Si j’avais de la suite dans les idées, je serais joueur professionnel. Hélas je ne suis qu’un amateur. Tout au plus je n’ai qu’ une paire dont je me sers pour bluffer. Encore que le joueur ne cherche pas à gagner autant qu’à perdre. Ou ni l’un ni l’autre. Le joueur joue, la vie passe. Elle est passée. Relire est terrible. Hier suis resté au moins deux heures sur un geste d’enfance, perdu dans des élucubrations sans fin. Car évidemment une mène à une autre et ainsi de suite. en attendant la bille roule ( on entend l’horrible bruit de tourniquet ) Les jeux sont faits et c’est rouge, impair et passe.

Je me sens comme parmi les dernières gouttes d’un évier de cuisine qui se vide.

— Et ça vous gratouille ou ça vous chatouille ?

Sans rire on devient mou. Mourir est bâti sur ça. Et de leur ton docte ils vous patafiolent en se payant vot’ fiole. Sans agressivité, car je n’avais plus guère de temps devant moi, je leur tournai le dos et continuai mon chemin dépourvu de but. Je ne m’en plaignais pas. Ne m’en réjouissais pas non plus. C’était comme ça. Exactement comme ça. Un jour comme-ci un jour comme ça. De deux choses l’une — soit je suis complètement con, soit un génie— Pas de juste milieu n’est-ce pas. En règle général les gens refusent leur génie car il pèse un poids d’âne mort à porter.

Encore un tout petit peu plus loin dit ce vieillard sur les épaules du jeune orgueilleux , je pense que ce village là n’est pas le bon village, c’est celui d’après. Mourir d’épuisement à enchaîner des tâches idiotes, n’est-ce pas notre lot commun… Il ne faut pas oublier de baisser la tête pour voir les chaussures du type prétentieux devant soi, ça remet les pendules à l’heure et ça sent moins mauvais que de l’imaginer sur le trône.

La puanteur envahit parfois les berges du fleuve ( l’Oise ) comme si charriée par le courant. D’amont vers l’aval, il faut ainsi chaque matin avaler sa dose de relents d’ordures, de pourriture. L’apprentissage d’une décomposition du monde ( ou de soi ce qui revient au même ) A l’époque le chemin longeait le fleuve jusqu’à la gare. Il était question de brumes, de brouillard. Les contours n’étaient pas très nets. Il arrivait même qu’on n’y voit rien du tout à un mètre devant soi. Et pourtant la confiance faisait le reste. On avançait pour se rendre à l’école, au boulot, à l’église, au pain, à un rendez-vous, un enterrement, etc.

Ce n’est pas se souvenir le but. C’est reconstruire quelque chose d’effondré depuis avant soi, voire même détruit depuis des siècles. Voire même quelque chose qui n’existe pas, qui n’a jamais existé. C’est très fugace. Mais insistant. Presque aussi insistant que fugace. C’est parfois même énervant, agaçant.

Le pessimisme est aujourd’hui une source d’inspiration plus prolifique que jamais. Dois-je pour autant être pessimiste à tous les moments de la journée. Non, car ça ne sert à rien la plupart du temps. D’ailleurs, être optimiste non plus ne sert plus à grand chose non plus.

Ceux qui s’agacent de mon pessimisme sont très probablement plus pessimistes que je ne le suis, sans le savoir. Encore que je ne sache rien, rien du tout. Voilà le beau mantra qui s’amène, pareil à une licorne qui traverse la brume.

C’est vrai, il y a eu des horreurs sans nom. Mais n’oublie pas les belles choses. Tout n’est pas de la cervelle, il y a aussi de l’œil, de l’oreille, du nez et du gout. les jours de chance, du toucher.

Vous ne touchez pas vingt mille francs et vous allez directement en prison. C’est ce qui énerve puis soulage au Monopoly. Comme voir la distance se creuser aux petits chevaux. Se faire damer le pion. Voir sa reine tomber hors de l’échiquier.