02 juillet 2025
Nuit agitée. Au petit matin, l’impression proche de la certitude d’avoir tout raté. Que tout ça ne vaut rien. Je dois le noter au même titre que n’importe quelle autre pensée qui me traverserait. Comme écrire : « Je me sers une tasse de café et la place dans le four micro-onde pour réchauffer le liquide amer. » La question ne cesse de revenir et de m’éroder : que faire de tout ça ? À quoi ça sert ? Comment le présenter ? Il faut présenter les choses, les présenter, c’est les rendre présentes. Pourquoi est-ce que je pense toujours que ce que j’écris n’est pas "présent", n’est pas offrande, n’est pas un cadeau... L’idée que je sois incapable de donner quoi que ce soit. Ça ne donne rien. Il prend, il prend, mais il ne donne jamais rien.
Je n’ai que moi-même à surprendre. J’essaie quotidiennement de me surprendre. Je n’ai aucune idée de ce qui peut surprendre autrui ; d’ailleurs, je ne cherche pas à surprendre autrui. Je me fiche pas mal de surprendre quiconque d’autre que moi seul. Cependant, rien ne me surprend vraiment. Si ça ne me surprend pas, j’ai l’impression d’avoir raté, d’être passé à côté de quelque chose.
Ce qui est raté peut-il être rafistolé ? C’est aussi une question obsédante. Ce qui est brisé ne se recolle pas. J’ai eu cette certitude dimanche dernier, tout à fait fortuitement ; nous étions en train de décharger la Dacia en revenant de Tain. Soudain, un sac a glissé et une assiette qu’il contenait s’en est échappée et s’est fracassée sur le sol en mille morceaux. S. était désolée parce que c’était une assiette qu’elle voulait donner à sa mère. Je veux dire qu’elle ne faisait pas semblant d’être désolée, ce n’était pas un artifice ni un message caché à mon intention. Elle a émis un juron qu’elle a dû répéter plusieurs fois comme pour évacuer quelque chose et j’ai tout de suite pensé que ce quelque chose était de l’ordre du doute. À chaque juron, elle semblait dire : non, je ne peux pas recoller ça, c’est impossible, c’est vraiment cassé.
J’ai remarqué que depuis plus de deux semaines, il m’est désormais impossible de partager mes textes sur les réseaux sociaux. C’est arrivé d’un seul coup, après une assez longue pratique. Ce n’est pas lié au constat qu’en règle générale, je ne reçois que peu d’interactions. Je me fiche de ces interactions. L’important pour moi est d’écrire chaque matin. Je me suis sans doute leurré en imaginant qu’en l’état, mes textes pouvaient intéresser qui que ce soit. D’ailleurs, qu’est-ce que je mets derrière ce mot "intéresser" ? Je n’en sais rien moi-même. Je ne sais même pas si ces textes m’intéressent vraiment, moi. Tout ce que je sais, c’est que c’est quelque chose que je dois faire. Je dois écrire un texte le matin, parfois plusieurs. Je ne sais pas si c’est une sorte de pathologie, un toc, de la démence ou quoi que ce soit d’autre. Ce que je sais, c’est que le contenu de ces textes ne m’intéresse pas au point de vouloir les relire, d’y chercher quelque chose qui éclairera ma vie ou ce monde d’un jour nouveau.
Pour continuer
Carnets | juillet 2025
30 juillet 2025
J’avais dit "table rase", pas pour rien. SPIP et MySQL m’ont répondu en chœur. Tout ce que j’avais construit sur mon site local a été mis par terre par l’importation de ma base de données distante vers mon PhpMyAdmin local. Au début, j’ai tempêté. Des heures et des heures de boulot qui s’envolent en un clic. Puis je me suis souvenu de mon envie de faire table rase. Et je me suis dit que cet incident était plutôt une chance, que ça allait m’aider. SPIP a connu pas mal de mises à jour, et c’est là qu’il faut être vigilant. Il ne suffit pas de lancer le fameux spip_loader.php pour mettre à jour la distribution. Il faut aussi aller voir du côté de la base de données et vérifier les versions (table spip_meta). De vieux plugins non mis à jour peuvent également s’accumuler et créer des distorsions. C’est à peu près tout cela qui m’est tombé sur le coin du nez ces derniers jours. Ignorance ou négligence : le débat reste ouvert. Le fait est que SPIP, en contrepartie de sa robustesse et de sa fiabilité (quand tout roule), demande un peu de jugeote, de mémoire et d’attention. La gravité du problème rencontré n’est pas immense. J’avais bien sûr pris soin de sauvegarder mon travail. Mais quand même, devoir tout refaire ne m’amuse pas. Cela m’oblige donc à repenser, une fois encore, ce que je veux — ou ce que je ne veux pas (la seconde option est toujours plus facile). Je reprends donc, encore une fois, la reconstruction des squelettes, os près os — mais sans doute avec un peu plus d’expérience, ce qui se paie d’échecs, comme il se doit. En attendant, je continue à écrire mes textes sur le site en ligne. Je ne donne pas de date pour la mise en ligne de la prochaine version, mais j’ai déjà quelques trouvailles dans la boîte — notamment un JavaScript extra qui permet de disposer d’une imprimerie de poche pour créer des livres numériques. Reste à savoir ce que j’y mets, dans ces livres. Ce n’est pas l’embarras du choix qui manque.|couper{180}
