Je profite de ce jour de Pentecôte ( lundi ) pour avancer, jeter ici toutes les idées qui m’occupent. Cette fête célèbre le cinquantième jour à partir de Pâques, on dit aussi qu’elle représente une « effusion » qui jaillit sur les disciples du Christ. Enfin, elle clôt un cycle certainement lié à l’agraire. Le loup a fait son oeuvre, la nature renaît. Ce qui me fait penser à cette connaissance ancestrale, probablement préhistorique des cycles de la nature, et à ces gardiens qui prenaient la forme de loups-garous dans l’imaginaire collectif. A l’origine ils n’étaient pas ces caricatures hollywoodiennes qu’on nous présente dans des films d’horreur ; cela n’est qu’une résultante de la main mise de l’Eglise sur des connaissances païennes. Combien de milliers d’années faut-il pour oublier tout un savoir, pour qu’il meurt deux fois. Il y a peu on réinventait les haies, les bosquets. Grande trouvaille scientifique. Cependant que ce « nouveau savoir » ne s’embarrasse plus de ce qu’on nomme superstitions désormais. La science d’aujourd’hui, nouvelle religion tout aussi orgueilleuse, vaniteuse que tant d’autres est une couche supplémentaire d’oubli, et qui nous aura totalement coupé de tout un monde autrefois enchanté. Peut-être qu’au bout du compte un nouvel enchantement naîtra de tout cela, car j’imagine qu’on peut prendre la réalité par tous les plis, le même mystère, la même énigme n’en sera pas mieux résolue. Accepter ce mystère c’est retrouver une place avec la modestie, l’humilité qui la caractérise.
La vitalité des symboles s’estompe comme la vigueur des êtres. Un moment d’hésitation ensuite entre mort et renaissance, le mystère réside, seul, imputrescible. La fête des sept semaines était autrefois nommée « Chavouot » chez les hébreux et elle était inscrite cinquante jours après Pessa’h. Mais déjà à l’avènement du second Temple cette fête appartenant à un univers de pensée prophétique s’estompe pour laisser la place à un rituel sacerdotal, qui semble dépourvu de ses véritables raisons d’être. J’aime me dire qu’il s’agit de la fête des moissons tout simplement. Même si derrière cette apparente simplicité le mystère reste intact, qu’il me touche d’autant qu’il reste intact.
Je travaille malgré tout cet après-midi. Il y a eut trop de jours de congé ces dernières semaines en raison des vacances de printemps, et des ponts du mois de mai. Le groupe de C. est désormais réduit à cinq personnes. Celles qui voulaient obtenir de beaux tableaux réalisés à partir de modèles, comme de beaux miroirs leur renvoyant leur belle image sont parties. Et c’est étrange comme ce malentendu me renforce d’autant dans mes convictions concernant la peinture. La peinture n’est pas là pour peindre le réel de cette façon, celle que nous connaissons depuis Mathusalem, celle que nous aura imposé la Renaissance surtout. En ce moment je fais travailler tous les ateliers sur les œuvres de Joan Mitchell. j’ai moi-même réalisé un petit tableau à la peinture acrylique tout de jaune et d’orangé avec quelques ombres de parme et de bleu foncé, si j’ai le temps cette semaine je le finirai à l’huile pour atteindre, je l’espère, à toute la profondeur que j’y ai entrevue.
Je continue à scanner mes vieux négatifs au hasard de ce que renferme les pochettes cristal. Retrouvé toute une série sur un festival de Cannes. Je me souviens de ma déception sous l’agrandisseur en voyant ces négatifs. Les acteurs disparaissaient sous la foule, on ne voyait qu’une marée humaine. Je les redécouvre aujourd’hui et je leur trouve un tout autre sens.