En être ou ne pas en être —[Proust transformant Shakespeare]. Ni l’un ni l’autre, ou peut-être les deux à la fois. C’est la réponse presque inévitable pour un artiste. Une position d’équilibriste, car il faut se tenir à la fois au cœur de la tragédie et à ses marges. En d’autres termes, trouver cet équilibre, souvent fragile, entre tragédie et humour. C’est cette nécessité de simultanéité, et la quête perpétuelle qu’elle impose, qui rejoint la définition talmudique d’être en chemin au sein de cette double contrainte : celle que l’artiste se donne ou subit. C’est là que naît l’œuvre.
"En être ou ne pas en être" — voilà une question qui, appliquée à l’artiste ou à son œuvre, ouvre un champ immense de possibilités. C’est un questionnement omniprésent, une mise en abîme de la question elle-même. Certains résumeraient ce dilemme par la notion d’identité, ou tenteraient de l’expliquer à travers la logique aristotélicienne. Pourtant, "en être et ne pas en être" dépasse le principe de contradiction classique. Pour un étudiant du Talmud, cette démarche est presque familière.
Curieusement, on retrouve ce même processus chez Gérard Garouste dans la phase la plus récente de son œuvre, bien que ses racines y soient perceptibles depuis longtemps. Il suffit d’imaginer la souffrance qu’il a endurée, lui, un homme issu d’une famille antisémite avérée, ressentant cette trahison pour en sortir. Cette douleur fait écho à celle que tu as pu traverser, bien que dans une moindre mesure. Reconnaître cette souffrance chez Proust comme chez Garouste te pousse presque à t’y identifier, à ressentir ce soulagement de ne pas avoir été seul face à la tragédie.
Cependant, ces deux-là ont choisi l’œuvre comme seule issue, éliminant toutes les autres options — une conclusion qui t’apparaît aujourd’hui, bien tardivement. Enseigner la peinture fut pour toi une échappatoire rassurante, parfois même outrageusement confortable, souvent un prétexte pour repousser le moment de te mettre réellement au travail, de t’engager pleinement sur le chemin de l’étude. Alors oui, tu peux encore trouver un maigre réconfort à te dire que tu n’es ni Proust, ni Garouste, mais juste un pauvre type parmi tant d’autres, ratant chaque occasion, te répétant que tu t’en fiches. Mais tu sais très bien que tu te mens effrontément.
Et maintenant, as-tu encore vraiment un choix ?