Carnets | juillet 2025
29 juillet 2025
Contrôler l'accès à la nourriture, c'est contrôler les corps, les territoires, les populations. Impossible de ne pas penser aux famines organisées, aux embargos, aux politiques agricoles. En même temps qu'à la télévision on aperçoit ces parachutages de denrées sur Gaza, on repassait hier La Passion de Dodin Bouffant, du réalisateur Trần Anh Hùng. Il s’est produit quelque chose d’étrange à cet instant. Une attirance et une répulsion dans un même mouvement, pour la nourriture, mais plus encore pour cette culture de la mangeaille. Et ce, malgré la qualité visuelle et sonore — surtout sonore — du film. Ça m’est resté en travers de la gorge. Soudain, cette surreprésentation de la bouffe m’est apparue profondément obscène. Mais pas plus, au fond, que ce qu’on nous fait avaler sur papier glacé, dans les affiches publicitaires, sur les réseaux sociaux. L’importance que la nourriture a prise ces dernières années est considérable. Peut-être que le culte de la boustifaille est vraiment apparu sur les réseaux lors des premiers confinements de 2019 ou 2020. Il y avait là déjà quelque chose d’abject, mais j’y accordais sans doute moins d’importance. Peut-être même en ai-je profité, en recopiant quelques recettes. Mais hier soir, non. En écoutant le frémissement du bouillon clair, les rissolements des foies, les rôtis en train de suer, j’avais plutôt envie de dégueuler qu’autre chose. J’avais déjà vu ce film en 2023, je crois, et je n’avais pas éprouvé la nausée à un tel point. Cette célébration m’avait même laissé admiratif, et en même temps nostalgique, voire envieux. Les souvenirs du culte sont nombreux, ils remontent à l’enfance, aux grandes tablées, aux aurores embaumées par l’odeur de brûlure de pattes de volaille, par l’oignon qui revient vers une tendre transparence. Autant de souvenirs olfactifs que l’on se passe comme un relais dans les familles françaises de classe moyenne depuis des générations. Ce goût de la bouffe, de la “bonne chair”, je le transporte encore dans mes gènes. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, à tant de reprises, de m’en séparer. De traverser des périodes d’austérité, peut-être dans l’unique but de m’en débarrasser. Mais ça revient. Par le nez, par les papilles. C’est plus fort que moi, comme on dit. Un réflexe pavlovien de chien qui revient vers le maître, celui qui, à la fois, le bat et le caresse. Une voix, tout au fond de moi, voudrait me ramener à je ne sais quelle “raison”. Tu confonds tout, me dit-elle. Tu ne peux pas mettre sur un même plan les exactions, les guerres, l'effroi des images que ces événements charrient, avec l'atmosphère tellement chaleureuse d'un film célébrant la gastronomie française. Tu ne peux pas, tu n’en as pas le droit, continue-t-elle. Je l’écoute, je la respecte. Mais pourtant, si je mets cela en parallèle, si je les place sur un même plan, c’est que le plan du dégoût est devenu si vaste, une fois les apparences traversées — les apparences tellement claires — ainsi que les contours fumeux des lendemains qui ne chantent pas.|couper{180}
Carnets | juillet 2025
paupière tombante
Voir la honte au moment même où elle vous prend, c’est voir par en-dessous. Par défaut. À rebours. Ce n’est plus une image, c’est un voile. Une membrane lente descend sur la pupille, un clignement avorté, comme une fermeture en suspens. J’ai connu un perroquet honteux. Il chantait à tue-tête auprès de ma blonde, mais sa paupière flanchait à chaque syllabe. Elle s’écroulait sur l’œil, molle, involontaire. Il continuait de chanter, mais à moitié aveugle. Un œil fermé par la honte et l’autre qui insistait. L’entêtement du regard blessé. La honte n’arrive pas de l’extérieur. Elle monte. Elle boursoufle la vue. Elle se glisse entre le monde et soi comme un écran bistre, opaque, figé. Elle ne trouble pas la vue : elle l’arrête. Et quand elle laisse passer un peu de lumière, c’est une lumière malade, caverneuse. Voir par la honte, c’est comme voir à travers un œil d’aiguille : un point, rien de plus. Honte d’être là. Nu, immobile. Pris dans une impudeur si totale qu’elle semble presque tranquille. Et pourtant personne ne voit. Personne ne regarde. L’invisibilité n’apaise rien. Elle épaissit. Elle appuie là où ça brûle. Elle fait mieux que montrer : elle isole. Le regard manque, mais l’essentiel reste. La honte ne dépend pas de l’œil de l’autre. Elle se propage par en dedans, de la peau jusqu’au nerf optique. la honte au centre du paysage n’arrondit pas les angles. Elle tient le milieu comme un pion figé. Autour, les allées blanches dessinent une spirale hésitante, un tourbillon à ras du sol. Le sable crisse sous les pas, sans rythme net. J’avance d’un pas, je recule de trois. Chaque détour me ramène au point d’avant. À la manière d’un patineur sur carton glacé, glissant sans grâce sur un vieux jeu de l’oie. On ne gagne rien, on recommence. Une case vide, une case piégée, une case où l’on attend.|couper{180}
