Comment, c’est la question, il fait, lui, l’auteur. Entouré d’objets hétéroclites, dans ce formidable fouillis, comme cerné par un ennemi, comme si ça lui était indispensable. Il pourrait ranger, c’est ce que dit son épouse : Tu n’en as pas marre de tout ce désordre ? Mais là, il résiste.

— Si, bien sûr j’en ai marre, lui confie-t-il, et il continue quand même comme avant.

Elle connaît son style dilatoire. Elle accuse le coup. Elle sourit aussi. Ces deux-là sont complices par la force des choses.

Sur la table de travail de l’auteur, quel désordre ! Une truie n’y retrouverait pas ses petits, dit-elle. Il réplique : on dit truie, pas cochonne. Ils sont là dans le couloir entre les deux bureaux, se toisent un coup, puis rigolent. Mais quand même, revenons à nos moutons. Le désordre qui l’agace, elle, lui fait peur. Alors que sur mon bureau à moi, tout est calme, ordonné, tranquille — pense-t-elle. Elle a beau chercher une raison valable, elle ne comprend pas le désordre. Lui, dit parfois que c’est, plus ou moins, sa façon à lui de s’y retrouver. Lui, il a peur de l’ordre, c’est encore autre chose.

Hier, ils décident d’aller à la séance de 18h15. C’est la première fois qu’ils le décident. Enfin, ils décident de s’y rendre ensemble, plutôt en fin de journée. À 17h45, le nouveau cinéma n’est pas loin, mais ils taillent large. Ils sortent de la maison, remontent la rue en sens unique pour atteindre le parking. Il fait la réflexion à voix haute que les jours rallongent. Ça leur paraît juste et encourageant. Elle dit qu’il fait beau même si un peu froid. Ils veulent prendre sa voiture, mais la porte passager résiste.

— Elle est bloquée, dit-elle.

— On va finir par être en retard, pour une fois qu’on y va ensemble. On n’a qu’à prendre la mienne, répond-il.

Ils ont chacun un véhicule, mais le sien, c’est autre chose qui ne va pas : le chiffre 4 sur la vignette collée sur le pare-brise et quelques menues petites choses encore. Il tourne la clé, les voyants s’allument, puis après quelques secondes s’éteignent, c’est le moment de tourner plus loin la clé pour démarrer. Il démarre en trombe et en marche arrière pour effectuer la manœuvre d’extraction de la Dacia du parking.

— Hé, pas trop vite, c’est bon, on est quand même dans les temps, le film n’est qu’à 18h15, dit-elle.

Mais lui pense qu’il peut y avoir foule, qu’il faut arriver bien avant.

Il faut prendre la grande rue du village puis tourner à droite comme si on allait à la déchetterie. Il aperçoit une rue sur la droite après le pont, il s’y engagerait bien pour changer d’itinéraire. Elle le dissuade aussitôt mais, joignant le volant à la pensée, il a déjà tourné. Il freine sec. Le véhicule est maintenant immobilisé au milieu du virage.

— C’est dangereux de rester là, qu’est-ce que tu fais ? dit-elle.

— Je réfléchis, dit-il.

Elle a peur.

— Vite, ne reste pas là, c’est dangereux ; d’ailleurs, une voiture arrive derrière eux.

Il effectue la manœuvre pour replacer la Logan dans le droit chemin. Puis il tourne à la prochaine à droite, la route habituelle pour se rendre à la gare qu’ils devront dépasser pour parvenir au nouveau cinéma.

Il se glisse dans une place trop étroite, prenant soin de lui demander de sortir avant de se garer. Mais c’est lui qui est coincé par la Citroën C4 garée à main gauche. Il extrait la bagnole encore et manque de perdre un rétro, cherche un autre stationnement, le trouve, et la rejoint. C’est le crépuscule, il est 18h pétantes sur l’écran du smartphone qu’il consulte car on ne sait jamais avec le temps. Le bâtiment du cinéma est rénové de frais, on ne reconnaît plus l’espèce de ruine qui autrefois fut, dans une période d’opulence, un établissement florissant où le vin coulait à flots, une coopérative vigneronne.

Il est déjà venu une fois lors des vacances scolaires, avec les petits-enfants, il pense à ça quand il sent sa main qui prend la sienne.

— Je suis contente qu’on vienne ensemble, dit-elle. Comme tu as la main chaude, ajoute-t-elle.

Et ils marchent jusqu’à l’entrée sur une allée de granulats qui bifurque à droite, il le sait, pour y parvenir. Il observe les néons sur la façade, se demande si la couleur est rose ou violette, il laisse en jachère pour plus tard.

Pas de file d’attente, le hall est presque désert sauf le gérant et son assistante chacun assis derrière une caisse à patienter. Ils montrent les tickets qu’elle a imprimés sur des pages A4 et que leur fils aîné leur a offerts il y a un mois déjà durant les fêtes.

— Tu te rends compte, 6 € la place, on aurait payé 7 sinon avec la réduction pour les vieux ou 8,50 si on avait encore été jeunes.

Lui calcule comme toujours. 37 francs et des brouettes dans un autre temps ou 48 plein pot.

Du coup, ils achètent pour 6 euros — 36 francs de popcorn. Le format moyen, on n’exagère pas non plus.

— Ah, c’est comme ça exactement que c’est bien le cinéma, dit-elle toute réjouie.

Lui est content qu’elle le soit et ils s’assoient en attendant la suite.

Ce sera la salle 1, dommage, encore la petite salle. Enfin, ils sont à l’heure : à 18h10, ils entrent et sont seuls ; deux personnes viennent ensuite et c’est à peu près tout.

— Et en plus il y a avant le film la publicité, dit-elle, c’est génial.

Reprise de « Courir » d’Echenoz, retrouvé au fond d’une étagère. Le lire maintenant avec un autre œil comme de plus en plus ces derniers temps les autres bouquins. Ceux qu’on avale tellement vite dans la jeunesse comme affamé.

Un mélange savant malgré l’apparente simplicité dont il faut se méfier. Pas si facile à imiter. Le dosage entre les détails précis et ces petits bouts de phrase qu’il va pêcher dans le langage courant, parfois familier, mais tout de suite presque enseveli par un mot savant (enfin, savant pour moi). Comme ce « dilatoire » qui fait irruption après un « ça va bien », il y va à Berlin.

Envie de prendre le temps pour répondre à la proposition de l’atelier de F. Que ce soit pas trop court pas trop long déjà. Penser à la fin au format. Et puis écrire plusieurs fois la même chose sans doute et encore. Le lire ensuite à haute voix. Mais pas trop de prévision quand même, la surprise venant toujours en faisant.