21 mars 2024
Parfois, il paraît péter un plomb. Mais c’est un acteur. Le terme de polarisation me vient à l’esprit. Il s’en prend à l’éditeur. Il n’y va pas de main morte. C’est vrai, il a raison, c’est scandaleux. Une fois de plus c’est scandaleux de prendre les gens pour des cons à un tel point. Est-ce la goutte d’eau qui fait déborder le vase ? Pas sûr. A moins que ce ne soit une succession de petites choses qui fait que soudain il s’en prenne à l’éditeur. Mais quand même, il achète le livre. Il investit des euros dans sa colère pour la faire fructifier ? Au bout du compte voilà bien où j’en suis. A me méfier de tout. Je ne crois plus du tout à la spontanéité, surtout sur les réseaux sociaux. A moins que ce ne soit encore que de moi que je parle. A moins que ce soit moi qui ne soit plus du tout spontané. Qui calcule la moindre de mes gestes, paroles, pensées. Et à un point tel que je me retrouve soudain dans cette sorte de dimension parallèle d’où l’on peut scruter à outrance le monde sans jamais rien faire soi-même. Comme tétanisé par sa propre lucidité.
Je n’en parle à personne. Surtout pas à mon épouse. Il se peut que je sois devenu complètement cinglé. C’est tellement facile de le devenir. A partir du moment où l’on quitte la route, que l’on s’enfonce dans les voies de traverse. J’ai cru que ça pouvait être de la lucidité, mais non, c’est un autre genre d’hypnose. On échange une hypnose contre une autre. Une hypnose plus flatteuse sans doute. On imagine être lucide mais en fait, on est complètement cinglé.
La mort, l’idée de la mort, du pourrissement, de la décomposition. Aspirer à la mort au moins quatre à cinq fois par jour n’est certainement pas avoir envie de mourir. Tout au contraire c’est vouloir une autre vie que celle-ci. C’est enfantin. C’est se retrouver à porter un short alors qu’on voit tous les autres porter des pantalons. C’est sans doute une espèce de jalousie. On n’arrive pas à ses fins. Alors on voudrait tout effacer. On voudrait mourir. On voudrait se réveiller dans un monde meilleur. Un monde dans lequel les pantalons descendent lentement du ciel et vous prodiguent des compliments.
On voit le monde tel qu’on est, on se couche comme on fait son lit. Le fait d’en être parfaitement conscient ne résout rien, ne console de rien. Le seul résultat tangible est une dentition en ruine à force d’avoir trop serré les dents.
Je détecte d’autant mieux les postures que je les ai toutes expérimentées. Certain(es) ne savent même pas qu’ils posent. Ils en sont parfaitement inconscients. Le temps que la fiction se dissipe, des années peuvent passer. un demi siècle en un simple claquement de doigt. Réveil ! Et en fin de course se retrouver gros Jean comme devant. Et c’est encore une chance. Certain(es) meurent sans même avoir vécu— sans jamais avoir éprouvé une sensation vraie.
On ne sait plus ce qui est vrai et ce qui est faux. Parce qu’on veut absolument le savoir. Merde ! il suffit juste de le sentir. Si ça sent la merde c’est réel, le nez ne ment pas. Encore que. Depuis quelques semaines que j’ai des sortes d’hallucinations olfactives. Je crois dur comme fer que ça sent la merde et quand je regarde je ne vois pas de merde. Mais, je peux dire la même chose quand j’imagine que ça sent la rose. Pas de rose non plus. Preuve que l’on est à des années lumières d’une sensation vraie, on ne peut qu’ imaginer le vrai le faux tout comme le bien et le mal. On imagine surtout que les choses sont aujourd’hui devenues tristement binaires.
En parlant de voies de traverse, j’ai découvert une chaine africaine qui propose un tout autre point de vue sur l’actualité. On y voit Poutine répondre à des questions sur les raisons du conflit actuel en Ukraine d’une façon inédite. Un véritable cours d’histoire. Et au bout du compte on peut douter que cet homme soit le même que le taré qu’on nous présente sur les médias de grands chemins. En prêtant attention aux mots employés par le présentateur du JT parlant de l’élection en Russie, le mot « sacre » me fait lever les sourcils. Cela me conforte dans mes suppositions que tout est vraiment fait pour présenter le candidat sortant comme une sorte de personnage ubuesque. Donc, sans doute n’est-ce pas tout à fait faux, ni tout à fait vrai. En revanche ce que je sens quand je vois tout le mal qu’on se donne pour me dire ce qui est bien et mal c’est qu’on essaie de m’influencer, de me fabriquer un avis, une opinion. Une chance que j’ai encore ce reflexe de refuser d’en avoir la moindre.
