À l’anarchie des formes évanescentes, au changement permanent, j’ai cherché une rambarde, un mur, un parapet pour ne pas sombrer tout entier dedans, mais c’était nettement moins intéressant de regarder la vie comme ça, enfermé dans mon atelier à construire pierre à pierre mon grand caveau pour la postérité. On m’a dit : « Trouve ton style » et j’ai pensé art funéraire. C’est que dans le fond du fond je ne suis fait que de cette vie et de ce changement qui ne cesse de l’accoucher de vague en vague. Sur mes toiles que j’ai confondues avec des planches de surf, je suis monté nu comme un ver pour commencer un voyage sur le haut des vagues qui ne s’est achevé que récemment. Mon défaut, si l’on veut, c’est que je ne voulais pas crever avant d’avoir vu du pays. Au début j’avais mal saisi, j’ai pris des bus, des avions, et j’ai marché, marché loin, très loin, jusqu’à tomber le cul par terre de fatigue. La peinture m’a ouvert des pays que je ne connaissais pas, des paysages intérieurs. Alors j’ai peint, peint et encore peint comme un gamin qui s’extasie de la répétition jusqu’à tomber encore une fois le cul par terre. Les gens m’ont dit : « Oh mais on dirait que ce n’est pas le même peintre qui fait tous ces tableaux », les gens m’ont dit : « Oh comme c’est beau », mais ceux que j’ai le plus entendus, ce sont ceux qui n’ont rien dit. Ceux-là, j’ai tenté de deviner leur silence et en m’engouffrant ainsi j’ai compris peu à peu mon propre silence. En fait mes toiles n’étaient que mutisme alors que je les imaginais silence. Je suis encore le cul par terre de nouveau, mais quand je jette un coup d’œil en arrière je me dis : « Wouah, quel chemin ! » Je me félicite, je m’acclame, je m’honore, je m’aime. Je m’aime plus, en fait, désormais, et peut-être que tout ce chemin n’était là que pour cela et pour qu’en même temps je me mette à t’aimer mieux toi aussi.