ce qui vient, la toute première idée qui vient. Trop tard. Déjà envolée. Ensuite on réinvente une idée de remplacement, et ainsi de suite. Impossible de compter sur un petit carnet posé sur la table de chevet, et un crayon, et de compter sur la possibilité de noter la première idée qui vient. Ne pas déranger l’autre qui dort. Ou alors il faudrait s’extraire de la couette avec cette envie pressante d’aller noter dans l’urgence, l’effervescence, cette idée première. Prendre soin de refermer doucement la porte de la chambre. Allumer la lumière du corridor, faire un saut de carpe, ou ce genre de petit bond que fait Charlot, à moins que ce ne soit qu’un moulinet avec une canne. Et courir jusqu’au clavier, positionner ses index sur F et J et redresser ses lombaires afin de parvenir à la vitesse adéquate pour graver cette première idée dans le marbre.

Trop tard. Encore loupé, la première idée finalement pourrait tout à fait être celle-ci, un homme veut noter quelque chose qui chaque matin lui échappe.

C’est comme le mot au bout de la langue.

Ensuite une fois que l’on est bien installé, les doigts semblent avoir acquis une sorte d’autonomie ; leur propre autonomie. Ce qu’ils disent n’est plus de la tête mais de plus loin. Je le voudrais bien, je voudrais bien y croire, voilà ce que dit la main pleine de doigts à cette autre main pleine de doigts.

c’est encore trop de la littérature, voilà ce que dit la tête. Les doigts s’élèvent, restent un instant en suspens, puis se retire du clavier. Une main, disons la droite se rapproche dangereusement de la souris, la trouve, la manipule. tandis que l’autre main, la gauche monte vers le sommet du crâne, pour toucher l’occiput. Voilà nous y sommes enfin, une main sur la machine, l’autre sur l’os, ainsi s’effectue la navigation de ce jour. Je regarde dans l’historique du navigateur pour retrouver ce site que j’avais visité il y a de cela quelque jours dans le cadre du projet Elias Grimshaw. Les livres perdus. The lostbooks. L’auteur du site, Tim Boucher, se décrit comme artiste, bookmaker, et activiste IA.

Que tu t’entendes bien avec toi-même à ce point du billet. Si tu places un lien ce n’est pas stratégique, c’est juste un nœud à ton mouchoir désormais.

donc quelque chose d’intéressant. Une sorte de signal d’alerte qui secoue les neurones. Plus de 100 livres écrits avec l’intelligence artificielle, tous disponibles sous la forme d’ebook sur Gumroad.

« Je vends mes livres uniquement sur Gumroad , pas sur Amazon. Amazon a trop de pouvoir sur l’édition (surtout indépendante), et l’hégémonie croissante des quatre ou cinq grands éditeurs fait que le secteur de l’édition professionnelle ne vaut pas la peine d’être défendu , à mon avis. Le pouvoir aux petits ! Nous pouvons trouver de nouvelles – et anciennes – façons de publier. »

1.99$ l’ebook en moyenne, avec des illustrations superbes qui rappellent les couvertures des années 1920 de Weird Tales.

Ensuite, je regarde les dates de publication du dernier titre, février 2024 qui évoque la suppression de son compte Midjourney après un article rédigé sur son site concernant un biais de l’application IA permettant d’obtenir sans même le demander des images de femmes dénudées. Le sujet ne semble ne pas être le fait d’obtenir des images « choquantes » mais plutôt de ne pas pouvoir contacter le service client pour faire part d’un tel biais. La seule adresse mail disponible étant liée à la facturation. Ce qui n’a pas plu à l’entreprise numéro 1 en création d’images à l’aide de l’IA.

Perdre le fil de la réalité, voilà bien ce qui caractérise l’époque. C’est ce que je me dis en lisant les différents articles à la queue leu leu durant une bonne heure ce matin. Ce qui me fait réfléchir sur ce malaise éprouvé systématiquement à chaque bulletin d’info désormais. j’ai comme un doute, un doute léger qui flotte sans cesse sur la véracité de tous ces récits « officiels ». Ce doute est aussi une forme de résistance, la manifestation même de toute résistance. Et l’origine de cette résistance vient du fait que je sens de manière concrète que c’est un récit plaqué sur la réalité et qui n’est pas mon propre récit. Je crois que j’éprouve cela depuis le tout début, enfant déjà c’était ainsi. D’où cette trouille perpétuelle d’être tombé dans un bouquin de Swift.

Quelques images scannées ce matin, évoquant des reflets dans la rue.