La nuit à Paris, ces longues marches qu’il faisait la nuit dans Paris, il cherchait quelque chose, je crois que c’est ça, il cherchait quelque chose mais ce n’était jamais ça. Et même quand ça s’en rapprochait, ce n’était pas ça. C’était ça qui le faisait marcher la nuit dans la ville, il essayait de savoir ce que ça pouvait être. Il photographiait au petit bonheur la chance, à vitesse lente, souvent en dessous du 15 ème de seconde, il imaginait que ça avait quelque chose à voir avec le temps, qu’à basse vitesse il y aurait plus de chance, que ça pourrait se retrouver emprisonné dans la celluloïd, nitrate de cellulose, camphre, sels d’argent. Je me souviens que de cette méthode il était assez fier, c’était sa méthode à lui. Personne ne s’amusait à gâcher du film ainsi. En général la plupart des gens savaient ce qu’ils voulaient. C’est ce qu’il pensait. Il ne se posait pas la question de savoir s’il pensait à tort ou à raison ce genre de chose. Les gens savaient toujours mieux que lui ce qu’ils voulaient. On leur avait suffisamment préparé le terrain pour savoir ce que l’on était sensé vouloir ou pas. D’ailleurs pour en revenir à la photographie, une bonne photographie nécessitait certains critères, composition, valeurs, contrastes, sans oublier l’essentiel : un sujet, un thème, un prétexte. Mais lui je crois qu’il s’en fichait de ces critères là, il cherchait quelque chose d’autre, et qui n’avait rien à voir avec ça, avec ces choses là. Il désirait ardemment quelque chose, dans la nuit, dans le noir, sans trop de lumière si possible. Je ne me souviens pas qu’il eut envie de composer avec tout ça, pas plus que de mettre de l’eau dans son vin. Pour lui c’était un ensemble. Voilà, je crois que c’est ce mot là, un ensemble, le fait de sortir la nuit, de marcher dans la ville, de ne pas savoir où aller, et de temps à autre, à vitesse basse appuyer sur le déclencheur au petit bonheur la chance. Il ne savait pas si c’était ça, il faisait tout pour que ça ne soit pas ça. Et au bout du compte, mais longtemps après on se rendit compte, toute la bande qu’il n’avait pas si tort que nous le pensions. En fait c’était ça, on ne pouvait pas voir à ce moment là.

Voilà pour l’effort littéraire. Faire des efforts un peu chaque jour jusqu’à ne plus en faire. Encore une méthode. Mais elle ne lui appartenait pas, elle se transmet de génération en génération cette méthode, elle a fait ses preuves. Et pas qu’un peu.

Hier encore des palabres incessantes concernant l’atelier de peinture à C. Aucune envie de me justifier. Parfois j’ai cette sensation étrange de me retrouver crucifié, mais évidemment, pas en tant que J.C, je ne suis pas cinglé à ce point là. Non un acolyte de Barabas plutôt anonyme, quelqu’un qui se serait fait prendre la main dans le sac et qui doit payer pour ça. On ne remet pas en question l’existence du sac, de la main, de l’acte, de l’interdit. et c’est pour cette raison qu’il faut des croix, des crucifiés, rien n’a changé sur ce point depuis le Golgotha. Ce que j’ai toujours un mal de chien à comprendre c’est la docilité avec laquelle la plupart se couche au pied d’un maître pour lui mordre ensuite la main quelques instants plus tard. Comme si de façon binaire une logique en ressortait, une logique rassurante. Du coup je l’ai dit à haute voix, c’est venu d’un coup : tout ce qui est binaire m’emmerde, puis j’ai tourné les talons. Il devait pleuvoir, mais il n’a pas plu, j’ai baissé la vitre car il faisait même chaud, et j’ai écouté la proposition d’écriture sur la notion de famille, d’après Les américains de G. Stein. L’instance de la famille, je me suis posé la question. Où j’en suis sur ce sujet ? C’était plutôt douloureux, alors je me suis mis à rager contre la proposition en sourdine, puis je crois que j’ai songé à autre chose. Quoi ? je ne m’en souviens plus.