13 mars 2024

Une nouvelle révélation de possibles. Proposition empruntée à Tous les mots sont adultes de F. quand il évoque ce que peuvent apporter les ateliers d’écriture en prison, notamment la réception des textes qui en résultent, à partir de ceux qui seront découverts. Et qui n’est pas en prison désormais. Si libre que nous nous imaginons être, le préjugé, le principe, la certitude, l’habitude ont également leurs verrous, leurs barreaux, leurs gardiens. C’est tout à fait de cette nouvelle révélation de possibles dont j’ai besoin chaque jour. Que cela provienne des autres ou de moi-même, quitte à l’inventer. Il faudra qu’à un moment je décrive ce mouvement étonnant qui se dessine à partir du refus de tout protocole, vers cette sorte de connaissance intime de tout protocole. Et à la fin ne plus être que protocolaire ; ce serait bien là l’ironie. Mais n’anticipons pas. La gène occasionnée par n’importe quel énoncé mathématique se confond souvent avec les énoncés de ces propositions d’écriture. Ma réaction à ceci est à peu près la même. Je n’en fais qu’à ma tête. Je ne cherche pas à comprendre car aussitôt une barrière se dresse, m’interdisant souvent de prendre avec c’est à dire cet ensemble, les autres et moi. C’est un reliquat de toute puissance enfantine certainement. Une sorte de refus instinctif que l’on pourrait vite confondre avec du mépris, si la véritable raison n’était en fait le manque de confiance en soi— en moi. Et donc de dire je ne comprends rien c’est certain, je ne pourrai jamais rien comprendre, mais rien de grave, j’y plonge tête en avant tout de même. Parce qu’au fond je sens bien que je ne suis pas moins humain que n’importe qui. Et aussi qu’avec l’habitude j’ai acquis un peu de détachement entre ce que je pense être, ce que les autres pensent que je suis, et ce que je suis en réalité. C’est à dire un lot, le même sac. Pas d’importance.

Lecture de blog, journal fantôme, sorte d’effet miroir, et en même temps cette réflexion qu’on écrit d’abord pour soi, suivie assez rapidement d’un doute . Puis d’un haussement d’épaule vis à vis de ce doute. Ce n’est pas encore temps, pour assurer la position.

Très difficile en ce moment de lire un livre en tournant les pages l’une après l’autre. Défaut d’attention, impression de déjà vu, boulimie ou fringale, c’est pas ça. C’est se défaire d’une manière de lire liée à l’idée du loisir, de l’évasion.

Lire vraiment, en réalité.

Lecture de Poe hier soir pour tenter de tromper l’insomnie. Mais effet inverse. L’excitation due à l’ironie relevée dans les descriptions d’intérieurs Appalachiens, dans ce petit livre—qui serait digne de figurer parmi ceux utilisés dans ces propositions d’écriture : philosophie de l’ameublement. A moins que ce ne soit grâce à mon assiduité d’y participer chaque semaine que désormais chaque livre soit une nouvelle révélation de possibles justement.

Remarque sur l’utilisation fréquente de ce « justement » Un peu trop fréquente pour être honnête. Sorte de mantra, utilisée à seule fin de tenter d’être juste, de m’en souvenir à défaut de l’être vraiment ? Ou bien simple ameublement, sorte de mobilier hérité dont on ne se souviendrait plus de l’origine. Ce qui me laisse songeur quant à ces mots utilisés à seule fin d’apporter un poids, peut-être une impression de poids seulement, ou de rythme, ou de véracité à la pensée de l’instant. Des mots qui viennent si naturellement sans y penser qu’on ne les louperait pas si on se relisait. Le bon gout de l’ameublement identique à celui d’utiliser les adverbes. Sauf que sur ce point je suis sans doute américain, j’ai le gout du jour, celui du petit bourgeois briguant ou fantasmant le bon gout d’une aristocratie qui n’existe probablement que dans mes rêves.