Des égrégores se constituent de cette façon exactement. On lance des mots d’ordre en sourdine, on ridiculise gentiment au début, puis ça s’intensifie. Le mot complotiste naturellement surgit. Par exemple à l’occasion du congrès de Limoges préparant une éventuelle arrivée des extraterrestres. Le reportage tout entier montré sous un angle caricatural, ridicule. La raison est de créer une sorte de consensus à nouveau sur ce qui est aujourd’hui ridicule, et, partant, en creux, bien entendu d’indiquer ce qui l’est. Ce monde sinistre où des enfants se font déchiqueter par des obus dans la bande de Gaza, où plus de 500 000 morts sont désormais ensevelis dans les territoires du Kraï, de la limite du tolérable pendant que des imbéciles veulent construire un golf dans les Pyrénées Orientales dont le pluviométrie est désormais celle du Sahel. Ce qui dans l’ensemble est si affreux à penser qu’on est bien obligé de trouver une issue dans la dérision. D’ailleurs la dérision est une arme de destruction massive que maîtrisent parfaitement les créateurs d’égrégores. Ce monde marche sur la tête, les têtes pensantes raisonnent comme des pantoufles.
Pour continuer
Carnets | Mars 2024
31 mars 2024
Exorcisé, il s’affale : Le voici, regardez ça, plus qu’une baudruche vide d’air, une enveloppe sans lettre sans adresse ni timbre. Le ciel bas gros de pluie, au-dessus d’une caboche vide ; on le voit encore, il marche un peu courbé, c’est presque un vieillard. Tout ce qu’il peut dire à présent n’est plus que fadaises, imbroglio, bribes de phrase dans importance. A outrepasser les limites il n’est plus d’aucune race, d’ aucune espèce, paria de l’univers, un insensé. Bien sûr cette défaite est le reflet exact d’un ancien fantasme. Une inversion salutaire. Il ignore encore à quel point elle est salutaire. Hier, P.M. parle de la nécessité de s’en remettre à un grand Tiers, Dieu, l’Espèce, le Chocolat. Cette nécessité sans quoi le mensonge ne dit pas la vérité. Cette nécessité sans laquelle le mensonge serait un narcisse au bord d’un étang, un narcisse parmi d’autres que le miroir de l’étang renvoie à sa propre adulation ou détestation, toutes deux erronées. Et puis je me suis encore dissipé dans une prostration familière. Sans doute parce qu’on ne peut se passer de familier. Quoiqu’on dise ou fasse afin de vouloir s’en défaire, elle s’insinue depuis notre point le plus lâche, le plus faible. C’est cette familiarité qu’on veut ignorer qui peut aussi emprunter le visage du grand Vide, du grand Absent, du grand Soi. Le bureau est resté vide. Un parquet flambant neuf, ou presque. Comment ranger cette pièce vide maintenant est la question qui demeure, depuis deux jours ; en suspens. Des étagères, des casiers, des meubles assez vus ont été descendus. Certains prendront la route de la déchetterie, d’autres de l’Atelier. Sur le grand lit de la chambre d’amis des piles de dossiers, des livres, des caisses encore bourrées de câbles, de cordons informatiques. Je n’avais pas songé avant de l’écrire sous ces quelques lignes que ce pouvait être l’occasion d’un changement véritable, mort et renouveau. J’avais repoussé le moment, sans doute parce qu’en lisant une biographie d’Henry Miller , à l’âge de quarante ans, je m’étais dit que j’avais encore beaucoup de temps pour me mettre à lire vraiment. Toujours peur qu’il soit trop tard ; et en même temps ce jeu avec sa propre peur ; Et aujourd’hui peur encore, qu’il ne me reste plus suffisamment de temps pour lire d’une façon inédite, une phrase à la fois et surtout découvrir ce grand Tiers à la manœuvre entre chaque signe de ponctuation, entre chaque silence. Même mort peut-on encore par, ce mystérieux effet d »inertie, être toujours si pressé de se rendre au bas d’une page ? Il y a ainsi des attaches d’une existence l’autre, ce qu’on nomme le passé, aussi collantes et donc agaçantes, que de la bande Velcro Ce matin je me réjouis de l’anomalie qui empêcha