Je ne possède aucun outil pour briser les murs qui m’entourent. La seule chose possible est de creuser le sol de terre battue de ma cellule . Peut-être n’y trouverai-je aucune autre issue que de passer le temps, tromper l’ennui. Je ne me souviens plus depuis combien de temps je suis enfermé ici ni pourquoi. Quel crime ai-je pu commettre pour être relégué dans cette pièce sombre et humide sans jamais voir quiconque pas même le visage d’un mes geôliers. Aucune idée du temps qu’il fait dehors. Il n’y a pas d’ouverture sur les murs par laquelle je pourrais savoir s’il s’agit simplement du jour ou de la nuit. Je ne vois plus non plus les saisons passer autrement que par la température de l’air son hygrométrie, glaciale dans ce que je suppose être l’hiver, torride dans ce que crois être l’été. Les demi saisons ne sont sans doute que ces périodes de trêve durant lesquelles mon corps est soulagé par le relâchement d’une résistance acharnée à laquelle mon esprit s’oblige pour continuer à se survivre. Je dors beaucoup durant ces périodes plus clémentes. Et bien sûr je rêve. C’est d’ailleurs durant l’un de ces rêves que je me suis vu comme si j’étais un parfait inconnu en train de creuser le sol à mains nues. Et comme c’est étrange les rêves je parvenais à comprendre que le but n’était pas de trouver une issue véritable à cette activité absurde, mais simplement qu’elle lui offrait prétexte à s’occuper les mains, à passer le temps différemment que terrorisé par cette absurde situation. Passer le temps, c’est cela, de façon à ce que les périodes de veille d’ailleurs extrêmement courtes permettent à cet homme de posséder la sensation si infime soit-elle d’exister, de se survivre. Presque tout de suite j’ai compris la folie de mon entreprise et j’en ai malgré tout cherché la logique. Ainsi cela fait déjà des jours que j’ingurgite la terre que j’extirpe pour que nul ne sache que je suis en ce moment même en train de fomenter ce projet dérisoire m’évader, disparaître dans ce trou que je prends soin de recouvrir au moment où la fatigue me terrasse en replaçant par dessus la paillasse sur laquelle je dors. Avaler de la terre n’est rien d’autre qu’une habitude à créer. Les premiers jours je fus terrassé par des maux d’estomac, mais j’ai serré les dents. Une détermination singulière absolument sans faille, à poursuivre cette folie, me servi durant une bonne dizaine de jours d’unique appui et ce malgré les douleurs terribles qui montaient de mon bas-ventre. Néanmoins Je continuais malgré tout à avaler de la terre et des cailloux par poignées. En prenant soin qu’aucune trace de ces étranges repas ne fussent visibles ni sur moi, ni sur mon visage ni sur mes vêtements ni sur le sol de ma cellule. Puis peu à peu mon palais et mon organisme s’habituèrent à cette nourriture. De temps à autre j’avalais aussi quelques organismes vivants cachés dans la poignée de terre . Je pu ainsi distinguer leur goût leur saveur avec le temps. Le lombric par exemple possède une dominante basique alors que le mille-pattes est plus acide. Et ainsi le simple fait de distinguer le goût de ces êtres au milieu de la terre, de les sentir remuer sur la langue, de faire éclater leurs misérables corps sous la dent me procure un véritable plaisir, une embellie au plus profond de la noirceur dans laquelle on m’avait relégué. D’ailleurs je me rendis compte peu à peu que la profusion de ces lombrics m’indiquait aussi contre toute attente quelques indices quant à la position géographique supposée de la prison. Parmi cette population de vers annélides les haplotzxida étaient en surnombre ce qui pouvait indiquer, quoique je ne fusse qu’un piètre geodrilologue, que j’étais quelque part en zone tropicale. Bientôt la curiosité s’ajouta donc comme une nouvelle couche de motivation dans mon esprit. Même si je continuais à creuser le sol de plus en plus profondément sans espoir