Lire, relire et relire encore. A chaque relecture on découvrira de nouvelles béances. De nouvelles galeries. De nouvelles pistes. C’est un labyrinthe qui n’en finit pas. Si l’écriture a pour fonction première d’abolir la distance et le temps, le lieu où elle mène c’est bien un non-lieu, une intemporalité. La mort , l’idée que je m’en fait, ne se définit pas différemment. Une absence si pleine de toute part qu’elle ne peut plus être autre chose qu’une présence à elle-même. Peut-être que je suis en train de redéfinir un enfer, le paradis nécessitant l’autre, l’altérité sans quoi aucun délice ne paraît accessible.

Le terme de non lieu proche aussi d’un verdict de tribunal, le non lieu nous dédouane. En même temps qu’il n’y a plus lieu, ni de se réjouir ni de s’enquérir d’une suite, un acte a été commis dans le temps, jugé, puis qualifié de non lieu, ce qui signifie qu’il est comme biffé des registres, des annales de tous les lieux comme de tout temps. Du regard de tous les autres.

Le mouvement de recul face à la tombe, pour ne pas chuter, hypnotisé par l’obscurité inquiétante, est dû à une forme d’attraction qui, au fond de moi, reste tapie. Comme si à chaque fois que je me retrouvais ainsi, en périphérie de la moindre excavation, d’un trou, d’une fosse, certains atomes, électrons, et la profusion gigantesque de vide qui les assemble, je l’imagine, devenait soudain la part la plus vive du moment présent.

J’invente encore une autre manière d’aborder le journal en préparant à l’avance des embryons de texte, parfois un paragraphe ou deux, à partir d’un mot, une phrase qui subsiste à l’oubli. Je note ces bribes sur l’application notes de l’iPhone. Cela peut bien se produire n’importe où, comme si le monde était rien de plus ou de moins qu’un livre que j’annote. Je remarque une accélération de cette pratique ces derniers temps. Comme si parfois jeté sur une berge comme un poisson péché, je me démenai soudain , tressaute tant et si bien que la manifestation du toucher de l’eau, la victoire, ( comme dans ô vie quelle est ta victoire ) devient note.

Prendre conscience d’être vivant vraiment est un choc. Le cabinet dentaire est à quelques centaines de mètres de la maison. Heureusement surpris par la propreté des lieux, des locaux refaits à neuf. Et quel accueil, un sourire comme cela devient rare de nos jours, on s’enquiert, on prend son temps sans le gâcher non plus. Allez donc remplir le formulaire dans la salle d’attente. L’homme masqué doit être jeune, la trentaine, il a une voix douce, il me questionne sans être intrusif, ouvrez la bouche, j’ai l’habitude vous inquiétez pas, et durant toute l’opération il chantonne sur le rythme d’une chanson qui n’a aucun lien visiblement avec la station de radio qui joue dans tout l’immeuble. Je ressors en titubant, grand soleil, chaud, trop chaud, je marche côté ombre pour rejoindre mes pénates. La douleur s’est absentée, on se sentirait presque démuni.