Désarçonné aussi en téléchargeant le logiciel Antidote pour mobile, essai gratuit pour un mois. Je n’ai pas trouvé la façon de l’utiliser pour corriger des textes. Puis je découvre qu’il faut utiliser une version web dont l’abonnement me semble hors budget pour l’instant. En étudiant les propriétés cependant je découvre une refonte de l’orthographe datant de 1990 qui autorise beaucoup de libertés avec les accents circonflexes et les accents graves. Dans les paramètres de l’application on peut même choisir le genre de graphie traditionnelle ou rectifiée. Très déconcertant. Aucune envie de me mettre à écrire de façon rectifiée. Ce qui me propulse tout à coup à nouveau dans les méandres d’une méditation sur la vieillesse, sur le fait d’être « has been ». Puis d’en rire, de refermer l’IPad et de me dire que j’ai stage toute la journée aujourd’hui. Et de chercher quelques protocoles pour le mener à bien. Voici toute l’ironie de celui qui fait de la prose ( ou du protocole en cours de peinture ) sans savoir qu’il en fait.

Pour continuer

Carnets | Mars 2024

31 mars 2024

Exorcisé, il s’affale : Le voici, regardez ça, plus qu’une baudruche vide d’air, une enveloppe sans lettre sans adresse ni timbre. Le ciel bas gros de pluie, au-dessus d’une caboche vide ; on le voit encore, il marche un peu courbé, c’est presque un vieillard. Tout ce qu’il peut dire à présent n’est plus que fadaises, imbroglio, bribes de phrase dans importance. A outrepasser les limites il n’est plus d’aucune race, d’ aucune espèce, paria de l’univers, un insensé. Bien sûr cette défaite est le reflet exact d’un ancien fantasme. Une inversion salutaire. Il ignore encore à quel point elle est salutaire. Hier, P.M. parle de la nécessité de s’en remettre à un grand Tiers, Dieu, l’Espèce, le Chocolat. Cette nécessité sans quoi le mensonge ne dit pas la vérité. Cette nécessité sans laquelle le mensonge serait un narcisse au bord d’un étang, un narcisse parmi d’autres que le miroir de l’étang renvoie à sa propre adulation ou détestation, toutes deux erronées. Et puis je me suis encore dissipé dans une prostration familière. Sans doute parce qu’on ne peut se passer de familier. Quoiqu’on dise ou fasse afin de vouloir s’en défaire, elle s’insinue depuis notre point le plus lâche, le plus faible. C’est cette familiarité qu’on veut ignorer qui peut aussi emprunter le visage du grand Vide, du grand Absent, du grand Soi. Le bureau est resté vide. Un parquet flambant neuf, ou presque. Comment ranger cette pièce vide maintenant est la question qui demeure, depuis deux jours ; en suspens. Des étagères, des casiers, des meubles assez vus ont été descendus. Certains prendront la route de la déchetterie, d’autres de l’Atelier. Sur le grand lit de la chambre d’amis des piles de dossiers, des livres, des caisses encore bourrées de câbles, de cordons informatiques. Je n’avais pas songé avant de l’écrire sous ces quelques lignes que ce pouvait être l’occasion d’un changement véritable, mort et renouveau. J’avais repoussé le moment, sans doute parce qu’en lisant une biographie d’Henry Miller , à l’âge de quarante ans, je m’étais dit que j’avais encore beaucoup de temps pour me mettre à lire vraiment. Toujours peur qu’il soit trop tard ; et en même temps ce jeu avec sa propre peur ; Et aujourd’hui peur encore, qu’il ne me reste plus suffisamment de temps pour lire d’une façon inédite, une phrase à la fois et surtout découvrir ce grand Tiers à la manœuvre entre chaque signe de ponctuation, entre chaque silence. Même mort peut-on encore par, ce mystérieux effet d »inertie, être toujours si pressé de se rendre au bas d’une page ? Il y a ainsi des attaches d’une existence l’autre, ce qu’on nomme le passé, aussi collantes et donc agaçantes, que de la bande Velcro Ce matin je me réjouis de l’anomalie qui empêcha de publier ce texte sur le nouveau cycle d’écriture. C’est que ce n’était pas assez bon voilà tout. On cherche des signes un peu partout quand on est insignifiant à ce point. Cela m’a permis d’en écrire deux autres totalement différents, comme si la différence était pour moi la seul façon de remonter une pente. Pour le moment je les conserve à l’état de brouillon sur ce blog. Peut-être que le changement s’opère ici aussi, dans la gêne de publier ce dont je ne suis plus très sûr. Dans l’idée aussi d’un travail qu’il faut mener plus loin. Idée détestable entre toutes mais dont le fait qu’elle me répugne m’oblige à reconsidérer la répugnance toute entière.|couper{180}

