Ce lundi 3 juin, lors de mes trajets aller et retour vers C, j’écoute attentivement deux émissions où Pierre B. intervient. Les nuances de son discours captent mon intérêt ; je prends des notes que je prévois de développer pour une publication prévue le 8 juin. Les réflexions de Pierre B. me ramènent à la figure de Pierre D., un camarade d’enfance de Villevendret. Malgré une différence d’âge notable, Pierre D., encore adolescent dans mes souvenirs, partageait avec Pierre B. une résilience remarquable, avançant avec une méthode et une prudence qui façonnaient leur approche de la vie.
Dans le hameau où j’ai sporadiquement passé mes étés, et où Pierre D. a vécu depuis sa naissance, la monotonie et l’isolement dominaient. Toutefois, ce cadre, aussi austère soit-il, possédait une singularité qui stimulait, à sa manière, une sensibilité particulière, propice à l’émergence d’émotions intenses typiques de l’adolescence.
Les gens de ce lieu, principalement des agriculteurs, ne semblaient ni capables ni désireux de s’exprimer par des mots. Face à mes questionnements souvent silencieux, ils répondaient par des silences encore plus lourds, presque dévastateurs. Je trouvais alors refuge dans l’observation de leurs visages, cherchant des indices avec la minutie d’un linguiste étudiant une langue obscure. Avec le temps, j’ai développé un dictionnaire personnel, traduisant leur gestuelle et leurs expressions en une langue que seul mon imagination peut comprendre et utiliser.
Aujourd’hui, loin de Villevendret, je vis dans un autre bourg une autre région de France tout aussi sinistrée, l’Isère, où la vie rurale bat un rythme à la fois semblable et différent. Chaque semaine, je prends la route pour donner des cours de peinture à un groupe d’adultes. Ces trajets sont rythmés par des émissions littéraires qui m’accompagnent. Depuis toutes ces années j’ai toujours le sentiment d’être ignorant, d’avoir des siècles de culture à rattraper. L’ennui et la merveille de mon enfance dans ce hameau isolé me semblent désormais être les fondations sur lesquelles j’ai construis mon parcours d’enseignant et de peintre. Ils sont pour moi ce qui me pousse à explorer encore et toujours, à me nourrir du dialogue entre le territoire, le passé, le présent et l’infini des savoirs que je cherche à rattraper.
Bientôt les élections européennes et mon premier réflexe fut de m’abstenir de me rendre aux urnes. Puis finalement il est tout à fait possible que j’y aille, que je place un bulletin blanc pour bien marquer symboliquement l’écart que j’éprouve avec toute cette réclame politicarde. Eu égard au fait que le capitalisme puis la mondialisation on déjà rendu muettes des parties entières de nos régions, que par leur intermédiaire, les révolutions les luttes, les guerres ont épuisé les êtres qui désormais vivent leur quotidien d’une façon blasée, comme déconnectée de l’effervescence des grandes villes. D’ailleurs les grandes villes n’offrent plus guère d’attrait même au citadin de fortune que je fus, aucun intérêt à me promener dans des ruines, à contempler les enseignes de banques, des agences immobilières, ou d’assurances, des grands magasins vendant du vêtement, de l’uniforme. En me garant sur le parking, le feuillage des arbres était d’un magnifique vert tendre, j’eu l’impression fugace associée au vif plaisir de me reconnecter avec la nature quelques instants, à renouer un dialogue interrompu depuis bien longtemps.