Nuit d’insomnie.

Un ciel presque de nuit, les nuages se sont amoncelés, nuages d’orage. La lune est un cerveau en ébullition, clarté (blafarde ?). Les pensées sont des éclairs, l’air sent la foudre, et il est là, allongé de tout son long là-dessous. Il se dit que l’épuisement arrive toujours par surprise, au moment où l’on s’y attend le moins. Il veut dormir, mais plus il le veut, moins il y parvient. Finalement, il se lève, sort du lit et se retrouve sur une grande plaine avec ce ciel au-dessus de sa tête. Son cerveau est là-haut ; il le voit en fermant les yeux, en tentant de reprendre son souffle.

Le jour est encore loin.

Les idées défilent. Il faut que je les écrive avant qu’elles ne s’échappent, mais je ne les écris pas. Je les laisse filer. Ce sont des idées tellement terribles, somptueuses, des idées qui ne correspondent pas à ce crâne, à ce cerveau-là. Je résiste à la volonté de chaque idée qui défile. Je ne l’attrape pas, je ne l’écris pas, et ça me fait du bien, un vrai soulagement.

Impression qu’on ne s’en sortira pas, que la menace est de plus en plus présente. La peur rivalise avec l’épuisement, mais elle n’est plus une surprise. Je préfère les surprises, je préfère l’épuisement.

Pas besoin d’être allongé pour dormir ; c’est même tout le contraire. Plus je m’allonge, moins je dors.

Plus je suis debout, plus je suis épuisé, plus quelque chose en moi se repose.

Peut-être que je suis un arbre planté sur cette plaine. Je regarde mon cerveau ; il se prend pour la lune, il me regarde tout en bas, il ne me voit pas, il croit que je suis un arbre
(mort ?)

Des choses insignifiantes de cette journée, auxquelles je n’ai pas voulu prêter trop d’attention, parce que je crois (c’est une façon de s’évader) qu’il peut encore y avoir des choses insignifiantes.

Le dibbouk est là aussi, à quelques pas de l’arbre que je suis. La lumière l’a pétrifié, c’est un troll, une grande pierre levée au milieu de la plaine, un milieu presque semblable au mien, mais pas tout à fait.

Il veut parler, mais il est épuisé lui aussi. Et puis, une pierre ne parle pas, c’est ce qu’il se dit. Je pourrais en profiter, mais je suis beaucoup trop épuisé moi aussi. On reste là, immobiles sous les nuages qui s’amoncellent, on dirait que nos narines seules sont en vie, à renifler l’air qui sent la foudre.

Le silex aussi sent la foudre.

Je ferais bien des étincelles, j’allumerais bien un feu, mais je suis trop épuisé. C’est arrivé d’un coup quand j’ai vu toutes les idées qui arrivaient comme des nuées, des cohortes toutes habillées, chaussées, armées de mon cerveau lunaire.

La surprise est d’abord effrayante, mais on s’y habitue vite. À peine surpris, on passe déjà à autre chose, attendant une nouvelle surprise, un épuisement encore plus grand.

Le dibbouk se tait, il est déçu, il n’a pas pris le bon corps, n’a pas possédé la bonne âme qui l’a empoisonné, épuisé lui aussi.

La pluie commence à tomber. C’est bien, c’est ce qu’il nous faut. Elle tombe sur nos épaules et coule de notre nez. C’est bien, la pluie qui commence à tomber, mais ce n’est pas une surprise aussi forte que l’épuisement. On pense avoir épuisé toutes les surprises ; il faudrait un peu d’espoir, un peu moins de vanité, et tout ira bien.

La nuit s’achèvera sur un nouveau matin.