février 2025
Carnets | février 2025
02 février 2025
Visionné Le Journal du regard ( janvier 2025) de Pierre Ménard et redécouvre la ville telle que j'ai l’impression de l’avoir laissée depuis 1990. Peut-être un petit temps d’adaptation. Mais ces promenades sont les mêmes. Le texte lu me rappelle cruellement à la perte de mes carnets Clairefontaine. Mais ce n’est qu’un fantasme d’imaginer que j’écrivais à l’époque de telles choses. Bien sûr que non. C’était une autre errance. Peut-être que toutes les errances écrites, à la fin, se valent. S’intéresser aux travaux des autres me dédouanerait de leur adresser la parole, me prodiguerait bonne conscience. Si j’avais encore besoin d’une bonne conscience. Non, ce n’est pas ça. Le solipsisme ne fonctionne que lorsqu’on est encore jeune, vigoureux, bon marcheur. La vérité est que je ne peux me passer des autres et que je ne peux en même temps aller vers eux. Pour quoi faire ? Pour quoi dire ? Juste l'impression d'une présence fantome, la mienne, la leur, la nôtre. J’ai repensé à la rue Custine, que j’empruntais beaucoup dans les années 80, puis en 85 et encore en 90, trois époques de ma vie parisienne. Je me souviens que, sitôt que je m’y engouffrais — peut-être pour me rendre à Jules Joffrin, peut-être vers Montmartre —, je renouais avec d’autres époques encore bien plus lointaines que je n’avais pas vécues dans cette vie. Pur fantasme, bien sûr. Et je pensais que nous avions été nombreux à voir les platanes reverdir, à projeter leurs ombres rafraîchissantes, l’été. Il me semble que si je devais choisir un lieu qui caractérise au mieux l’impermanence, l’intemporel, ce serait celui-ci : la rue Custine, ses platanes — à moins que ce ne fussent des tilleuls. Et voilà comment on revient au présent : par le doute. Il semble, par ces temps d’apocalypse, que tout a été dit, que l’on n’a plus tant besoin de les entendre, ces dits, que de les partager. Pas tous. Certains. Le choix effectué en dira encore long sur ce que l’on tait, ce que l’on fait parfois semblant d’entendre, comme on fait semblant de vivre pour ne pas disparaître au premier coin de rue qui s’offre, telle une opportunité. Musique : Méditation from Thaïs|couper{180}
Carnets | février 2025
01 février 2025
Avant-hier, M. m’a tendu un bout de papier à la fin du cours. Deux adresses, des numéros de téléphone, et ce mot en capitales : POSSEDÉE. J’ai replié le papier, je l’ai glissé dans ma poche. Ce matin, il a disparu. Peut-être jeté avec les tickets de caisse, peut-être oublié quelque part, entre deux pages, au fond d’un livre que je ne rouvrirai jamais. J’aurais pu le noter ailleurs. Je ne l’ai pas fait. J’ai bien peur que ce soit volontaire. — Je dors par morceaux, par tranches courtes, deux heures tout au plus. Puis je reste allongé, à l’écoute d’un silence compact, inentamable. Cette nuit, j’étais graphiste pour un groupe de jazz en banlieue parisienne. On m’avait commandé une affiche. Je me souviens de la peinture que j’ai réalisée : des formes nettes, des couleurs profondes, un bleu qui vibrait encore dans mes yeux au réveil. Une affiche parfaite. Disparue. Comme si quelque chose, à l’intérieur, décidait que rien ne devait rester. — Hier soir, avec les R., nous avons compté les Alzheimer autour de nous. Un bon paquet. Des précoces. Un type de 55 ans, une femme de 66. À chaque nouveau nom, je me suis retenu de me toucher le front, la mâchoire. On parle. On meuble. On sort des phrases en kit : Mais tout à fait. Mais bien sûr. Assurément. Et comment. Et puis cette pensée, soudaine : Alzheimer a peut-être aussi ses bons côtés. J’ai gardé ça pour moi. — Hier, c’était initiation à l’aquarelle pour le groupe du jeudi. Je peignais et en même temps, je ne peignais pas. Quelqu’un d’autre tenait le pinceau. Un mouvement sûr, un tracé qui ne m’appartenait pas. Quand j’ai levé la tête, ils étaient là, autour, à regarder. Il y a eu des oh !, des ah !, des exclamations contenues. J’ai souri. Mais jaune. — Les conversations tournent en boucle. Les petits-enfants. Les maladies. Les mots de vieux, les peurs de vieux. Alors je pense à partir. Prendre un sac tube. Ne rien dire. Suivre une ligne droite, ventre à terre. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, une part de tarte aux pommes. Une gorgée de thé. Quelques pages de Léviathan, même si c’est laborieux vers la fin. Ne pas disparaître tout de suite. Attendre encore un peu. Ecrire un nouvel édito pour février|couper{180}