
Ce soir-là, dans ma chambre d’hôtel, j’ai ouvert le carnet à nouveau. Je ne savais pas pourquoi, mais quelque chose m’a poussé à chercher. À relier.
Je me souvenais des livres que j’avais lus, à la bibliothèque du Centre Pompidou. Ceux sur Moenjodaro, bien sûr. Mais aussi sur des récits plus anciens, plus familiers. La Genèse. Les histoires de la création. Le Déluge.
Et ce symbole que j’avais vu sur la figurine. Trois lignes croisées. Pas une étoile. Pas un simple dessin. Quelque chose d’autre.
Dans ma tête, un souvenir s’imposa. La lettre hébraïque Shin (ש). Trois branches, qui s’élèvent. La lettre du feu, de la destruction, mais aussi de la vie. Le symbole du Nom ineffable, le Tétragramme. YHWH.
Je pris un crayon et commençai à esquisser le symbole que j’avais vu sur la figurine. À mesure que je dessinais, il prenait une forme différente. Une croix. Une étoile. Puis à nouveau ces trois lignes, semblables au Shin, mais déformées.
Et si ce que j’avais vu n’était pas seulement un artefact ?
Dans la mythologie de Moenjodaro, il y avait cette idée d’un monde englouti. Un monde perdu, consumé par l’eau ou le feu. Les archéologues parlaient de catastrophes climatiques, d’invasions aryennes. Mais les récits non écrits, ceux que l’on devinait à travers les figurines et les sceaux, évoquaient autre chose.
Un effondrement lié à une puissance invisible. Quelque chose de trop grand pour les humains.
Dans les textes hébraïques, il y avait aussi cette idée. La Tour de Babel, où l’humanité défie Dieu et est brisée. Le Déluge, où l’eau nettoie la terre d’une humanité corrompue. Et ce feu qui descend sur Sodome et Gomorrhe.
Moenjodaro, Sodome, Babel : était-ce des récits séparés ? Ou des fragments d’une même histoire, racontée sous des noms différents ?
C’est à ce moment-là que je l’ai vu, ou cru voir. Il était dans le miroir, à l’autre bout de la pièce. Pas vraiment une silhouette. Juste une ombre. Une distorsion.
« Vous avez commencé à comprendre », a-t-il dit.
Sa voix n’avait pas besoin de passer par mes oreilles. Elle était directement dans ma tête.
« Moenjodaro et vos récits ne sont pas si éloignés. Les mémoires s’entrelacent. Les peuples ont d’autres noms, mais les fragments sont les mêmes. Ce que vous appelez un mythe est une empreinte. Ce que vous appelez une légende est une rémanence. »
Je me suis figé.
« Le symbole, » ai-je murmuré.
« Le symbole est une clé. Il ne s’agit pas d’un alphabet. Ni de Moenjodaro, ni des vôtres. C’est un seuil. »
J’ai voulu parler, mais ma gorge était sèche. Je me suis retourné, et il n’était plus là. Mais le carnet était ouvert devant moi, à une page que je ne me souvenais pas avoir remplie.
Il y avait une phrase. Je l’ai lue plusieurs fois avant de comprendre qu’elle était écrite dans deux langues en même temps : l’hébreu et ce que je supposais être un fragment d’écriture de Moenjodaro.
Les mots, que je ne pouvais déchiffrer complètement, semblaient se répondre, comme un écho.
Je sentais que j’étais proche de quelque chose. Mais de quoi ?