Sans une bonne organisation, on perd vite le fil. Ensuite, une fois le retard pris, cela demande des efforts pour le rattraper ou le récupérer, peu importe le verbe que l’on posera là-dessus, tout le monde comprend ce dont je parle.
Je veux aussi parler d’une certaine fidélité à tenir en laisse, ou par les rênes, sans qu’elle n’ait cette manie de vous tirer en avant et ne pose, comme une crotte, le dilemme de savoir qui, entre le maître et la bestiole, conduit le bal, nom de Dieu.
La lassitude, chez moi, conduit régulièrement le bal. Une lassitude non attribuée, une lassitude abonnée à l’annuaire des absents. Une lassitude issue de l’absence tout entière, la mienne évidemment. Une absence mâchée lentement, puis remâchée encore, et enfin digérée. Avec parfois cette sorte de bonus : être las et absent à sa propre lassitude d’absent.
On peut parler d’éveil, évidemment. Pas trop fort non plus, pour ne gêner personne.
Perdre le fil… Au début, on se culpabilise forcément. Puis suit une période blanche où ce n’est pas vraiment que l’on se désintéresse, mais on n’arrive tout simplement plus à fixer son intérêt suffisamment longtemps pour qu’il germe, qu’il produise des ramifications, des feuilles, des bourgeons ou des fruits. Ce genre de conneries que tout le monde sait, à un moment ou à un autre, considérer pour ce qu’elles sont : de beaux prétextes, un genre usuel de divertissement.
Ce qui fait qu’on se doit tout de même un peu d’honnêteté à soi-même sur cette fameuse angoisse de « perdre le fil ». Je veux dire que c’est tout bonnement une autre figure du désir, inédite cette fois, et qui, comme à chaque fois que l’inédit pointe son nez, flanque la pétoche et fait pédaler le hamster dans la cambuse.
Bon Dieu, mais comment cela se fait-il que je sois si con, si ceci ou tellement cela ? Comment se peut-il que je prenne un tel panard à perdre le fil, en gros ?
Par orgueil, comme toujours, évidemment. Y a-t-il quoi que ce soit d’autre dans la vie que l’orgueil, je veux dire, comme responsable de tout égarement ?
Je disais hier : « C’est beau, on dirait que ça sort de la bouche d’un maître soufi… » Non mais quel con ! Des fois, je te jure, je ferais mieux de la boucler plutôt que de m’emmêler les pieds dans les nœuds que je noue tout seul.
À moins que tout ne soit prévu dans ce plan depuis longtemps. À moins que l’égarement soit balisé, que perdre le fil ne soit qu’une façon, parmi toutes les façons possibles et imaginables, de trouver la voie invisible, justement et tout bonnement. La seule voie humainement possible, je veux dire, celle qui existe sous mes propres pieds, et aucune autre rêvée, imaginée, fantasmée.
Ce qui, au bout du compte, inverserait toutes les opinions, et subitement s’il vous plaît, ces opinions que l’on ne cesse de chérir sur l’orientation en général et les quatre points cardinaux en particulier.
Perdre le fil serait un levier encore plus puissant que celui d’Archimède. Pas pour soulever le monde, bien sûr que non, quelle ineptie, mais simplement pour soulever son cul du canapé. Une très bonne chose en soi.
Et m’est avis, tout à coup, que ça sonne juste à ce moment où je l’écris : qu’il faut juste oser pour voir.