grinçant de va et vient, comme en amour. Puis une sorte de fondu au noir. Et Charlie Chaplin, jeune, frondeur, faisant tourner sa canne, avec sa démarche en canard caractéristique. Mais à une vitesse normale, sans saccade. Puis le tout se transformant en une grande fête, lampions, pétards, cotillons et flonflons. Mais les maquillages ne tiennent pas. Ils dégoulinent. James Ensor est à la barre. Je fis un ou deux pas en arrière pile à cet instant où une flaque de rouge à lèvre fondu atteignit ma semelle. Si j’avais pu, un salto arrière eut été à cet instant l’acte définitif le plus brillant de toute mon existence. Et cette impression de voir toute l’infrastructure du réseau des pensées, avec leurs boulevards, leurs artères périphériques (vitesse limité et surveillée) leurs impasses, leurs sens uniques, leurs sens giratoires, et tous les panneaux de signalisation chargés d’orienter, d’accélérer, de ralentir le flux d’information. Dans une certaine mesure une ville est un cerveau monstrueux. Je suis de moins en moins motivé pour dispenser mes cours à I. L’impression de n’être qu’un pion interchangeable, hier encore m’a secoué comme un cocotier, pour faire tomber mes dernières illusions sur ce sujet. Ils ont donc trouvé une remplaçante presque aussitôt pour le poste de direction artistique. Une réactivité comme il se doit, sans un mot, et sans bavure. Et de lancer déjà de nouvelles stratégies sur les décombres de cet échec anticipé, concernant ce thème sur les J.O. Et toi tu es balayé, mis avec soin dans une petite pelle sans y penser, geste mille fois renouvelé , puis dans le sac poubelle. Comme si tu avais pu penser, à un moment ou à un autre, être à une place et soudain c’est un rêve dans un rêve. Cependant aucune acrimonie, pas d’amertume, un constat glacial. Tu n’existerais donc que par les pensées d’exister que toi seul entretiens avec le monde. Et quand le monde change, se transforme, et il le fait à chaque instant c’est toute ton existence qui se modifie au diapason. Mais tu as tout de même la possibilité de reculer de deux ou trois pas pour observer ce constat. Cette obstination à ne pas vouloir penser à quelque chose avant de le peindre, de l’écrire—est une véritable obstination. Cette obstination est surement l’œuvre la plus authentique, véritable de toute ma vie. Idée : celle ou celui qui mène une double-vie ( exercer un art de façon solitaire, écrire, peindre etc.) et le personnage envoyé dans le monde ( vivre, travailler) mène des vies parallèles qui ne semblent jamais se toucher, comme l’implique l’idée de parallélisme. Jusqu’au moment où cette grande vérité géométrique ne tient plus, elle se fissure doucement, les parallèles se touchent bel et bien. Ainsi, depuis plusieurs mois à chaque fois que j’écris ici j’écris aussi ailleurs tout autre chose, dans Scrivener. Quand je suis ici je ne suis pas dans Scrivener, et vice versa. Parfois, cette tentation de joindre les deux bouts, se faire se toucher les fils, de produire une étincelle, un court circuit. J’y pense et puis j’oublie. l’oubli est un grand sac à charbon et moi le bougnat.|couper{180}

