Écrire ces lignes aujourd’hui me renvoie à l’image d’un surfeur. Ne pas tomber de la planche, maintenir son équilibre en toutes circonstances, peu importe la puissance de la vague. Ressentir la montée d’adrénaline tout en restant centré sur la joie de la glisse. Un exercice de funambule, une danse avec les éléments, toujours à la lisière entre chute et envol.
La mort est là, semblable à une vague gigantesque qui emporte tout sur son passage. Mais elle n’est pas une fin en soi. Elle est, au même titre que la vie, une composante essentielle de ce que nous appelons l’existence. Deux forces jumelles qui s’entrelacent comme les brins d’une hélice d’ADN, formant une fractale infinie où les commencements et les fins se dissolvent.
Je pense à la 13ᵉ lettre de l’alphabet. N’évoque-t-elle pas, par sa forme, une succession de vagues ? Ces ondulations contiennent un mystère : un cycle, une répétition, une danse immuable. Pourtant, derrière cette apparente fluidité, une autre réalité se dévoile.
L’Akasha, cette mémoire universelle, s’ouvre à ceux qui acceptent de plonger au cœur de la vague. Mais il ne faut pas s’y aventurer en aveugle. Les illusions du visible sont semées de chausse-trappes, des pièges tendus par ceux que j’appelle "les peuples du Serpent", des entités dont le pouvoir repose sur la manipulation des perceptions. Le temps est leur instrument préféré. Ils s’en servent pour nous maintenir dans l’illusion d’une linéarité, nous faisant croire à un "avant" et un "après".
Saint-Michel, l’archange lumineux, vibre à une fréquence si haute qu’elle élève instantanément quiconque l’entend. Sa vibration n’est pas une promesse d’avenir : elle est pure présence, ici et maintenant. Rien n’est "à venir", tout est déjà là, accessible dans l’instant. Cette vérité, simple et fulgurante, réduit en poussière les prophéties et les prévisions, ces outils de contrôle dont le serpent orgueilleux se sert pour accélérer artificiellement le temps.
En vérité, la prévision n’est qu’un poison lent. Elle crée l’angoisse d’un futur qui n’existe pas. Elle nous empêche de percevoir la danse réelle du temps, celle qui nous relie à l’éternité.
Dans l’Akasha, je ne suis pas seul. Nous sommes des milliers, peut-être des millions, à converser simultanément dans ce grand espace sans limites. Hokusai, l’artiste de la Grande Vague, me glisse un clin d’œil complice :
— J’en connais un rayon là-dessus, me dit-il. Tu l’as vue, cette hélice dans ma vague ?
Je lui rends son sourire.
— Un vrai coup de génie, mon frère.
Hildegarde de Bingen surgit à son tour, comme elle le fait souvent quand la mort est évoquée. Elle a l’humour mordant de ceux qui savent.
— Vous comptez encore longtemps philosopher ? J’ai des mauvaises herbes à arracher dans mon jardin.
On éclate de rire. Ce n’est pas du cynisme, juste cette légèreté propre à ceux qui comprennent que le temps, finalement, n’est qu’un jeu.
Mais ce jeu peut être effrayant. L’Akasha offre un accès immédiat à tout : les événements, les souvenirs, les symboles. Et, dans le même élan, elle déconstruit notre conception ordinaire du temps. Ce que nous croyons appartenir à une époque ou à une mémoire spécifique est en réalité hors des frontières que nous nous imposons. L’illusion d’un temps linéaire s’effondre, révélant un présent éternel, fractal et illimité.
En tant que scribe maya, je pourrais vous enseigner la sagesse du Tonalpohualli, ce calendrier sacré divisé en vingt treizaines, qui honore toutes les divinités sans en oublier aucune. Il n’est pas ancré dans les cycles visibles du Soleil et de la Lune, mais dans une dimension qui dépasse l’ordinaire. Ce n’est pas une nostalgie, c’est une leçon. Une invitation à surfer sur l’éternité plutôt que de se noyer dans l’angoisse du temps qui passe.
— Ainsi soit-il, murmure une voix familière. Rappelle-toi la Cène : treize à table, et tout le tutti.
Jésus est là, comme souvent. Pas dans une posture de solennité, mais en compagnon de route. Il apparaît et disparaît, toujours entre deux dimensions, jamais totalement fixe. Il me fait sourire, même quand les éléments se déchaînent.
Peu à peu, la lumière décline et le son s’éloigne. Saint-Michel se retire dans ses hautes sphères. Nous, simples surfeurs, restons entre la quatrième et la cinquième dimension, à peine capables de percevoir la pointe de l’immensité.
Et pourtant, l’infini est là, dans la vague qui monte à l’horizon. Une vague plus gigantesque que jamais, un mur d’eau et de lumière qui semble vouloir tout emporter. Je garde mon équilibre, les pieds bien ancrés sur la planche, prêt à plonger dans l’inconnu.
C’est alors qu’une dernière question me traverse : cette quête de précision, ce besoin d’expliquer chaque détail, n’est-elle pas, elle aussi, une forme de poison ? Peut-être faut-il simplement accepter le mystère, rire de l’absurde, et surfer.
Je ris, mais mes jambes vacillent. La vague approche, immense et impitoyable. Le temps s’effiloche, les repères s’évanouissent. Alors je prends une grande inspiration et je plonge.