véritable, découvrir le goût de tel ou tel nouveau spécimen suffit bientôt comme unique but à mon activité et à la façon d’exploiter ces journées sans devenir fou. Creuser profond, de plus en plus me procurait une l’illusion proche d’une réalité. Celle de remonter le cours du temps en engloutissant ses habitants nichés dans chacune des nouvelles strates que les mains exhumaient avant de les portées par poignées à mes lèvres. Mon odorat aussi s’affina singulièrement. Quelques mois ou années après j’avais autant de nez qu’un nez de parfumeur. Je pouvais reconnaître non seulement l’odeur de mes lombrics mais aussi celle des plantes, et surtout celle des grands arbres probablement monumentaux qui vivaient là bien avant l’apparition de l’homme dans cette région et probablement sur la surface entière de notre planète. Devenir fou était mon obsession avant même de commencer ma folle entreprise. Mais ce que je découvris au fur et à mesure de ma progression vers l’enfer dépassait tout ce que je n’avais jamais pu me permettre d’imaginer. C’était comme si tout ce dont je me nourrissais à mains nues me prenait soudain en pitié ou en totale aversion le doute subsiste encore sur ce point. Tout une connaissance scellée aux vivants me parvenait ainsi directement du pays des morts, de civilisations oubliées, d’êtres totalement étrangers à nos mœurs actuels et si confortables qu’on ne songerait guère à en changer, et encore moins à les abandonner. Ainsi au fur et à mesure où mes mains fouillaient le sous-sol de la prison je vis qu’elles se transformaient de plus en plus qu’elles devenaient semblables à des pattes de taupe. Et plus la connaissance s’infiltrait dans ma cervelle, mon corps, mon esprit, moins j’y voyais clair, peu à peu je fus atteint de cécité, une sorte d’indifférence au décor qui m’entourait. Cependant de façon paradoxale je me découvris des capacités inconnues jusqu’alors pour me mouvoir, repérer ma position dans l’espace et vaquer à mes occupations habituelles et réduites.
creuser profond
Post-scriptum
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Huile sur toile 30x40cm
D’après une œuvre de Maurice Dermarkarian Réalisation juin 2023 Huile sur toile 30x40cm juin 2023|couper{180}
 
      
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Un peu plus loin près de toi
Photo de Letizia BattagliaMinime damorun minimum d'amour Toi c'est ce livre, quelque chose de moi s'y accroche encore. Pourtant il ne paie pas de mine, il convoque ce que je ne montre jamais vraiment, ce que je dissimule. Peut-être que c'est cela l'intime, peut-être que ça ressemble à ça, à ce que l'on retient, ce silence qu'on ne peut dire. Que l'on ne veut jamais dire. Parce qu'on sait bien que ça ne sert à rien. Essayer de le dire c'est riper à côté presque en même temps. C'est comme vouloir d'un Jésus économiser les tranches bien trop fines, la lame glisse sur le boyau devenu trop dur, ce n'est plus bien droit, plus bien régulier comme on voudrait. On fini par dépit à trancher de travers ou carrément de guingois. ça fini en charpie. Je ne t'ai pas repris dans les mains depuis des années, Tu est là sur un rayon de la bibliothèque, anonyme parmi les anonymes quand je n'ai pas les lunettes sur le nez. Les titres autrement sont devenus flous comme les auteurs, une bibliothèque floue comme mes souvenirs de lecture à présent peuvent l'être. Il me reste juste le même silence, une impression, quelques images récurrentes me permettant vaguement de me rappeler. De me rappeler celui que je fus à cette lecture, mais très vaguement. Un livre c'est un peu ça aussi, c'est une étape dans le temps, c'est du passé bien souvent. On pourrait se dire qu'il suffit de rouvrir la couverture, de remettre le nez dedans, on pourrait se dire tant de choses mais on se demande rarement à quoi ça servirait. A quoi ça servira vraiment. Pourtant toi, tu es toujours là, aussi longtemps que moi je serai là je crois que tu seras là. Il me reste cette pauvre croyance vois-tu. Ce que tu es, ce que je suis, on ne le sait pas, c'est juste du silence qui jour après jour se creuse un peu plus profondément, et qui n'est plus gênant on fini par être un peu plus domestiqué par ce silence de jour en jour.|couper{180}
 
      