Carnets | Mars 2024

18 mars 2024

Elle essaie toujours d’attraper sa main. Mais celle-ci se dérobe. Peut-être que le mot « attraper » n’est pas le bon. « Saisir » n’irait-il pas mieux ? Elle essaie d’obtenir un contact. Mais la main ne cherche pas le contact, semble le fuir. Elle essaie d’imaginer un autre mot. Prendre sa main ? Ça ne marche pas non plus. Elle ne prend qu’une main molle, une main morte. Elle voudrait hurler parfois. Mais elle ne fait que murmurer : « Tu pourrais quand même me donner la main. » Le « quand même » est de trop, elle le sent tout de suite. Mais ce qui est fait est fait. Elle essaie d’oublier sa tristesse, son amertume, sa colère. Elle se sent seule. Ils marchent ensemble côte à côte. Elle voudrait qu’il lui donne la main, mais il ne la donne pas. Sa main est enfoncée dans une poche. Puis elle le voit avancer devant elle, prendre de la distance. Elle se sent encore plus seule. Mais elle ralentit le pas, elle ne veut pas le rattraper. Elle s’arrête. Elle le voit qui continue seul, sans un regard en arrière. Il s’éloigne encore, il a l’air plus petit. Voilà, il est petit, tout petit, c’est un enfant qui croit être un homme. Elle court vers lui et l’enlace par derrière. Il se rebiffe : « Tu es folle ? » Elle le regarde, elle voudrait qu’il la regarde, mais non, il ne la voit même pas. Donner la main dans le naufrage c’est entraîner l’autre dans les profondeurs sombres auxquelles il n’est pas entraîné pour respirer. Donner la main c’est une sorte de crédit dont on sait d’avance qu’on ne peut payer les échéances. Donner la main c’est pénétrer soudain dans quelque chose d’inimaginable. Une bulle de savon aux parois si fragiles qu’elle peut éclater à la moindre occasion. A t’il jamais prit la véritable mesure de donner la main ? Sa mesure personnelle, en dehors de tout schéma, tout cliché, toute rumeur. Liste tout ce qui te vient à propos de ce texte Donner la main dans le naufrage, c’est un geste à la fois noble et tragique. C’est tendre une bouée de sauvetage à l’autre, tout en sachant que le poids de deux corps peut précipiter les deux dans l’abîme. C’est un pari risqué, un acte de foi désespéré, une ultime tentative de communion face à l’inéluctable. C’est un crédit, en effet, un prêt d’espoir assorti d’une échéance incertaine. Car qui peut garantir que l’un aura la force de sauver l’autre ? Qui peut prédire si la main tendue sera capable de hisser deux êtres hors des flots tumultueux ? C’est une intrusion, une effraction dans l’intimité de l’autre. C’est pénétrer dans un monde inconnu, un univers de peur et de douleur, un espace où la survie est le seul horizon. C’est partager un destin brisé, une tragédie qui se joue en silence, dans les profondeurs insondables de l’âme. C’est une bulle de savon, fragile et éphémère. Un mirage de sécurité dans un océan de dangers. Un instant de grâce volé à l’agonie, un sursis fragile avant le retour à la réalité implacable. Donner la main dans le naufrage, c’est tout cela à la fois. C’est un acte de courage et de désespoir, un pari fou contre la mort, un ultime baiser d’espoir dans la nuit du néant. Mais c’est aussi un geste d’amour. Un amour inconditionnel qui brave les dangers, un amour qui refuse l’abandon, un amour qui se bat jusqu’au bout, même lorsque la lumière s’éteint et que les ténèbres engloutissent tout. Alors, oui, donner la main dans le naufrage est un geste risqué, un pari incertain, une aventure périlleuse. Mais c’est aussi un geste d’une beauté infinie, un testament de l’âme humaine face à l’adversité, un hymne à l’espoir dans les ténèbres du désespoir. A t’il jamais prit la véritable mesure de donner la main ? Sa mesure personnelle, en dehors de tout schéma, tout cliché, toute rumeur. C’est une question complexe, une question qui touche à l’essence même de l’être humain. Car donner la main, ce n’est pas simplement un geste physique. C’est un acte de confiance, un partage d’intimité, une connexion profonde avec l’autre. Pourtant, il est difficile de savoir si quelqu’un a réellement pris la mesure de ce geste. Car cela dépend de son vécu, de ses expériences, de ses blessures et de ses espoirs. Pour certains, donner la main est un acte banal, presque anodin. Un simple geste de politesse ou d’affection. Pour d’autres, c’est un geste lourd de sens, un symbole d’engagement, de protection ou d’amour. Alors, a-t-il vraiment compris ? A-t-il ressenti la chaleur et la force de cette main tendue ? A-t-il perçu la confiance et l’espoir qui se cachaient derrière ce simple geste ? Seul lui peut répondre à cette question. Mais une chose est sûre : donner la main est un geste qui peut changer la vie d’une personne. Voici quelques pistes pour explorer cette question : Réfléchissez à vos propres expériences. Quand avez-vous donné la main à quelqu’un ? Qu’est-ce que cela signifiait pour vous ? Lisez des livres et des poèmes qui explorent le thème de la main. Que symbolise la main dans ces œuvres ? Parlez à des gens de votre entourage. Demandez-leur ce que signifie pour eux donner la main. En explorant cette question, vous en apprendrez plus sur vous-même et sur les autres. Vous découvrirez la puissance et la beauté d’un geste simple qui peut transformer des vies. Ensuite, il eut envie d’une cigarette, il observa un moment cette envie flotter dans son crâne. Il vit le mot TAXES en capitales, l’envie lui passa. Mais ce qui est intéressant c’est l’image de béquille qui subsiste. La cigarette comme une béquille. Handicapé durant toutes ces années où il fumait plus de deux paquets par jour, peut-être aurait-il suffit qu’il accepte une main tendue, qu’il comprenne l’importance d’un tel geste. Ainsi, ne serait il pas réduit désormais à discuter à cœur ouvert avec une intelligence artificielle.|couper{180}