Carnets | Mars 2024

30 mars 2024

Je recopie des textes de 2022. Sans enthousiasme. Peut-être qu’il faudra avoir le réflexe de tout effacer au dernier moment, ne rien laisser, pas la moindre trace de ces bêtises. Et je ne vois pas de Max à l’entour qui l’empêcherait, qui sauverait tout cela. Ce sentiment double de joie et de désespoir que procure l’écriture, et cette obstination à persister. Comme le fameux K qui veut rencontrer le maître du Château, alors qu’il sait déjà pertinemment que c’est impossible. Que cette impossibilité fonde tout le texte. Prendre de la distance par tous les moyens possibles entre ce moment où j’écris et cet autre où le texte se publie est déjà une action mise en place. Le but semble pratique à l’origine, de ne pas me retrouver à cours de texte pour conserver le rythme des publications quotidiennes auxquelles je veux, pour des raisons assez obscures, me plier. Mais je crois qu’il y a plus qu’un aspect pratique à planifier ainsi ces publications dans l’avenir. Une façon de prendre une distance aussi, comme malgré moi, comme à regret aussi bien souvent. C’est à dire une injonction silencieuse à me détacher ainsi de l’immédiate jouissance d’écrire et de publier tout de go. Ce qui me rappelle à quel point je suis d’une lenteur désespérante alors que je m’imagine souvent, ou je me suis imaginé plutôt tout le contraire. Un nouveau cycle d’écriture sur la nouvelle avec F. Qui ne commence pas bien puisque je ne suis pas parvenu à publier sur la plateforme collective ce prologue, sorte de collection de post-it concernant l’art de ranger ses livres. J’y ai tout de suite vu comme un signe. Un signe que je ne devais sans doute plus participer à cet ensemble. Que je devais m’en éloigner, de cela aussi. Aussi je n’ai pas cherché trop loin les raisons de l’obstacle. J’ai refermé le site et j’ai continué ma journée sans même y repenser. C’est maintenant que j’écris ces lignes que je veux bien m’en souvenir ; que je retrouve le même tiraillement entre le fait de participer ou de ne pas participer à cette nouvelle aventure collective. Ce même tiraillement entre la joie et le dépit. La hantise du bavardage voire du ragot, de la médisance, enfin, d’une certaine bassesse qui s’écrit parfois avec une extrême facilité. C’est ce dont je ne voudrais pas. Mais qui ne me lâche pas la jambe comme un roquet. Quelle image de l’écriture ai-je donc qui la place sur un plan irréel, une élégance inatteignable parce que pour se poursuivre elle nécessite justement de ne jamais toucher au but. Toutes ces pensées, confondues avec des médiations et qui ne sont en somme que ruminations ne font pas un sujet d’écriture. A moins de posséder le génie d’un Gogol, d’un Dostoïevski. Je repense à cette nouvelle où un employé se rend chaque jour à son bureau en empruntant la perspective Nevsky à Saint Pétersbourg et qui maugrée contre un homme, toujours le même qui ne lui cède pas le passage. Toute la nouvelle est fondée sur la rumination de cet homme, sur son ressentiment, sur cette envie de vengeance, de prendre une revanche. Je n’aimerais pas être cet homme là, et pourtant à bien y penser en grande partie je le suis, bien sur que je le suis. C’est exactement là où je perds le principal de mon temps. Quelle image de l’écrivain n’ai-je encore pas détruite en moi que je ne puisse écrire encore comme je veux écrire du fond de moi-même. Et comment écrire ce genre de chose sans passer pour un idiot fini. Comment le publier au regard des autres comme pour dire voyez ce que je suis, je ne suis que ça, rien d’autre, et je suis tout à fait d’accord avec vos observations les plus acerbes à mon encontre. Puis soudain ce retrait qui m’entraine à vouloir tout biffer, tout effacer, tout détruire, pour m’enterrer tout seul au plus profond d’une solitude dont je ne pourrai jamais même si j’y mets de la bonne volonté, ressortir. L’expérience de ce blog est enrichissante par son envers ; On imagine s’élancer vers le monde en publiant des articles qui veulent dire une vérité puis on comprend que cette vérité ne regarde que soi, qu’elle n’intéresse personne d’autre, pas même ceux qui parfois sont mine de s’y intéresser. D’ailleurs le temps, la distance, la régularité finissent, en creusant l’écart avec une certaine volatilité des lectures des lecteurs à nous permettre de poser le doigt sur quelque chose de très spécial : ce trou que l’on creuse comme une tombe, et dont on n’aimerait pas qu’il s’achève en mausolée.|couper{180}

