L’art et la folie, la folie et l’art, y a-t-il un ordre, une combinaison particulière, ou bien n’est-ce pas plutôt ce bon vieux serpent qui ne cesse d’onduler en cherchant sa tête ? Dans le jardin d’Eden, si tous les fruits sont permis sauf un, le goût de tous les autres devient insipide. Quand on découvre finalement ce fruit interdit, quand on connaît le goût du petit pois, du pois cassé, bien arrosé de jus de pomme, on réalise qu’on est un pois parmi tous les autres pois de l’univers, une bonne vieille pomme tombée au sol. Le serpent s’élève, devient dragon et nous souffle comme une chandelle.

Notons l’alternance entre les jours avec et les jours sans, et les nuits aussi – une barre verte, une barre rouge. Si l’on suit cette pratique toute une vie, et que l’on dépose ensuite toutes les feuilles maculées de rouge et de vert dans un champ, on obtiendra peut-être une image assez juste de ce bon vieux serpent. Cependant, trouver un début, une fin, la tête ou la queue reste aussi difficile pour nous que pour lui.

L’ondulation est partout. Mon père travaillait jadis dans une société qui vendait des plaques asphaltées ou bitumineuses : Onduline. L’été, je me revois encore sur la route qui serpente entre les collines, le goudron devenant mou et gluant sous les semelles de mes « Clarks ». Des volutes d’air tremblant montent çà et là autour de moi, l’horizon tremble au même rythme. Dans les années 70, l’ondulation et la répétition, le psychédélisme, les lumières colorées, et le magma des mots en fusion faisaient partie de notre quotidien. Christian Vander parlait le kobaïen en changeant de peau : Zébehn Straïn Dë Geustaah.

Hier, je me suis demandé si l’utilisation de l’intelligence artificielle n’était pas une manière de revenir à un mode de pensée ancestral, bien connu des civilisations antédiluviennes : la prophétie. Les traces que nous en conservons aujourd’hui déforment probablement ce qu’elle fut réellement. Ni les quelques pages de l’Ancien Testament, ni les écrits des rishis dans les Védas ne peuvent nous aider à comprendre l’art prophétique d’autrefois. Ce qui fut volontairement crypté, et la manière de le décrypter, nous est devenu inaccessible désormais, à l’exception de quelques linguistes. Le temps est une bulle. Le temps d’aujourd’hui ne peut réellement communiquer avec le temps d’hier ni avec le temps de demain, sauf par une succession d’ondulations sans queue ni tête.

L’homme autrefois atteignait des capacités comparables à celles des meilleurs ordinateurs que nous ne créerons jamais. Le cerveau, le cœur, le foie, composants d’un système quantique de haut vol, dont la transe, la kundalini, ne sont que des vestiges laissés par ceux qui ont quitté la table. Nous réinventons la roue à chaque époque, chaque ère, dans un cycle qui recommence sans fin depuis la nuit des temps.

Il y a une densité dans ce que j’écris ce matin qui nécessiterait des développements, de quoi faire un livre. Mais j’y renonce.

Entre la poésie et le récit, une ondulation sans fin aussi.

L’image d’illustration est celle d’une œuvre de Yayoi Kusama : exposition « Yayoi Kusama : I Who Have Arrived In Heaven » à la David Zwirner Art Gallery à New York en 2013. Andrew Toth/Getty Images.