de publier ce texte sur le nouveau cycle d’écriture. C’est que ce n’était pas assez bon voilà tout. On cherche des signes un peu partout quand on est insignifiant à ce point. Cela m’a permis d’en écrire deux autres totalement différents, comme si la différence était pour moi la seul façon de remonter une pente. Pour le moment je les conserve à l’état de brouillon sur ce blog. Peut-être que le changement s’opère ici aussi, dans la gêne de publier ce dont je ne suis plus très sûr. Dans l’idée aussi d’un travail qu’il faut mener plus loin. Idée détestable entre toutes mais dont le fait qu’elle me répugne m’oblige à reconsidérer la répugnance toute entière.|couper{180}
Carnets | Mars 2024
30 mars 2024
Je recopie des textes de 2022. Sans enthousiasme. Peut-être qu’il faudra avoir le réflexe de tout effacer au dernier moment, ne rien laisser, pas la moindre trace de ces bêtises. Et je ne vois pas de Max à l’entour qui l’empêcherait, qui sauverait tout cela. Ce sentiment double de joie et de désespoir que procure l’écriture, et cette obstination à persister. Comme le fameux K qui veut rencontrer le maître du Château, alors qu’il sait déjà pertinemment que c’est impossible. Que cette impossibilité fonde tout le texte. Prendre de la distance par tous les moyens possibles entre ce moment où j’écris et cet autre où le texte se publie est déjà une action mise en place. Le but semble pratique à l’origine, de ne pas me retrouver à cours de texte pour conserver le rythme des publications quotidiennes auxquelles je veux, pour des raisons assez obscures, me plier. Mais je crois qu’il y a plus qu’un aspect pratique à planifier ainsi ces publications dans l’avenir. Une façon de prendre une distance aussi, comme malgré moi, comme à regret aussi bien souvent. C’est à dire une injonction silencieuse à me détacher ainsi de l’immédiate jouissance d’écrire et de publier tout de go. Ce qui me rappelle à quel point je suis d’une lenteur désespérante alors que je m’imagine souvent, ou je me suis imaginé plutôt tout le contraire. Un nouveau cycle d’écriture sur la nouvelle avec F. Qui ne commence pas bien puisque je ne suis pas parvenu à publier sur la plateforme collective ce prologue, sorte de collection de post-it concernant l’art de ranger ses livres. J’y ai tout de suite vu comme un signe. Un signe que je ne devais sans doute plus participer à cet ensemble. Que je devais m’en éloigner, de cela aussi. Aussi je n’ai pas cherché trop loin les raisons de l’obstacle. J’ai refermé le site et j’ai continué ma journée sans même y repenser. C’est maintenant que j’écris ces lignes que je veux bien m’en souvenir ; que je retrouve le même tiraillement entre le fait de participer ou de ne pas participer à cette nouvelle aventure collective. Ce même tiraillement entre la joie et le dépit. La hantise du bavardage voire du ragot, de la médisance, enfin, d’une certaine bassesse qui s’écrit parfois avec une extrême facilité. C’est ce dont je ne voudrais pas. Mais qui ne me lâche pas la jambe comme un roquet. Quelle image de l’écriture ai-je donc qui la place sur un plan irréel, une élégance inatteignable parce que pour se poursuivre elle nécessite justement de ne jamais toucher au but. Toutes ces pensées, confondues avec des médiations et qui ne sont en somme que ruminations ne font pas un sujet d’écriture. A moins de posséder le génie d’un Gogol, d’un Dostoïevski. Je repense à cette nouvelle où un employé se rend chaque jour à son bureau en empruntant la perspective Nevsky à Saint Pétersbourg et qui maugrée contre un homme, toujours le même qui ne lui cède pas le passage. Toute la nouvelle est fondée sur la rumination de cet homme, sur son ressentiment, sur cette envie de vengeance, de prendre une revanche. Je n’aimerais pas être cet homme là, et pourtant à bien y penser en grande partie je le suis, bien sur que je le suis. C’est exactement là où je perds le principal de mon temps. Quelle