Valère Novarina

« L’après-midi, je remonte à l’hôtel Montana,
majoritairement peuplé de fonctionnaires québécois et d’autres bienfaiteurs internationaux ; j’observe attentivement leurs mœurs alimentaires au
souper et au petit déjeuner… Hier, j’ai engagé la
conversation avec trois Montréalais, un Gaspésien et deux Chicoutimiens, à qui j’ai avoué que
chaque fois que je voyais les plaques d’immatriculation du Québec, portant toujours, au-dessus
du numéro, la devise Je me souviens, l’idée me
venait que notre devise, à nous Européens — et
à nous Français, plus qu’à tout autre ! — était :
J’oublie. Nous devrions inscrire sur nos automobiles : XP 765 GPN, et au-dessus : J’oublie.
« J’oublie » 814 BW 75. « J’oublie » 645 DNU 87.
L’Europe ou La passion d’oublier. C’est ce que
j’ai ressenti sitôt arrivé ici : que je venais d’un
continent amnésique… « Toute la force vient des
ancêtres », c’est ce que l’on sait en Haïti ; c’est ce
que ne sait plus l’homme blanc — blanc comme
les blancs de la mémoire. »

Extrait de
Voie négative
Valère Novarina