Valère Novarina, né en 1947 à Genève et ayant grandi sur les rives du Léman à Thonon, est un créateur protéiforme : écrivain, metteur en scène, peintre et dessinateur. Son œuvre, profondément enracinée dans une quête ontologique et artistique, traverse les frontières entre les médiums. Théâtre, peinture, dessin et écriture dialoguent, s’entrelacent, et se nourrissent mutuellement pour exprimer une recherche commune : celle de l’essence de l’humain.
Chez Novarina, le langage n’est pas un outil descriptif mais une matière vivante, organique, presque charnelle. Il le travaille comme un sculpteur polit la pierre, explorant son poids, sa sonorité, son mouvement. Les mots s’accumulent, éclatent, se combinent, ouvrant des dimensions nouvelles. Dans L’Origine rouge ou Le Drame de la vie, cette énergie verbale devient presque une force brute : les mots semblent dotés d’une vie propre, s’agitant et se transformant comme des corps en mouvement.
Cette approche du langage dépasse le monde matériel. Elle s’ancre dans une quête métaphysique : Novarina interroge ce qui échappe – l’invisible, le sacré, l’ineffable. Pour lui, le théâtre est un lieu de convocation des forces immenses, un espace sacré où l’on tente de toucher à l’essence de l’être. Dans Le Babil des classes dangereuses, par exemple, le personnage de l’auteur devient presque un médium, convoquant des figures humaines et divines dans une cérémonie où chaque mot est une incantation.
Dans toutes ses créations, qu’il s’agisse de théâtre, de dessin ou de peinture, Valère Novarina place la figure humaine au centre, mais dans un dépouillement extrême. Il élimine tout contexte, tout lieu, tout objet, et même tout détail psychologique. Ses personnages ne sont pas des entités réalistes mais des fragments abstraits, des voix, des ombres. Dans L’Acte inconnu, ces figures portent des noms improbables – Maître Souvenir-Buvard, Petit Geste-du-Public, Nez Rentrant – qui abolissent d’emblée toute illusion narrative ou psychologique.
Ce dépouillement permet à Novarina de remonter aux racines de l’humanité. Il cherche non pas à raconter une histoire, mais à explorer ce qui constitue l’être dans sa dimension la plus essentielle. Il écrit, dessine, peint des corps en mouvement, traversés d’une énergie qui dépasse leur individualité.
À partir des années 1980, Valère Novarina étend son travail au dessin et à la peinture, qui deviennent des moyens complémentaires d’explorer son univers. Ses personnages, déjà vivants dans ses textes, réclament une autre forme de chair, une existence visuelle. Dans Le Drame de la vie (1986), il réalise 2587 dessins représentant les personnages de la pièce. Dans ces dessins, le nom de chaque personnage précède sa forme, comme si le mot était la matrice de l’image.
La peinture, elle, apporte une énergie différente. Rapidité, geste, spontanéité : Novarina décrit la peinture comme un acte urgent, presque instinctif. « Par la peinture, j’ai réappris peu à peu des choses que j’avais oubliées à force d’écrire, j’ai retrouvé le geste, le mouvement, la joie de faire apparaître toutes choses très vite », confie-t-il. Cette urgence se retrouve dans des performances telles que 24h de dessin à la galerie L’Ollave à Lyon, où il réalise 1021 dessins en une journée, ou Générique performance à Dijon, où il dessine les 2587 personnages de Le Drame de la vie en deux jours.
Dans ses tableaux, les gestes amples et fiévreux de la brosse traduisent une intensité presque rituelle. Comme dans ses textes, la vie – mouvement, flux, énergie – traverse ses œuvres, rendant leur lecture viscérale.
Sur scène, Novarina fait exploser les mots. Son théâtre est un lieu de vie brute, de flux continu, où la langue est affranchie de son rôle descriptif pour devenir une vibration pure. Dans L’Origine rouge, les mots ne sont pas faits pour être compris mais ressentis, comme une musique primitive, une incantation.
Les comédiens, sous sa direction, incarnent cette énergie. Ils ne jouent pas des personnages, mais deviennent des vecteurs du langage, des corps traversés par le souffle des mots. Dans cet univers, le spectateur est emporté par une cadence hypnotique, où chaque mot résonne comme une pulsation.
Valère Novarina me fascine par son ambition démesurée : il ne se contente pas d’écrire ou de peindre, il cherche à révéler ce qui nous constitue dans notre essence la plus profonde. Par son travail, il nous invite à dépasser les conventions narratives et esthétiques, à explorer le langage, le corps, le geste comme des forces vitales.
Son œuvre, traversée par une énergie brute, nous rappelle que l’art – qu’il s’agisse de théâtre, de peinture ou de dessin – est avant tout une quête, un acte de vie. Avec Novarina, on apprend que créer, c’est convoquer, faire surgir, donner chair à l’invisible. Et c’est cette intensité, cette radicalité, qui fait de son travail une source d’inspiration inépuisable.