Bouffées de honte assez régulières liées à la relecture. Question : faut-il réécrire un texte de 2018 ou 2019 ou même d’hier que désormais tu trouves médiocre ? Qu’est-ce que tu nommes médiocre ? Tu n’es pas à ce que je sache un perfectionniste. Ou alors tu ne veux pas t’avouer que tu l’es. Tu refuses d’être un perfectionniste. Mais ça ne résout en rien le fait que tu l’es. Il s’agit donc d’un point de vue figé avec l’idée de la perfection.
Autre idée qui trotte parallèle à la honte produite sur toi par tes propres écrits : un tel, une telle, fait mille fois mieux. Mille, c’est-à-dire l’infini. Ce qui est le gant retourné exactement de cette honte. Une façon de botter en touche assez primaire, enfantine. Totalement incongrue à côté des développements acrobatiques avec lesquels tu jongles au quotidien. C’est encore une fois la division. La séparation. Le symbole brigué par le diabole. Le désir d’une unité fantasmée. D’un contrôle. Tu serais donc Un. Dieu. Le ridicule, tu le vois, puis très vite tu l’oublies. Tu le vois, tu ne veux plus le voir. C’est en cela que tu t’écrases au sol. Peut-être que c’est pour mieux expérimenter la chute. Pour accompagner tout ce qui chute, victime de la gravité mensongère.
Écrire, c’est une drôle d’affaire. Vous pensez que ça vous fera du bien, que ça arrangera quelque chose en vous. Mais la plupart du temps, ça vous met juste face à tout ce que vous n’arrivez pas à dire. Tout ce que vous avez raté. Tout ce que vous ne savez pas faire. C’est comme ça que ça marche pour moi. Chaque fois que je relis ce que j’ai écrit, je me sens mal. Ça me tombe dessus comme une mauvaise gueule de bois. Les phrases sonnent creuses. Les idées se perdent. Je vois toutes les failles, toutes les faiblesses. J’ai envie de tout jeter. Mais je continue quand même. Pourquoi ? Je ne sais pas. Peut-être parce que je ne sais rien faire d’autre.
Kafka aurait compris ça. Lui aussi pensait que tout ce qu’il écrivait était mauvais. Il voyait ses mots comme une trahison. Une foutue trahison. Mais il écrivait quand même. C’était plus fort que lui. Peut-être que la honte qu’il ressentait, c’est ce qui le poussait à recommencer. Il y avait un combat en lui, quelque chose qu’il n’arrivait pas à lâcher. Et moi, je crois que c’est pareil pour moi. Pour beaucoup d’entre nous. La honte, c’est une sorte de feu qu’on porte en soi. Ça brûle, mais ça éclaire aussi.
En lisant Ernaux, Duras, Woolf ou même Cioran, je vois que leur honte est aussi la mienne. Que leurs failles sont les miennes. Et c’est peut-être ça, la plus grande leçon de mes lectures : écrire, ce n’est pas guérir. C’est habiter ce qui nous fait mal. C’est brûler, un peu moins seul.