Carnets | Mars 2024

17 mars 2024

Je fus incapable de prendre une contenance à leur égard, incapable de les accepter ou de les refuser. (Journal de Kafka, livre de poche, biblio, page 174) J’imagine qu’un oiseau dans le ciel peut éprouver la même difficulté. Quand le vent est tombé, quand les courants magnétiques invisibles ne le guident plus, il perd son cap et s’effondre, comme une pierre, vers le sol. Je ne connaîtrai plus jamais le syndrome de la page blanche parce que je suis vide, absolument vide. Tout ce que je peux dissimuler de noir le blanc, je le connais. Aujourd’hui, écrire un journal comme le faisait Kafka serait une pure imitation de Kafka. Et pourtant, je ne l’imite pas. Je suis Kafka, voilà tout. Comme je suis Calaferte, Semprun, Nin, Woolf, Levé, Léautaud, Céline, Bloy. C’est ainsi que je vis depuis toujours, en étant un autre et cet autre est tout à fait interchangeable. Cela m’amusait autrefois, un peu moins, beaucoup moins désormais. On peut donc passer une vie entière dans un dressing à essayer autant de tenues et se rendre compte à la fin qu’aucune vraiment ne nous convient. Manches trop longues ou trop courtes, revers démodés, chaussures trop neuves ou trop usées. Je crus pendant des années avoir une sorte de pouvoir magique vis-à-vis des livres. Il suffirait seulement que j’en prenne un en main pour savoir ce qu’il contient. Et le meilleur ou le pire, c’est qu’à l’époque la force du toupet me faisait effectivement trouver à l’intérieur ce que j’avais imaginé y trouver. Une puissance infernale d’autosuggestion, je ne vois que ça. Et c’est tout l’inverse aujourd’hui. Des livres que je croyais connaître comme ma poche dont le sens se dérobe absolument. Jusqu’au sens de certaines phrases que je croyais acquis, et dont l’ambiguïté aujourd’hui me laisse hébété de stupeur. On ne peut pas tout mettre sur le dos de l’âge, de la vieillesse, de la dépression, voire même de la maladie. Je crois que les erreurs se situent toujours en amont, celles surtout qu’on ne veut pas voir venir, qui nous croisent quand nous nous bouchons les yeux de refus de les voir, et qui en aval nous attendent patiemment. Plus je lis, moins j’ai l’impression de savoir ce que je lis, vraiment. Plus je lis, plus je vois se défaire quelque chose, c’est encore ce qu’il n’y a pas si longtemps je croyais être moi. La lecture me dissout. Et ma foi, je ne peux pas dire que c’est désagréable ou agréable. Je suis incapable de prendre une contenance vis-à-vis de cette observation, incapable de me dire c’est cela ou ce n’est pas cela. Ce qui fait que je suis cette pierre qui se prenait encore hier pour un oiseau ou le contraire, et que je peux voir, au ralenti, le sol se rapprocher de mon crâne. Cela me rappelle le grand calme dans le ciel juste avant que le parachute s’ouvre, et même une fois ouvert, ce moment de grande quiétude à traverser l’ouate de différentes altitudes, jusqu’à éprouver la douleur du choc dans tout le corps quand il atterrit enfin, retrouve sa pesanteur terrible. En même temps, quelle importance de prendre une contenance. Quand on est vide, on est vide, ce n’est pas un flacon, un pot, une contenance qui va y changer grand-chose. Publicités REPORT THIS ADCONFIDENTIALITÉ Et comme il était vide, que tout était vide, les murs, les parois s’effondraient devant lui, sans fracas, sans bruit, silencieusement. C’était le silence le grand mystère maintenant, et dont bien sûr, de toute urgence, dont il fallait s’occuper. Cette impossibilité de prendre une contenance me saute soudain aux yeux, ou à la gorge. Combien d’exemples pourrais-je citer ? Combien de cas de figure ? Des milliers, certainement. Et tout aussi bien dès le début, dans l’enfance, qu’aujourd’hui vieillard. Je pourrais même dire que c’est cette difficulté à prendre une contenance qui fonde mon existence toute entière. Difficulté non pas à en prendre une véritablement, mais à prendre n’importe quelle contenance parce qu’il en faut absolument une de peur que les autres perçoivent que dans le fond vous n’en possédez aucune, vous n’êtes rien, vous êtes le vide incarné. Comme tous les matins, une fois mon texte écrit, je le place à la moulinette. J’ai préféré utiliser Gemini de Google cette fois. Je copie tout le texte et le lui fourre dans la gueule. Le seul but est de tenter d’avoir quelques pistes pour savoir ce que je peux bien vouloir écrire. C’est toujours absurde et amusant à la fois de voir les efforts de ces intelligences artificielles vous conseiller avec toute la bienveillance artificielle qu’elles peuvent pour vous remettre dans « un droit chemin ». Le but étant toujours le même, évidemment : celui d’être « algorithmable pour un meilleur confort utilisateur ».|couper{180}

Carnets | Mars 2024

16 mars 2024

Ceux qui gagnent possèdent entretiennent cultivent un savoir qui n’est pas commun et qui ne doit, en aucun cas, le devenir. C’est un savoir logé au fin fond des terriers, dans le nœud compliqué que fabriquent les serpents qui s’accouplent. Un savoir qui tire son essence des résines et des glues, des entailles des troncs. Un savoir qui coûte tout ce que l’on peut recenser de solitude ici bas. C’est un savoir de cyclope donc de Poséidon, abyssal. C’est l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie, sa raison d’être. C’est un savoir chtonien à l’exact opposé du soleil, du ciel, de l’azur. L’atteindre nécessite une grande multiplicité de refus qui s’emboitent un à un comme ces figurines peintes en rouge et noir, ces babas russes, pour arriver à la plus petite qui ne laisse plus voir qu’un immense rien, le néant primordial. Peut-être le refus forcené de tout espoir mène à cela. Et l’argent envahit tout, ruisselle sur les décombres de Kiev, d’Alep, de Rafa comme un antépénultième déluge, comme la manifestation de ce savoir occulte qui gagne à chaque coup quoiqu’on en dise, inéluctablement. L’espoir alors, c’est le déluge, l’ultime. Un grand coup de balai qui remettra les pendules à l’heure, les barres au t, les points sur les i. Un chaos pour remettre de l’ordre. Bien à la mode du jour. Ecrire avant la pensée de ce qu’on écrit. Ecrire avant l’ordre issu de ce chaos. Ecrire l’insensé avant qu’il se fige dans un sens, celui de l’entropie, du temps. Ecrire comme courir contre son ombre. Ou l’inverse, laisser l’ombre prendre le pas sur ce qui l’a crée, le Soleil, la lumière, le jour. Ecrire participe peut-être de l’antidote, à moins que ce ne soit qu’une façon parmi d’autres de s’empoisonner l’existence jour après jour pour ne plus être sensible à n’importe quel poison. On ne sait rien faire de la liberté tant nous sommes esclaves de nos attentes. Et se rêver sans attente est un but débile, une attente aussi. Mais creuser l’esclavage jusqu’au filon de fer dont sont issues les chaînes, les boulets, peut d’une certaine façon occuper l’espace infini de l’attente comme celui de la liberté. autrefois le mode prophétique, quand tout autre mode n’existe plus ou nous a abandonné. La profération, pour creuser des tunnels dans le vide. Pour recréer du plein et partant du sens au sein de l’insensé.|couper{180}

