Petit train, voyageur bien confortablement installé, regarde par la vitre la projection d’un paysage créé de toutes pièces par l’accumulation de paysages déjà vus, résidus de visions prémâchées et régurgitées. Fermer les paupières, c’est affiner l’ouïe. La joue chaude contre la vitre glacée, un parfum de chien mouillé imprègne les narines. Petit voyageur perdu dans le grand train de l’instant. Plongée dans le moiré. Caresse des joncs pendant l’apnée visuelle. Ondes et vibrations bercent, agitent. Le vent des profondeurs souffle son haleine fraîche qui se brise sur le front, l’érode, le polit. Bonjour le bel œuf de dindon farci. Doliprane ta gueule, paracétamol, merde ! Attendre que les pensées se fanent comme de vieilles biques télévisées d’idiotie.

Attendre que les poumons se vident et se remplissent. Attendre que le serpent s’éveille et bouge dans le slip. Attendre la marée montante dans le creux des reins. Attendre et soudain se lever, danser, attendre encore jusqu’à se faire mal. Trembler de rage, de peur, de désir, de rien. D’un café, d’une clope, d’une fille, d’une côte, d’une entrecôte, d’un bain de boue, de rien enfin. Bouger, sauter, se défiler, passer, traverser, aller plus loin, au fond, tout au fond, dans la gorge du non-dit. Un vide sans fond, une chute, un envol à l’envers du décor. Un salto à l’endroit où l’envers se redresse, fier comme un pieu en creux, tout le désir qui luit dans la terre labourée sans haie, démembrement oblige.

Et puis, madame la contrôleuse arrive : "Monsieur, votre titre de transport s’il vous plaît ?" Tous sont là, en devenir de poissons non nés, ensablés dans les possibles, à la queue leu leu, en file indienne, amorphes, inscrits dans une plage sans horizon.

Mais quand est-ce qu’on va nager ? Quand viendra la marée ? réclame le collectif étêté. La marée ne viendra pas. L’eau disparaît, laissant un goût de lune. Âmes en suspension autour de la carne, pour des expériences renouvelées cent fois, mille fois, sans fin, dans l’à-quoi-bon, dans le peut-être.

Jésus, Marie, Joseph et toute leur clique. Archanges et psychopompes au chevet des débris d’espérance. Dites-le, bordel, dites-le ! Que vous vous faites chier dans l’azur, que l’inéluctable est toujours là à vous coller les ailes, que l’ennui n’apporte pas toujours la grâce, que demain sera comme aujourd’hui, que l’avenir est déjà résolu. Nous pédalons pour faire tourner les bobines d’un cinéma cosmique dont le moi-je spectateur est le rien et le tout, qui s’emmerde en bêlant à l’amour, en se gavant de pop-corn.