Nous voici presque arrivés à la fin mai. Tel un écureuil, j’amasse ces petits textes pour les saisons à venir. Nous sommes vendredi 24, mais ce texte sera publié sur le blog le 28. Je n’ai plus beaucoup d’avance, mais mon emploi du temps, ainsi qu’une sorte de résignation tranquille, m’empêchent d’écrire davantage, bien que les idées, les pensées et les rêveries me submergent. Avoir tout son temps pour n’en rien faire : voici le luxe ultime que je n’ai jamais cessé de briguer. Ce paragraphe contient beaucoup de « je ».

Il paraît que parler de soi est très ennuyeux. Il paraît que de nombreuses choses sont devenues si ennuyeuses. Moi-même face à moi-même n’est pas la moindre. Mais c’est une matière comme une autre. Comme un artiste qui reçoit un bloc de granit informe et entreprend, jour après jour, d’y apercevoir de la beauté, puis tente de l’extraire. S’aimer soi-même n’est pas une mince affaire, mais cela aussi est sujet à caution. Je ne parle évidemment pas de cet amour dégoulinant de fausseté que l’on exhibe partout de nos jours.

Chercher l’authenticité est sans doute l’un des plus grands défis de toute démarche créative. Écrire sur soi, c’est tenter de saisir des fragments de vérité dans un monde saturé de faux-semblants. Tout comme un sculpteur extrait une forme d’un bloc de pierre brute, l’écrivain doit dégager l’essence de ses pensées, souvent enfouies sous des couches de conventions et de préjugés. Cette entreprise est parsemée de doutes et d’hésitations. Chaque mot posé sur le papier semble parfois insuffisant, chaque phrase imparfaite. Mais c’est dans cette quête imparfaite que réside la véritable beauté de l’art. Accepter l’imperfection, embrasser la vulnérabilité, c’est là que l’écriture trouve son pouvoir unique de révélation et de transformation. Et peut-être, en chemin, parvient-on à découvrir un peu plus de cette note juste, celle qui résonne avec sincérité et profondeur.

Parfois, j’aimerais disposer d’une autre naïveté, une qui me permettrait de m’exprimer sur des sujets extérieurs comme il est de mode, ou de convention. Ignorer totalement , en évoquant la laideur ou la beauté d’un paysage, d’une rue, d’un visage, d’une main, que tout cela n’a rien à voir avec qui je suis. Mais c’est désormais impossible. Comme beaucoup qui me connaissent le pensent, je ramène tout à moi-même. Ce qu’ils ignorent, c’est que ce moi-même est une béance, un trou noir, un fleuve d’encre et de peinture, pas grand-chose d’autre.