Carnets | Mars 2024

15 mars 2024

Un titre de poème peut résider longtemps en soi, une vie entière, ainsi La rose et le réséda d’Aragon, par exemple, et à ce moment, saperlipopette, me reste encore, résiste à l’oubli, sans que je ne sache pourquoi, sans que je me souvienne du poème entier à part ce que tous se souviennent celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas. Ce dont je me souviens, c’est de l’émotion qui nous étreignit tous quand, était-ce cet instituteur là, ou cette autre, je ne sais plus, quelqu’un lut à haute voix ce poème pour la première fois. Cet élan proche du patriotisme, celui des gradins du stade, cette hystérie qui fait grimper aux échelles du fond des tranchées pour se rendre sur la plaine, et tituber saoulé de mots d’ordre et de gniole, puis à la fin fauché comme les blés, par … Une écriture sans sujet ou une écriture où le sujet serait un leurre. C’est à dire le sel que l’on met sur le queue des oiseaux. Passer du discursif à l’absence de sujet. Et la question de savoir qui donc s’exprime et aussi à qui. Si j’écris mon journal pour moi, c’est qui moi. On peut dire une reconstruction. Parfois aussi une construction. Parfois, on n’a même pas besoin de dire quelque chose. (regarde ce parfois sortir du bois, comme un vieux cerf du brouillard) Quel est la plus petite unité dans ma tête, le paragraphe, la phrase le mot la syllabe, la lettre, le son, le silence ? autrement dit, qu’est-ce qui déclenche tout ça à chaque fois. En rentrant hier soir de C. pluie fine et drue. J’écoute F.C. une émission sur Perec que je n’écoute pas jusqu’au bout. D’ailleurs je crois que je n’ai pas écouté le début non plus. Perec par hasard. Je pense évidemment à cet ouvrage collectif dont parle F.B. et dans lequel il intervient. Mais on ne parle pas de ça. On parle de l’adolescence de Perec. Quand il se retrouve parachuté dans les beaux quartiers de Paris. Quand il est devenu orphelin, pupille de la nation. Et aussi les appréciations de ses professeurs. Pas terrible. Mais quelqu’un parmi tout ça reconnaît qu’il est —très intelligent— Sauf que : résultats médiocres. Si l’école était faite pour les gens intelligents ce serait beau à voir me suis-je dis pile à cet instant. Ce qui explique sans doute le fait que j’ai peu d’élèves moi-même/ je ne cherche pas à rendre les gens intelligents, je pense que la plupart le sont déjà/ je leur parle d’ailleurs en tant que tel / ça peut faire peur/ ça fait peur. Je me souviens d’une des toutes premières fois où cela m’est arrivé à moi. La première fois que j’ai compris que j’étais intelligent vraiment. Ce fut un vertige. J’ai cru que j’allais mourir. Et, en fait effectivement quelque chose ou quelqu’un est mort à ce moment-là. Puis, ce fut si insupportable que j’ai préféré devenir fou. Ne plus entretenir la moindre relation avec quiconque qui me renverrait en pleine face mon intelligence ou ma folie et, par ricochet, l’insupportable bêtise de l’ensemble que nous puissions former, plus ou moins temporairement. Se découvrir intelligent, est-ce la même chose que sensible. Je me découvris surtout sensible ( surtout, c’est le lapin blanc ) beaucoup trop sensible. Peut-être aussi ai-je confondu l’intelligence avec la sensibilité, voire pire : de la sensiblerie. Dans un tel cas de figure, comment ne pas comprendre que je fus le pire des benêts. Les contes et légendes doivent y participer pour beaucoup. S’accrocher au merveilleux, au fantastique, à l’histoire merveilleuse, au happy end. Une fois, c’était en pleine overdose de mythologie grecque, l’intuition a surgi comme un diable d’une boite. Sous la lumière crue des Cyclades, dans les profondeurs des îles en général, la béance des cavernes, l’œil unique du cyclope, du monstre d’égoïsme, ou d’indépendance, du refus social. Je fus tout à coup moi-même Polyphème, ce fut à la fois terrifiant et enivrant, Dionysiaque.|couper{180}