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Danger et merveille
Le danger et la merveille de lire est que nous sommes tentés de devenir les héros plus ou moins heureux de ces histoires qu’un inconnu nous raconte. A la surface du miroir que fait surgir toute lecture tant de reflets de nous-mêmes naissent et meurent de livre en livre. Danger de rester le front collé à la surface de ce miroir, merveille d’obtenir le laisser-passer pour le traverser. Lire est comme vivre d’après l’expérience vécue des deux. Au tout début une naïveté, une inconscience quasi totale, puis un éclair bref qui jaillit presque toujours sur le tard et qui éclaire nos propres ombres recroquevillées dans l’obscurité. Alors on voudrait rattraper un temps qu’on estime perdu, le temps de vivre ou le temps de lire, et on se rend compte qu’il est trop tard. Cette prise de conscience bien que tragique en apparence ne l’est que si l’on croit à de vieilles superstitions, que si la vieillesse est le reflet entraperçu sur le visage de nos aïeux, de nos parents et grands parents, une image de la vieillesse telle un vieux cliché en noir et blanc. Mais la vieillesse comme la jeunesse ne sont que différents états de la même chose, c’est à dire de l’être nécessaires l’un comme l’autre à sa complétude. Et je crois aussi qu’on peut réinventer ce que nous plaçons dans ces mots, que chacun d’entre nous est bien libre de le faire. Par exemple qu’un jeune est souvent vieux avant de l’être et qu’un vieux peut avoir un regard pur de nouveau né parfois. Il suffit seulement d’ouvrir les yeux et de voir au delà de ce que nous pensons voir comme on nous aura appris à penser voir et non à voir. De tous les livres que j’ai lus, il m’est si difficile d’en isoler un seul puis de dire je vais seulement parler de celui-là. C’est comme demander à un père de choisir un seul de ses enfants, c’est le sacrifice demandé à Abraham, et auquel seuls les plus vaillants ou les plus fous, les plus pieux obtempérerons. C’est demander un amour surhumain envers une chose surhumaine qui flatte à mon goût bien trop le risque de l’orgueil. Avec le temps je me suis mis à aimer tous les tableaux, tous les livres, comme tous les êtres qui surgissent sur ma route. Ça ne veut pas dire qu’à chaque fois je tombe dans l’effusion, la sensiblerie, non sûrement pas. Je sais seulement ce qu’il en coûte d’écrire comme de vivre, du moins je suis parvenu à l’âge où les idées ne changent plus guère ou changent moins vite sur les choses. Les idées qui valent la peine d’être nommées ainsi surtout. Les héros comme les anti héros ne sont plus aujourd’hui matière à admiration comme autrefois. Je ne le regrette pas plus que ça ne m’enchante. C’est un fait. Seulement un fait. Derrière chaque protagoniste il n’y a jamais un homme seul, mais toute une époque avec ses façons de penser voir, sa permissivité et sa censure, une société. C’est ce que l’on ignore quand on commence dans la vie dans le costume de singleton facile à endosser au début, lourd à conserver au fur et à mesure que l’on progresse que ce n’est qu’un costume. Que la comédie humaine se joue sur le théâtre sociétal et que ses coulisses sont bourrés d’accessoires, à priori divers et variés en apparence, mais qu’au bout du compte tout pourrait se résumer à bien peu. Tout pourrait se résumer en un seul mot : “l’amour” et son grand mystère. Dont j’ai espoir qu’à la fin, nu totalement, chacun puisse se réjouir d’aborder ses rivages puis partager la nouvelle sans la moindre ambiguïté.|couper{180}
