Dans ce monde où toutes les valeurs semblent inversées, je me demande soudain si faire de l’argent avec la peinture, l’écriture n’est pas la meilleure preuve de modestie que l’on pourrait s’offrir à soi-même. Ce qui correspond en définitive à biffer toute une vie de résistance, à abdiquer. Et au final, mettre ce que l’on imagine être de l’orgueil, de la vanité dans sa poche et son mouchoir par dessus. C’est une vraie question. Le genre de question qu’on ne peut pas éluder. Tout concourt ( petit con ?) désormais pour que cette question se pose et que la réponse soit affirmative d’une façon étrangement naturelle. Peut-être un peu trop naturelle pour l’être authentiquement. Ce que je comprends de cette tendance, appelons cela une tendance, c’est que nul ( zéro niet nada que dalle) ne saurait vivre totalement en dehors du monde. En rester indemne. Que nous sommes tous imbibés ( glouglou) dans l’immense masse de ruminations qui ne cessent de le traverser, de le remplir, de l’envahir ( SPLATCHHH) tout entier ; et qu’au bout du compte nous nous confondons avec cette rumination. Je, nous ne sommes plus rien d’autre que cette rumination.
Hier je regardais une vidéo de F. sur l’écrivain Mark Baumer et j’ai été profondément touché par son parcours, son histoire. Pour moi il n’est pas une victime de l’absurdité dans laquelle a sombré notre société, il en est une sorte de héros tragique. Sa mort intervenue à l’âge de 34 ans le fige dans un statut de star quasi anonyme à part pour quelques initiés de la littérature créative. Et il est tout à fait légitime d’éprouver vis à vis de cette histoire une sorte de douleur personnelle, intime. Comment lutter contre l’absurdité de ce monde sans être encore plus absurde en apparence, c’est tout de suite ce qui me vient à l’esprit, parce que peut-être c’est ce que j’ai toujours fait plus ou moins consciemment dans ma propre vie. Sauf que je suis sans doute bien moins courageux que Mark Baumer, que de nombreux autres auteurs qui se seront engagés corps et âmes dans l’acte d’écrire.
Nous sommes prisonniers de quelque chose que nous tenons trop souvent pour la réalité, la normalité. Nous ne nous en rendons pas compte, nous résistons parfois de façon animale à cette enfermement, c’est à dire de manière instinctive. Profondément, nous résistons mais nous ne savons pas contre quoi. Est-ce contre quelque chose du dehors ou du dedans ? toute l’ambiguïté est bien là. Nous avons confondu le dehors avec le dedans comme nous avons confondu le bien avec le mal, la satisfaction rapide de nos désirs les plus loufoques avec le bonheur, et l’égoïsme avec un sacerdoce artistique.
Je reviens sur l’idée de la modestie. Je n’aime pas le terme d’humilité beaucoup trop galvaudé à mon sens. Il est utilisé par une élite à laquelle j’ai toujours refusé viscéralement d’appartenir. Ces personnes poursuivant une quête soi disant spirituelle, ces grenouilles qui veulent se faire aussi grosses qu’un bœuf ne se rendent même pas à l’évidence qu’elles se contemplent le nombril. Que la recherche d’humilité n’est poussée que par leur vanité, leur orgueil. Se faire une idée haute de l’humilité à atteindre aujourd’hui c’est se faire une idée du nombre hypothétique de followers qui vous likeront. C’est tout autant absurde mais c’est par cette absurdité même que le monde désire tenir debout, il ne désire pas autre chose qu’être absurde en nommant cette absurdité la réalité.
Je n’ai pas à prendre un ton docte, à me sentir supérieur à qui que ce soit dans ce billet. Je veux dire que je peux écrire ces choses comme je les dirais à un ami. Il n’y a pas de prêche, pas de désir d’influence, de manipulation—sauf peut-être seulement vis à vis de moi-même pour tenter de me convaincre d’un truc. J’ai fait fausse route jusqu’à présent dans la vision que j’avais de l’art, du monde de moi-même, c’est un gros morceau à avaler. On n’en finira donc jamais de se remettre en question. Peut-être que j’ai commencé à me mettre à table pour l’avaler il y a à peu près cinq ans. Dire comme je suis au bord de l’indigestion. Ou proche de la plus grande remise en question de ma vie tout simplement, modestement.