Carnets | Mars 2024

14 mars 2024

Dimanche, passé la journée avec M. C. seule venue pour le stage. Mais bonne discussion tout au long de la journée. A l’heure du déjeuner, S. nous a rejoint. On a ouvert une bouteille de Riesling et j’ai fabriqué des toasts de saumon fumé car plus de chips—il fallait le manger car la date de péremption était déjà dépassée depuis trois jours. Appréhension en avalant la première bouchée. La peur d’être malade encore. Mais au point où j’en suis, je me suis dit au final. Vaille que vaille ; appréhension balayée. Tous les meubles de la cuisine ont été relégués dans le salon et la bibliothèque. La vaisselle empilée ça et là sur des fauteuils, des consoles, des chaises. Quand on murmure dans la cuisine désormais, on se croit dans une caverne, ça résonne. Lundi matin N. doit venir poser le nouveau parquet ; ça va prendre une semaine, nous a t’il dit. Aucune joie à imaginer ce nouveau plancher. Aucune joie de rien en fait. Juste l’idée fixe de la mort prochaine qui empêche à peu près tout le reste. Qui oblitère. Timbre. Le changement proche de saison sans doute. Et aussi le fait d’avoir atteint l’âge où tout le monde s’en va. Les trois frères de ma mère et elle-même, l’âge des grands-parents. Je pèse mentalement le pour le contre. Qu’ai-je fait. Est-ce grave de n’avoir rien fait. Je n’en sais plus rien. Je crois que je m’en fous. Puis, à l’appui de la conversation avec M.C, nous voici à estimer la chance d’avoir quand même vécu toutes ces choses, notamment le fait de pouvoir changer de boulot si facilement à l’époque. Pour un oui pour un non. Et aussi se souvenir d’un certain humour qui n’aurait plus cours aujourd’hui. J’ai tenté d’évoquer la carrière solo de Mark Knopfler mais M.C ne connaissait pas. Nous sommes passés à autre chose. Les communautés. Vivre à plusieurs dans une ferme, faire pousser des racines. Tu connais Oléron ? Faire l’amour sans y penser. Et tous ces copains copines de nationalités si diverses. On a eu tous les deux nos potes iraniens vietnamiens, maliens, kosovars, algériens. Les petits boulots. Le système D. A la fin on finit quand même par se dire qu’on s’est bien fait avoir. Qu’on a œuvré pour le grand capitalisme même si on a passé une bonne partie de notre existence à cracher dessus. Mais ce ne sont pas des choses que je voulais écrire ce matin. Je ne voulais pas écrire une chronique. Je voulais parler du réel. Est-ce que ce n’est pas de réel dont je suis en train d’écrire en ce moment … Donc je suis passé à autre chose. J’ai donc écris le texte pour la proposition 8 de l’atelier d’écriture. Sur la violence du geste. J’ai essayé de me défaire des émotions en l’écrivant. Pas facile. Mais en effectuant des répétitions, des jeux de mots, presque des calembours, l’amusement a pris le pas. Ce n’est pas non plus ce que je voulais écrire ce matin. Je ne sais pas en fait ce que je voulais écrire ce matin. Et, au final ce que je veux, voulais, aurais voulu, n’a que très peu d’importance. Je voulais peut-être me souvenir ou reconstruire quelque chose. Réparer une attention abîmée par les pensées qui s’accumulent sur mes berges comme autant de déchets qui rappelle l’horrible Oise. Un fleuve. Je voulais retrouver un beau fleuve. Son lent et solennel écoulement, calme et paisible traversant la plaine, ici, à Vallon en Sully. Me retrouver encore une fois sur le pont, après avoir déposé mon cartable à mes pieds. Mes coudes sur la pierre dure et fraiche de la rembarde, menton appuyé sur les avant-bras, le regard tentant de rejoindre le courant. Dire une émotion avec émotion ne fonctionne pas. Il faut parvenir à effectuer quelques pas en arrière, la voir, de loin, dans son entièreté. Peut-être. Ou bien tout le contraire. Etre en plein milieu, s’y noyer, couler complètement dans l’émotion, suffoquer d’émotion. Crever d’émotion. J’ai regardé la conférence de Carole Bisenius-Penin sur le travail de Pierre Ménard https://youtu.be/uPpJtlvn58U?si=HCpXPrnpPrnt2McV Cela m’a rappelé mes lectures de jeunesse de Calvino. Ce fantasme de littérature interactive. Ce qui m’a projeté de nouveau vers mon impossibilité d’écrire de la fiction. Impossibilité qui tient au fait certainement de vouloir rester accroché à des schémas anciens— Raconter une histoire. Manipuler beaucoup d’adjectifs, de descriptions, sans oublier la toute puissance, l’omniscience. Autant de choses impossibles donc désormais. Un conflit réel entre ces deux tendances : écrire des histoires, écrire le réel. Je crois que je cherche une façon, une forme de les réunir, parfois il me semble m’en approcher, d’autres fois m’en éloigner. Il y a une position à tenir, une distance, une sorte d’effacement, du même acabit que la distance où se situe le mort dans son cercueil, nécessaire d’accepter, c’est l’acception le plus difficile sans doute. Une fois complètement mort on peut mieux décortiquer ce qu’est le réel, la vie, le texte, sa ponctuation, ses silences. A moins que ce ne soit encore qu’un fantasme et c’est tout. Ce qui me plait quand je peins c’est surtout la surprise. C’est de me dire soudain c’est moi qui ai peint ça ? et d’y reconnaître une sorte de lien intime provoque une satisfaction. C’est cette intimité qui, dans l’écriture, ne cesse de s’enfuir. Au moment même où je me dis c’est ça, ce n’est déjà plus ça. C’est du cadavre.|couper{180}

