La forme poétique, bien que je ne sache pas vraiment ce qu’elle est, d’ailleurs, le saurais-je, il n’est pas certain que j’orienterais tous mes efforts pour m’y fondre. De cette forme, je ne retiens qu’une musique, un rythme, d’une manière bien plus intuitive que savante. Non pas qu’il me soit impossible de lire des articles qui expliquent ce que pourrait ou devrait être une forme poétique digne de ce nom. Avec Internet, il suffit d’un peu de bonne volonté pour appréhender les contours de ce que les experts considèrent comme tel, ou non.

Pourtant, mieux vaut ne pas trop s’engager dans cette quête. La forme poétique, comme beaucoup d’autres choses désormais, se confronte toujours au binaire : pour ou contre, dedans ou dehors. J’essaie donc de me frayer un chemin entre ces extrêmes, en revenant d’abord à la sonorité. Lorsque j’écris, je ne suis jamais sûr d’écrire à l’oreille. Je doute d’avoir ce qu’on appelle l’oreille absolue. D’ailleurs, on pourrait débattre sans fin de ce qui est musique et de ce qui n’est que bruit.

Souvent, ce qui manque au bruit pour devenir musique, c’est la promotion. Prenez un marteau-piqueur : ajoutez-lui quelques arrangements bien pensés, diffusez-le à la radio comme un tube, et il pourrait finir par intégrer un top cinquante. C’est en tout cas une hypothèse que je trouve intéressante.

Je ne voudrais pas parler que de moi, mais ces expériences passent à travers moi, je ne les ai pas inventées. Ou alors je n’en étais pas conscient, car l’invention est un acte ultime, une résistance obstinée pour survivre. Quand je vivais dans cette rue bruyante du 11e arrondissement, l’été, la chaleur m’accablait. J’ouvrais la fenêtre et le bruit s’engouffrait brutalement. Mon premier réflexe était de la refermer aussitôt.

Puis, j’ai décidé de céder au bruit plutôt qu’à la chaleur. La fenêtre est restée ouverte, et, peu à peu, je m’y suis habitué. Non pas que j’ai soudain pensé que ce n’était pas du bruit, mais simplement, il ne me heurtait plus. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à discerner des rythmes, des répétitions presque harmonieuses dans les sons de la rue. Peut-être d’autres ont-ils vécu la même chose. Peut-être qu’un musicien est simplement quelqu’un qui refuse de qualifier de bruit ce qu’il ressent profondément comme de la musique.

Et finalement, cette question revient à celle de la forme poétique, ou musicale, ou toute forme en général. La forme est ce que l’on fabrique par nécessité, jamais par loisir ou par désœuvrement. Une fois trouvée, on peut l’agrémenter, comme on décore une chambre avec un vase et quelques fleurs. La forme, c’est un choix motivé par l’instinct ou l’urgence, rarement par la simple envie.