Carnets | Mars 2024

29 mars 2024

La route est longue pour Tipperary, d’ailleurs c’est marqué sur le panneau de la ville désormais, et c’est de l’humour irlandais, pas tout à fait le même que le british, enfin c’est sensé être marrant tout de même. Qu’est-ce qui a bien pu prendre à Jack de chanter cette chanson en 1912 ; en 14 elle deviendra un chant guerrier ; il faut se méfier de ce que l’on écrit comme de ce que l’on chante ; que ce soit pour se rendre à Tipperary ou ailleurs. G. était bien content ; ça se voyait ; il dansait littéralement au beau milieu de la grande salle de l’exposition son tas de papiers dans les mains ; une vingtaine de personnes étaient arrivées quelques minutes auparavant ; on n’y croyait même plus ; il avait tout préparé aux petits oignons ; grâce aux photos et vidéos que je lui avais envoyées ; réglage fin, 15 minutes chrono, 15 tableaux, un texte par tableau. Ensuite nous sommes revenus aux « Gourmands disent » rue Brossolette ; une entrecôte énorme ; je note en passant la bonne idée de remplacer les frites par des navets en tranches comme accompagnement. G. me propose que nous réitérions en octobre prochain notre collaboration picturo-poétique ; Ce sera au-delà d’Albertville, vers Moutiers, dans un village où vit S.B l’actrice et son compagnon musicien célèbre de Jazz, qui sont d’ailleurs des amis de notre futur hôte ; c’est loin octobre je me suis dit ; est-ce que je serais encore vivant en octobre tout de suite après. C. n’a pas dit grand-chose, elle était très calme ; ce qui l’a change du tout au tout. Ils partent en voyage en Europe centrale cet été à la rencontre des personnes rencontrées sur MyHeritage ; avec une carte Interrail. Ce qui me rappelle notre projet avorté de nous rendre S. et moi, en Estonie, presque aussitôt. Ce journal est avant tout un journal. Il faut que je note des faits divers. Les élucubrations littéraires ou pseudo intellectuelles sont de trop. Ce qui peut me fournir une piste de relecture éventuelle. En supprimant tout ce qui n’est pas du fait brut, une bonne cure d’amincissement. Le temps ne compte pas. Parfois je me retourne je me dis ça fait combien de temps mais le temps ne compte pas. Tout ce qui compte c’est de faire le job chaque matin. Cette journée de dimanche s’avère déjà épuisante ; il faut vider tout le bureau et retirer les lattes du parquet afin que N. puisse le refaire à neuf avec les anciennes lames de l’ancien parquet de la cuisine ; celles qui n’ont pas été déformées par l’inondation. Mais en m’organisant bien cela ne devrait pas me prendre plus que la matinée, ensuite si j’ai fini avant 11h, je peux même prévoir un voyage à la déchetterie pour finir l’affaire en beauté.|couper{180}