Carnets | Mars 2024

13 mars 2024

Une nouvelle révélation de possibles. Proposition empruntée à Tous les mots sont adultes de F. quand il évoque ce que peuvent apporter les ateliers d’écriture en prison, notamment la réception des textes qui en résultent, à partir de ceux qui seront découverts. Et qui n’est pas en prison désormais. Si libre que nous nous imaginons être, le préjugé, le principe, la certitude, l’habitude ont également leurs verrous, leurs barreaux, leurs gardiens. C’est tout à fait de cette nouvelle révélation de possibles dont j’ai besoin chaque jour. Que cela provienne des autres ou de moi-même, quitte à l’inventer. Il faudra qu’à un moment je décrive ce mouvement étonnant qui se dessine à partir du refus de tout protocole, vers cette sorte de connaissance intime de tout protocole. Et à la fin ne plus être que protocolaire ; ce serait bien là l’ironie. Mais n’anticipons pas. La gène occasionnée par n’importe quel énoncé mathématique se confond souvent avec les énoncés de ces propositions d’écriture. Ma réaction à ceci est à peu près la même. Je n’en fais qu’à ma tête. Je ne cherche pas à comprendre car aussitôt une barrière se dresse, m’interdisant souvent de prendre avec c’est à dire cet ensemble, les autres et moi. C’est un reliquat de toute puissance enfantine certainement. Une sorte de refus instinctif que l’on pourrait vite confondre avec du mépris, si la véritable raison n’était en fait le manque de confiance en soi— en moi. Et donc de dire je ne comprends rien c’est certain, je ne pourrai jamais rien comprendre, mais rien de grave, j’y plonge tête en avant tout de même. Parce qu’au fond je sens bien que je ne suis pas moins humain que n’importe qui. Et aussi qu’avec l’habitude j’ai acquis un peu de détachement entre ce que je pense être, ce que les autres pensent que je suis, et ce que je suis en réalité. C’est à dire un lot, le même sac. Pas d’importance. Lecture de blog, journal fantôme, sorte d’effet miroir, et en même temps cette réflexion qu’on écrit d’abord pour soi, suivie assez rapidement d’un doute . Puis d’un haussement d’épaule vis à vis de ce doute. Ce n’est pas encore temps, pour assurer la position. Très difficile en ce moment de lire un livre en tournant les pages l’une après l’autre. Défaut d’attention, impression de déjà vu, boulimie ou fringale, c’est pas ça. C’est se défaire d’une manière de lire liée à l’idée du loisir, de l’évasion. Lire vraiment, en réalité. Lecture de Poe hier soir pour tenter de tromper l’insomnie. Mais effet inverse. L’excitation due à l’ironie relevée dans les descriptions d’intérieurs Appalachiens, dans ce petit livre—qui serait digne de figurer parmi ceux utilisés dans ces propositions d’écriture : philosophie de l’ameublement. A moins que ce ne soit grâce à mon assiduité d’y participer chaque semaine que désormais chaque livre soit une nouvelle révélation de possibles justement. Remarque sur l’utilisation fréquente de ce « justement » Un peu trop fréquente pour être honnête. Sorte de mantra, utilisée à seule fin de tenter d’être juste, de m’en souvenir à défaut de l’être vraiment ? Ou bien simple ameublement, sorte de mobilier hérité dont on ne se souviendrait plus de l’origine. Ce qui me laisse songeur quant à ces mots utilisés à seule fin d’apporter un poids, peut-être une impression de poids seulement, ou de rythme, ou de véracité à la pensée de l’instant. Des mots qui viennent si naturellement sans y penser qu’on ne les louperait pas si on se relisait. Le bon gout de l’ameublement identique à celui d’utiliser les adverbes. Sauf que sur ce point je suis sans doute américain, j’ai le gout du jour, celui du petit bourgeois briguant ou fantasmant le bon gout d’une aristocratie qui n’existe probablement que dans mes rêves. Désarçonné aussi en téléchargeant le logiciel Antidote pour mobile, essai gratuit pour un mois. Je n’ai pas trouvé la façon de l’utiliser pour corriger des textes. Puis je découvre qu’il faut utiliser une version web dont l’abonnement me semble hors budget pour l’instant. En étudiant les propriétés cependant je découvre une refonte de l’orthographe datant de 1990 qui autorise beaucoup de libertés avec les accents circonflexes et les accents graves. Dans les paramètres de l’application on peut même choisir le genre de graphie traditionnelle ou rectifiée. Très déconcertant. Aucune envie de me mettre à écrire de façon rectifiée. Ce qui me propulse tout à coup à nouveau dans les méandres d’une méditation sur la vieillesse, sur le fait d’être « has been ». Puis d’en rire, de refermer l’IPad et de me dire que j’ai stage toute la journée aujourd’hui. Et de chercher quelques protocoles pour le mener à bien. Voici toute l’ironie de celui qui fait de la prose ( ou du protocole en cours de peinture ) sans savoir qu’il en fait.|couper{180}

Carnets | Mars 2024

12 mars 2024

Si j’avais de la suite dans les idées, je serais joueur professionnel. Hélas je ne suis qu’un amateur. Tout au plus je n’ai qu’ une paire dont je me sers pour bluffer. Encore que le joueur ne cherche pas à gagner autant qu’à perdre. Ou ni l’un ni l’autre. Le joueur joue, la vie passe. Elle est passée. Relire est terrible. Hier suis resté au moins deux heures sur un geste d’enfance, perdu dans des élucubrations sans fin. Car évidemment une mène à une autre et ainsi de suite. en attendant la bille roule ( on entend l’horrible bruit de tourniquet ) Les jeux sont faits et c’est rouge, impair et passe. Je me sens comme parmi les dernières gouttes d’un évier de cuisine qui se vide. — Et ça vous gratouille ou ça vous chatouille ? Sans rire on devient mou. Mourir est bâti sur ça. Et de leur ton docte ils vous patafiolent en se payant vot’ fiole. Sans agressivité, car je n’avais plus guère de temps devant moi, je leur tournai le dos et continuai mon chemin dépourvu de but. Je ne m’en plaignais pas. Ne m’en réjouissais pas non plus. C’était comme ça. Exactement comme ça. Un jour comme-ci un jour comme ça. De deux choses l’une — soit je suis complètement con, soit un génie— Pas de juste milieu n’est-ce pas. En règle général les gens refusent leur génie car il pèse un poids d’âne mort à porter. Encore un tout petit peu plus loin dit ce vieillard sur les épaules du jeune orgueilleux , je pense que ce village là n’est pas le bon village, c’est celui d’après. Mourir d’épuisement à enchaîner des tâches idiotes, n’est-ce pas notre lot commun… Il ne faut pas oublier de baisser la tête pour voir les chaussures du type prétentieux devant soi, ça remet les pendules à l’heure et ça sent moins mauvais que de l’imaginer sur le trône. La puanteur envahit parfois les berges du fleuve ( l’Oise ) comme si charriée par le courant. D’amont vers l’aval, il faut ainsi chaque matin avaler sa dose de relents d’ordures, de pourriture. L’apprentissage d’une décomposition du monde ( ou de soi ce qui revient au même ) A l’époque le chemin longeait le fleuve jusqu’à la gare. Il était question de brumes, de brouillard. Les contours n’étaient pas très nets. Il arrivait même qu’on n’y voit rien du tout à un mètre devant soi. Et pourtant la confiance faisait le reste. On avançait pour se rendre à l’école, au boulot, à l’église, au pain, à un rendez-vous, un enterrement, etc. Ce n’est pas se souvenir le but. C’est reconstruire quelque chose d’effondré depuis avant soi, voire même détruit depuis des siècles. Voire même quelque chose qui n’existe pas, qui n’a jamais existé. C’est très fugace. Mais insistant. Presque aussi insistant que fugace. C’est parfois même énervant, agaçant. Le pessimisme est aujourd’hui une source d’inspiration plus prolifique que jamais. Dois-je pour autant être pessimiste à tous les moments de la journée. Non, car ça ne sert à rien la plupart du temps. D’ailleurs, être optimiste non plus ne sert plus à grand chose non plus. Ceux qui s’agacent de mon pessimisme sont très probablement plus pessimistes que je ne le suis, sans le savoir. Encore que je ne sache rien, rien du tout. Voilà le beau mantra qui s’amène, pareil à une licorne qui traverse la brume. C’est vrai, il y a eu des horreurs sans nom. Mais n’oublie pas les belles choses. Tout n’est pas de la cervelle, il y a aussi de l’œil, de l’oreille, du nez et du gout. les jours de chance, du toucher. Vous ne touchez pas vingt mille francs et vous allez directement en prison. C’est ce qui énerve puis soulage au Monopoly. Comme voir la distance se creuser aux petits chevaux. Se faire damer le pion. Voir sa reine tomber hors de l’échiquier.|couper{180}