image de l’écrivain n’ai-je encore pas détruite en moi que je ne puisse écrire encore comme je veux écrire du fond de moi-même. Et comment écrire ce genre de chose sans passer pour un idiot fini. Comment le publier au regard des autres comme pour dire voyez ce que je suis, je ne suis que ça, rien d’autre, et je suis tout à fait d’accord avec vos observations les plus acerbes à mon encontre. Puis soudain ce retrait qui m’entraine à vouloir tout biffer, tout effacer, tout détruire, pour m’enterrer tout seul au plus profond d’une solitude dont je ne pourrai jamais même si j’y mets de la bonne volonté, ressortir. L’expérience de ce blog est enrichissante par son envers ; On imagine s’élancer vers le monde en publiant des articles qui veulent dire une vérité puis on comprend que cette vérité ne regarde que soi, qu’elle n’intéresse personne d’autre, pas même ceux qui parfois sont mine de s’y intéresser. D’ailleurs le temps, la distance, la régularité finissent, en creusant l’écart avec une certaine volatilité des lectures des lecteurs à nous permettre de poser le doigt sur quelque chose de très spécial : ce trou que l’on creuse comme une tombe, et dont on n’aimerait pas qu’il s’achève en mausolée.|couper{180}
Carnets | Mars 2024
29 mars 2024
La route est longue pour Tipperary, d’ailleurs c’est marqué sur le panneau de la ville désormais, et c’est de l’humour irlandais, pas tout à fait le même que le british, enfin c’est sensé être marrant tout de même. Qu’est-ce qui a bien pu prendre à Jack de chanter cette chanson en 1912 ; en 14 elle deviendra un chant guerrier ; il faut se méfier de ce que l’on écrit comme de ce que l’on chante ; que ce soit pour se rendre à Tipperary ou ailleurs. G. était bien content ; ça se voyait ; il dansait littéralement au beau milieu de la grande salle de l’exposition son tas de papiers dans les mains ; une vingtaine de personnes étaient arrivées quelques minutes auparavant ; on n’y croyait même plus ; il avait tout préparé aux petits oignons ; grâce aux photos et vidéos que je lui avais envoyées ; réglage fin, 15 minutes chrono, 15 tableaux, un texte par tableau. Ensuite nous sommes revenus aux « Gourmands disent » rue Brossolette ; une entrecôte énorme ; je note en passant la bonne idée de remplacer les frites par des navets en tranches comme accompagnement. G. me propose que nous réitérions en octobre prochain notre collaboration picturo-poétique ; Ce sera au-delà d’Albertville, vers Moutiers, dans un village où vit S.B l’actrice et son compagnon musicien célèbre de Jazz, qui sont d’ailleurs des amis de notre futur hôte ; c’est loin octobre je me suis dit ; est-ce que je serais encore vivant en octobre tout de suite après. C. n’a pas dit grand-chose, elle était très calme ; ce qui l’a change du tout au tout. Ils partent en voyage en Europe centrale cet été à la rencontre des personnes rencontrées sur MyHeritage ; avec une carte Interrail. Ce qui me rappelle notre projet avorté de nous rendre S. et moi, en Estonie, presque aussitôt. Ce journal est avant tout un journal. Il faut que je note des faits divers. Les élucubrations littéraires ou pseudo intellectuelles sont de trop. Ce qui peut me fournir une piste de relecture éventuelle. En supprimant tout ce qui n’est pas du fait brut, une bonne cure d’amincissement. Le temps ne compte pas. Parfois je me retourne je me dis ça fait combien de temps mais le temps ne compte pas. Tout ce qui compte c’est de faire le job chaque matin. Cette journée de dimanche s’avère déjà épuisante ; il faut vider tout le bureau et retirer les lattes du parquet afin que N. puisse le refaire à neuf avec les anciennes lames de l’ancien parquet de la cuisine ; celles qui n’ont pas été déformées par l’inondation. Mais en m’organisant bien cela ne devrait pas me prendre plus que la matinée, ensuite si j’ai fini avant 11h, je peux même prévoir un voyage à la déchetterie pour finir l’affaire en beauté.|couper{180}