K. était assis près de la fenêtre, une tasse de café tiède devant lui, regardant distraitement la pluie. Les gouttes coulaient lentement sur la vitre, suivant des trajectoires imprévisibles. Il aurait pu s’intéresser à autre chose, mais non. Il se laissait porter par cette dérive aqueuse.

L’autre homme arriva sans qu’il s’y attende. Un mouvement, un manteau qui glisse sur un dossier de chaise, un sourire large, un salut ample. Puis la question, légère et inévitable :

— K. ? Mais qu’est-ce que tu deviens ?

K. leva les yeux, esquissa un sourire incertain. Il avait vu venir beaucoup de choses dans sa vie, mais pas celle-là. Il haussa vaguement les épaules.

— Oh, pas grand-chose.

L’autre homme s’installa plus confortablement, fit rouler une cigarette entre ses doigts. Il prit son temps, souffla la fumée en l’air, observa K. comme s’il s’agissait d’une œuvre en cours d’évaluation.

— Pas grand-chose, ça veut dire quoi ?

K. sentit une chaleur lui monter à la nuque. Il aurait pu répondre n’importe quoi. Donner une profession précise, n’importe laquelle. Il aurait pu, mais il ne le fit pas. Il regarda sa tasse, en traça le contour du doigt.

— Je fais un peu de tout, dit-il.

L’autre plissa les yeux.

— Un peu de tout ?

— Oui, un peu de tout.

La conversation aurait pu s’arrêter là. Il suffisait que l’autre se lasse, qu’il détourne le regard, qu’il enchaîne sur un sujet plus neutre. Mais non.

— Et à côté ?

K. sentit une légère crispation. Il aurait pu être ailleurs, ça n’aurait rien changé. Il eut un geste vague de la main.

— Rien de très intéressant.

L’autre eut un sourire. Pas un sourire narquois, non, plutôt une curiosité patiente.

— Rien d’intéressant ? Mais encore ?

K. tenta d’esquiver, de renverser la question.

— Et toi ?

L’autre se redressa, prêt à dérouler le fil de son histoire. K. l’écouta distraitement, acquiesça au bon moment. Une stratégie de diversion. Mais elle était vouée à l’échec.

— Et toi, alors ? Ce que tu fais, en vrai.

K. sentit son corps se raidir. Un instant, il crut qu’il allait répondre autrement. Dire « j’écris ». L’affirmer, simplement. Mais il n’en fit rien.

— J’écris un peu, mais bon, rien de sérieux.

L’autre haussa les sourcils.

— Tu écris ?

Un silence. K. avait déjà trop dit. Il aurait voulu reprendre ses mots, les défaire, les effacer.

— Oui, enfin, vite fait.

— Des romans ? De la poésie ?

K. sourit, mais sans conviction.

— Rien de tout ça. Juste des trucs comme ça, pour moi.

L’autre le scruta. Pas de jugement apparent, juste un constat.

— Tu écris, donc.

K. observa sa tasse. Il pouvait parler. Il pouvait dire que l’écriture occupait tout, qu’il empilait des pages, qu’il n’osait pas les montrer. Il pouvait dire qu’il était écrivain. Il ouvrit la bouche.

Puis il renonça.

— C’est un passe-temps, rien de plus.

L’autre opina lentement. Le moment était passé. La conversation reprit un cours plus banal, plus sûr. Mais K. savait.

Dehors, la pluie avait cessé.

Il referma la porte derrière lui. L’appartement était silencieux, une lumière artificielle blafarde accentuait le décor vide. Il posa ses clés sur la table, laissa son manteau glisser sur le dossier d’une chaise, resta un instant debout, immobile, avant de se diriger vers son bureau.

Il alluma la lampe, ouvrit son carnet. Il écrivit.

D’abord, la scène telle qu’elle s’était passée. Puis, une autre version, une où il aurait dit ce qu’il fallait dire, une où il aurait assumé. Il observa les deux textes, sentant un léger vertige devant ces réalités parallèles.

Il referma le carnet, posa ses mains sur la couverture noire, fixa un point vague devant lui.

Puis, dans un souffle presque imperceptible, il murmura :

— Je suis écrivain.

Personne ne l’entendit.

Musique : David Bowie Ashes to ashes