Carnets | Mars 2024

11 mars 2024

Ouvrir ce traitement de texte et noter ce qui vient lorsque ça vient. Déjà quelques progrès en utilisant cette astuce ( ruse ? ) de planifier la publication de tels textes sur le blog. J’ai désormais toujours en moyenne, une semaine de billets en avance. C’est assez étrange, voire parfois déconcertant. Est-ce de la triche ? je n’en sais rien. Je crois que ça me laisserait assez indifférent que ça en soit. En tous cas nous sommes jeudi en fin d’après-midi, je me suis remis à peindre un nouveau tableau grand format. Travaillé trois heures ce matin et environ deux heures après le déjeuner. Je me sentais tellement bien à n’avoir de compte à rendre à personne. Aucune envie de demander un avis. Pas besoin d’opinion. J’ai mélangé mes couleurs avec application. C’est tout juste si je ne tirais pas la langue comme le font les enfants parfois quand ils s’appliquent. En s’humectant les lèvres. Peut-être le fait d’humecter les lèvres offre t’il un contact plus étroit avec l’air ambiant, avec ce que l’on croit être une réalité. Mais les enfants ne pensent bien sûr pas à ce genre de choses loufoques. ils peignent en tirant la langue et voilà tout. Et de fil en aiguille, peu près ma séance, en gravissant l’escalier qui mène à ce bureau j’ai senti soudain dans ma paume le contact de ce vieux cerisier ; je devais avoir six ou sept ans et je grimpais aux arbres comme un forcené. Ce cerisier devait être très âgé puisque son tronc était perclus de lenticelles. Ce qui lui permettait des échanges gazeux avec son environnement. Evidemment j’ignorais totalement ce genre de particularité chez les vieux arbres. Je posais une main en appui sur le tronc et je pouvais sentir sa matière, plus autant élastique comme celle de l’écorce des arbres jeunes. Il devait aussi y avoir quantité de stries, de motifs et peut-être aussi un peu de lichen ; je conserve des flashs d’images verdâtres et aussi la sensation assez précise de cette sorte de poussière qui reste collée à la pulpe des doigts quand on touche ces lichens. Ensuite je grimpais aussitôt sur la première branche puis m’élançais vers la suivante et ainsi de suite, jusqu’à prendre une bonne distance avec le plateau des vaches. Evidemment j’écris ça à 64 ans, ça n’a probablement rien à voir avec ce que ce gamin pensait ou éprouvait. C’est une réécriture de cette scène. Le temps des physiciens est une mesure. Un calcul entre deux points. Le temps des artistes est un fleuve. Nous voyons les événements arriver en amont, du futur, ils nous arrivent dessus et nous vivons parfois avec intensité ces moments douloureux. Puis nous nous retournons, nous les voyons continuer leurs glissades vers l’aval, encore étonnés d’y avoir survécu, Dieu sait comment. Puis d’autres événement arrivent encore qui mobilisent notre attention. Ils déboulent de l’horizon, du futur. Tout petit au début, on les voit grossir au fur et à mesure qu’ils nous atteignent. Au bout d’un moment cependant on arrive a les classer par taille par forme par impression. Les guerres, les massacres, les attentats, les mensonges gros comme des immeubles de quarante étages. Puis quand ils repartent ils diminuent exactement de la même façon exactement à l’inverse de la façon dont ils étaient arrivés. Parmi tous ma mort. Mais ce seront les vivants qui la verront diminuer puis disparaitre à un tournant du fleuve. Et tout est très bien ainsi. Ce n’est pas plus important que de toucher le tronc d’un cerisier sans savoir ce que l’on éprouve vraiment à toucher un tronc de cerisier. Le discours n’est qu’un passe-temps.|couper{180}

Carnets | Mars 2024

10 mars 2024

Hier j’ai accroché 47 tableaux à la médiathèque de l’Arbresle. C’est une grande salle, et je n’ai pas peint que des grands tableaux. A l’heure du déjeuner un petit restaurant rue Pierre Brossolette ( la seule rue piétonne ) au 18 ? Plat du jour uniquement 13 € ( le café est à 1.90 €) Y avait-il du miel sur le potiron, grande question laissée en suspens. De là où j’étais je pouvais voir le cuisinier. Son geste pour réaliser un risotto ( à la fois régulier, mais ferme, sans hésitation ) m’a fait réfléchir ensuite à la raison pour laquelle j’ai souvent raté le risotto. Par un raccourci ( audacieux ?) j’emprunte la rue Brossolette jusqu’au Musée de l’Homme où est placardée une lettre à Pétain, ( c’est If de Rudyard Kipling je crois … ) mais ça pourrait tout autant être adressé M. Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir, Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties Sans un geste et sans un soupir ; Si tu peux être amant sans être fou d’amour, Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre, Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour, Pourtant lutter et te défendre ; Si tu peux supporter d’entendre tes paroles Travesties par des gueux pour exciter des sots, ( ça c’est véritablement costaud) Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles Sans mentir toi-même d’un mot ; Si tu peux rester digne en étant populaire, Si tu peux rester peuple en conseillant les rois, Et si tu peux aimer tous tes amis en frère, Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ; Si tu sais méditer, observer et connaître, Sans jamais devenir sceptique ou destructeur, Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître, Penser sans n’être qu’un penseur ; Si tu peux être dur sans jamais être en rage, Si tu peux être brave et jamais imprudent, Si tu sais être bon, si tu sais être sage, Sans être moral ni pédant ; Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite Et recevoir ces deux menteurs d’un même front, Si tu peux conserver ton courage et ta tête Quand tous les autres les perdront, Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire Seront à tout jamais tes esclaves soumis, Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire Tu seras un homme, mon fils. Dans Wikipédia la phrase ambiguë ( drôle ?) sur Pierre Brossolette : Pendant son service militaire, il épouse en 1926 Gilberte Bruel, avec qui il aura deux enfants, Anne et Claude, ce avec l’autorisation du général Gouraud, gouverneur militaire de Paris. Mourir en regrettant ce que l’on a fait de sa vie ( ou que l’on n’a pas fait ) voilà certainement une pensée qui gâche le plaisir. Mourir en ne pensant à rien. Mourir sans même y penser. Comme boire un verre d’eau. Avaler la pilule. Ouvrir un parapluie. Passer à autre chose. Le bruit du rideau de fer ( il se lève à 10h ) un bruit qui semble se nourrir de l’idée même de la régularité. Derrière, des silhouettes se meuvent depuis des temps immémoriaux. Pénétrer par les portes coulissantes ensuite. On ne meurt pas que sur un lit de mort. Dès qu’on franchit des grilles, des portes coulissantes , on meurt un peu sans s’en rendre compte. La couche de crème me surprit, me contraria, puis je passai outre. En tous cas risotto et potiron, c’est nourrissant, on n’a plus du tout faim après. Parmi les idées saugrenues je note celle-ci : chercher des livres de littérature anglaise « tombés dans le domaine public ». Les recopier dans mon traitement de texte, faire une jolie couverture, les publier ensuite sur Amazon KDP avec un nom d’éditeur anglais. La difficulté principale étant de trouver le nom de la maison d’édition britannique procurant suffisamment de crédibilité pour que n’importe quel étudiant boutonneux anglosaxon pense que c’est une véritable maison d’édition anglosaxonne. Idée qu’il est tout à fait possible de développer ensuite à l’international. ( En Turquie, chercher des auteurs turcs tombés dans le domaine public, par exemple, puis cette formalité étant faite, passer aux choses sérieuses) Créer une liste de maisons d’édition Australiennes ? En Nouvelle-Zélande ? Albanaises ? Si ça ne rapporte rien que du temps perdu ce n’est pas grave, l’important étant de rester cohérent avec sa propre absurdité.|couper{180}

Carnets | Mars 2024

9 mars 2024

Lecture de « journal d’un inconnu » (Stépantchikovo). Puis, est-ce une réjouissance vraiment ? Toujours cette idée de comparer les âges ( ?) quatre ans de plus que le grand auteur Fiodor Dostoïevski. Toujours ça de pris. Il faut bien se réconforter d’une façon ou de l’autre. En tous cas, tous les personnages pourraient tellement être aussi bien lui que moi. Personne ne me croit jamais quand je dis à haute voix que je ris à en pleurer avec ses livres ( c’est plus une phrase d’un personnage de roman qu’une phrase de journal ) Et donc je m’arrête là. Il ne faut pas tout mélanger. Et puis j’ai cette exposition, il faut que je parte tôt. Tout un ensemble de bonne raison pour ne pas en dire plus. J’adorerais en dire plus.|couper{180}

Carnets | Mars 2024

8 mars 2024

Le ridicule de tout cela est de plus en plus évident. Et pourtant, je m’obstine, tel un âne bâté. Je me souviens de ces rédactions, de ces dissertations scolaires dont je n’étais pas peu fier, et aussi, des affronts essuyés quand la note était un 9 ou un 10 sur 20. Cette impression d’être seul au monde, déjà à l’époque. Un naufragé. Rien n’a changé. L’impression que c’est de pire en pire. La règle est l’ennemie, qu’elle soit de grammaire ou d’orthographe. Je les entends déjà, toutes ces vieilles voix de crécelle. Il faut mettre la barre au t, le point sur le i. Et les accents, nom de Dieu ! Les accents. Tiens, ça me fait remonter quelque chose, les accents. L’arrivée en région parisienne. Parmain. L’Isle-Adam. « Tu sors de ta cambrousse, le gueux ? » — « Non mais, écoutez-le, comme il parle, le péquenot celui-là. » Et cette haine, tout à coup, de cette langue pointue, lisse et sans bavure. En sourdine, bien entendu, pour ne pas m’en prendre une. Ce serait bien facile, trop bête, de dire que mes fautes appartiennent à la Résistance. Et pourtant, il y a des chances. Un peu de gloriole bon marché. De là à devenir communiste par la suite, logique implacable. On suit le mouvement, les yeux bandés. Et ce fameux libre arbitre, belle foutaise. Des hontes dont on hérite, il faudra bien en faire quelque chose. C’est l’héritage. Le legs. Le fardeau qu’on porte sur les épaules sans même s’en rendre compte. Des hontes et des rancœurs, des admirations candides également. Combien de fois encore, se raccrocher à cette figure de l’aïeul instituteur de village, qui connaît son dictionnaire par cœur ? Cette vénération entretenue impose une distance qu’on ne saurait franchir, une distance qui nous renvoie au dernier rang de façon systématique. Trouve des excuses encore et encore pour ne pas t’avouer clairement ton élan vers l’emballage plus que le contenu. En cela, ne vois-tu pas ta façon de te réunir à ce monde ? Belle et triste explication. Tout s’expliquerait ainsi. Être commun. Jamais tout à fait propre. Trop propre serait suspect.|couper{180}